Saint-Gobain : le spécialiste français du miroir

Auteur(s)
Pierre Plottu
Publié le 27 octobre 2014 - 15:53
Mis à jour le 06 novembre 2014 - 16:51
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Entrée de la manufacture Saint-Gobain.
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L'usine de Saint-Gobain, dans la petite ville picarde du même nom, au XIXe siècle.
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C’est l’une des plus anciennes entreprises de France. Fondée par Colbert il y a plus de trois siècles, Saint-Gobain est un exemple de réussite industrielle. Un succès basé sur l’innovation et un art consommé de l’adaptation aux grands changements de société qui ont émaillé son histoire.

Un miroir. A priori rien de bien original, ni de bien compliqué. Pourtant, apparues telles qu’on les connaît sur l’île vénitienne de Murano au XVIe siècle, les glaces étaient alors des produits de luxe et nécessitaient une technicité pointue. 

Un miroir. Cet objet aujourd’hui banal est pourtant directement à l’origine de la création de Saint-Gobain, société verrière aujourd’hui cotée au CAC 40, multinationale aux 42 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013 et comptant parmi les plus grosses entreprises françaises.

Des débuts tonitruants

Au milieu du XVIIe siècle, pour contrer la mainmise des verriers vénitiens, Louis XIV confie à Colbert le soin de fonder une industrie française capable de rivaliser avec les Transalpins. Car le monