Restrictions énergétiques : quand les bourreaux se rêvent en héros

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Wolf Wagner, journaliste indépendant pour FranceSoir
Publié le 15 septembre 2022 - 21:05
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BORNE / VON DER LEYEN
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Un hiver 2022/2023 qui s'annonce des plus rudes d'un point de vue politique, social et énergétique.
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Mercredi 14 septembre, pendant qu'Ursula Von Der Leyen expliquait sur la scène européenne strasbourgeoise pourquoi l'Union européenne devait poursuivre sans ménagement les sanctions portées à l'encontre de la Russie, Élisabeth Borne annonçait quant à elle à Paris la prolongation du bouclier tarifaire, ainsi qu'une limitation à +15% du coût de l'énergie en France en 2023.

La crise énergétique, que traverse actuellement l'Europe et la France, est au centre de tous les débats. En ligne de mire, la crainte d'un manque d'approvisionnement durant l'hiver prochain. Une crainte qui tire notamment son origine dans les sanctions économiques émises par la France et par l'UE à l'encontre de la Russie. Des restrictions économiques imposées à Moscou pourtant censées affaiblir durablement le Kremlin, quand elles ne devaient pas, selon Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, aller jusqu'à « provoquer l'effondrement de l'économie russe ».

Au regard du premier semestre 2022 et des 158 milliards d'euros engrangés par la Russie dans le seul secteur de l'énergie, force est de constater que le compte n'y est pas. Vraiment pas. Pire, puisque après deux ans de crise sanitaire et de restrictions économiques extrêmement difficiles à endurer pour les entreprises françaises, l'économie du pays s'écroule à nouveau sous le poids, cette fois, de cette crise énergétique sans précédent.

Quand, d'un côté, les chiffres du commerce extérieur national qui, déjà sur fond de crise énergétique et sanitaire, annoncent un déficit national record à hauteur de -84,7 milliards d'euros sur l'ensemble de l'année 2021, et que, de l'autre, l'inflation ravage le porte-monnaie des Français et la croissance du pays, fatalement, la pilule s'avère particulièrement difficile à avaler pour une grande partie de l'opinion publique. C'est en tout cas ce que tend à démontrer un sondage Elabe pour BFMTV, qui révèle que trois quarts des Français (74%) jugeraient inefficaces ces sanctions.

À l'instar des restrictions économiques et des mesures de confinement prises à l'époque de la crise sanitaire – et jugées comme tout aussi inutiles - l'exécutif est là encore seul à la baguette. A fortiori, en ces temps particuliers où les députés sont toujours en vacances jusqu'au 3 octobre, favorisant ainsi l'absence de débats parlementaires et empêchant toute forme d'opposition, le tout sous couvert d'un conseil de défense à la communication des plus hermétiques.

Et au jeu du pays européen qui a le plus à perdre avec l'émergence d'une telle « crise éco-énergétique », la France n'est pas la seule touchée. En effet, la situation est identique en Allemagne, où la première puissance économique européenne, véritable moteur de l'UE et de la France, entrevoit une récession en 2023, sur fond d'inflation galopante, et où de plus en plus de faillites sont enregistrées.

Autant dire que ce n'est pas du côté de l'Allemagne qu'il faudra regarder pour espérer se tirer du guêpier économique vers lequel nous filons à pleine vitesse.

Von der Leyen : « Envoyez vos factures à Moscou, ce sont eux qui sont à la source de nos problèmes »

Qu'importe le ressenti de la population en France ou en Allemagne, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne qui était présente ce mercredi 14 septembre au sein du Parlement européen de Strasbourg pour répondre aux questions des eurodéputés, n'en démord pas concernant la Russie : « Les sanctions sont là et vont rester », ajoutant qu'il « faut nous montrer déterminés, il ne faut pas chercher l'apaisement. ».

Manon Aubry, eurodéputée LFI, a souhaité interpeller Ursula von der Leyen sur l'explosion du prix des factures d'énergie de certains Français. Comme celle de Gilles qui aurait augmenté de « 110 euros par mois », ou comme celle de Grégoire, dont la facture de gaz s'élèverait à « 2 300 euros ».

Pour l'ancienne ministre de la Défense allemande - qui est d'autre part pressentie pour conserver son poste et poursuivre son aventure à la tête de l'UE jusqu'en 2029 – si ces factures sont « insupportables », c'est avant tout la faute de la Russie. À ce titre, elle incite les personnes concernées par la hausse des prix de l'énergie à directement envoyer leurs factures « à Moscou, parce que c'est à eux qu'il faut les envoyer, ce sont eux qui sont à la source de nos problèmes ».

Par ailleurs, l'actuelle présidente de la Commission européenne a profité de sa présence à Strasbourg pour annoncer vouloir engager une « réforme complète et en profondeur » du marché de l’électricité en Europe, arguant que sa conception actuelle « ne rend plus justice aux consommateurs, ils devraient récolter les fruits des énergies renouvelables à bas-coût. Il faut donc découpler les prix de l'électricité de l’influence dominante du gaz ».

Élisabeth Borne propose un chèque-énergie, la prolongation du bouclier tarifaire et une hausse des factures limitée à « +15% au lieu de 120% »

Du côté du gouvernement français, Élisabeth Borne s'est voulue rassurante lors d'une conférence de presse tenue ce même-jour à Paris. La première ministre a ainsi déclaré que « dans ce contexte nous devons continuer à répondre aux inquiétudes ». Pour cela, la cheffe du gouvernement a annoncé la prolongation du bouclier tarifaire, tout en assurant que le prix de l'énergie n'augmenterait en 2023 « que » de « 15% au lieu de 120% ».

Autre mesure adoptée, celle d'envoyer aux ménages les plus modestes un chèque-énergie « de 100 euros ou de 200 euros » en fonction du revenu des bénéficiaires. Enfin, dernière mesure préconisée depuis plusieurs semaines par le gouvernement, celle de relancer les différents réacteurs du parc nucléaire français qui sont actuellement fermés ou en maintenance. Sur 56 réacteurs dont dispose la France, 32 seraient actuellement inutilisés selon BFMTV, qui rapporte qu'EDF a annoncé que 27 d'entre eux devraient avoir redémarré d'ici Noël, quand la remise en marche des cinq derniers ne devrait suivre qu'en début d'année 2023.

Une annonce qui, selon Le Figaro, ne semble toutefois pas réaliste tant « les acteurs du marché de gros ne croient pas à la capacité d’EDF à réaliser cette remontada. En témoigne un prix du mégawattheure (1 000 kilowattheures) de 1 200 euros pour livraison en décembre. Cela correspond à un scénario plus noir que le plus pessimiste de ceux envisagés par RTE pour cet hiver. ».

À en croire Le Figaro, l'avenir à court terme semble donc hasardeux concernant le sort du nucléaire français. Et ce n'est pas la seule incertitude qui plane au-dessus de la stratégie mise en place par le gouvernement. En effet, si Élisabeth Borne se veut protectrice et attentive face à la gronde grandissante au sein de la population, elle rappelle néanmoins que « ces mesures ont un coût pour les finances publiques ». Un coût que Bruno Lemaire, également présent lors de cette conférence de presse, chiffre à 17,8 milliards d'euros (11 milliards pour le gaz, 5 milliards pour l’électricité et 1,8 milliards pour le chèque-énergie).

Autre avertissement lancé dès le début de son discours par la cheffe du gouvernement : le besoin de veiller « à ne pas creuser davantage notre dette et à cibler nos dispositifs comme le président l'avait annoncé dès le 14 juillet ».

Agnès Pannier-Runacher : « On ne demandera jamais d'efforts aux Français en situation de précarité énergétique ».

Le dispositif préconisé par Emmanuel Macron est celui de la « sobriété énergétique ». Au programme, une somme de mesures plus ou moins coercitives visant à réduire de 10% notre consommation nationale.

Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, elle-aussi présente aux côtés de la Première ministre lors de cette conférence de presse, a affirmé que le gouvernement ne demanderait « jamais d'efforts aux Français en situation de précarité énergétique ». Sous-entendu, que si des efforts devaient être faits, ceux-ci n'incomberaient pas aux plus démunis face à la crise énergétique - mais aussi économique - qui touche le pays.

Élisabeth Borne s'est de son côté montrée plus évasive sur le sujet : « Seule la sobriété et la solidarité européennes nous permettront d'éviter des coupures et des rationnements dans les cas de figure les plus pessimistes, comme [celui d']un hiver particulièrement froid cumulé à des difficultés d'approvisionnement. (…) La sobriété, ce n'est pas produire moins. Il s'agit de réduire un peu le chauffage et d'éviter les consommations inutiles. (…) Ce sont donc des millions de décisions individuelles chaque jour de chacun d'entre nous qui sont indispensables pour que l'hiver prochain se passe bien ».

Olivier Véran : « On est dans la volonté d'impliquer tout le monde, d'emmener tout le monde »

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, abondait déjà dans ce sens une semaine plus tôt depuis le Palais de l'Élysée : « On est dans la volonté d'impliquer tout le monde, d'emmener tout le monde ». Il ajoute que, selon lui, « l'intelligence collective suffit à atteindre les objectifs que nous fixons collectivement ».

« Collectivement », peut-être, mais uniquement au sein du gouvernement et du conseil de défense.

La capacité qu'une déclaration de ce type puisse à terme devenir fallacieuse dépend toujours de l'identité de son auteur. Or, si Olivier Véran possède sans nul doute des qualités louables, le simple fait qu'il ne nous ait pas toujours habitué à une communication des plus infaillibles (comme il le reconnaît lui-même), ni des plus honnêtes (ce qu'il a cette fois davantage de mal à admettre), pose question. D'autant qu'il n'est pas le seul dans ce cas.

En effet, on se souvient d'Emmanuel Macron assurant en avril 2021 qu'il était inenvisageable qu'un éventuel futur passe sanitaire devienne « un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis »... avant de l'instaurer sous cette forme environ trois mois plus tard. Forcément, la parole des personnalités politiques ne pèse plus bien lourd dans l'imaginaire populaire.  Surtout lorsque ce même président décida, un an plus tard, d'assimiler tous les non-vaccinés à des « irresponsables », avant de conclure que des « irresponsables ne sont plus des citoyens ».

Lire aussi : Vaccinés, non-vaccinés, unissons-nous devant l’abjection !

Une fois ce constat réalisé, comment encore accorder du crédit aux récentes promesses de ces mêmes personnalités politiques ?

Qui plus est lorsque le message actuellement envoyé par le pouvoir exécutif semble en réalité particulièrement clair : tant que les Français seront en mesure de réaliser les efforts réclamés par le gouvernement, ils ne subiront pas de restrictions individuelles, ni de coupure d'énergie. Autrement dit : les conditions édictées par le gouvernement sont susceptibles de varier avec le temps en fonction de sa conception, elle-même sujette à évolution, de ce qui est « collectivement » raisonnable, ou non. Et ce sera à la population de s'y adapter.

Police des températures, volonté éphémère ou vrai danger ?

Si aucune restriction individuelle et ciblée concernant l'énergie n'a pour l'heure été constatée en France, le Canard Enchaîné du 7 septembre dernier révélait néanmoins que la mise en place d'une « police des températures » aurait d'ores et déjà été envisagée lors du Conseil de défense sur l'énergie du 2 septembre. Ce projet n'aurait toutefois pas été retenu par Emmanuel Macron, notamment parce que ce dernier ne souhaiterait pas pour le moment contraindre les entreprises.

Quoiqu'il advienne à l'avenir concernant cette éventuelle police des températures, ce nouveau type de surveillance a bel et bien déjà vu le jour en France. En effet, quand, cet été, la police a reçu pour consigne de patrouiller auprès des commerçants afin de contrôler que la porte de leur boutique restait bien fermée lorsque leur climatisation était active, il s'agissait déjà là d'un premier signe de « répression énergétique ». L'avenir nous éclairera quant à savoir s'il s'agissait là d'un épiphénomène, ou si nous faisions face à la première étape d'un nouveau processus coercitif.

Toujours est-il que si le gouvernement souhaite véritablement rassurer les Français, qu'il sait inquiets, il n'est pas certain que de poursuivre sur ce ton culpabilisant et infantilisant ait la moindre chance de porter ses fruits. En les privant toujours davantage de liberté depuis 2020, sans jamais reconnaître que les décisions prises au sein de l'UE et par l’exécutif français ont contribué à faire émerger ces différentes crises, il est fort à parier que les mesures impopulaires qu'entrevoit d'imposer la macronie au cours des prochains mois l'expose à se heurter à une farouche résistance... au risque sinon de voir le peuple français basculer dans une léthargie des plus inquiétantes pour son avenir et son amour de la liberté.

En attendant, une chose est certaine, la population française se prépare à affronter un hiver 2022/2023 qui s'annonce des plus rudes d'un point de vue politique, social et énergétique.

À qui la faute ?

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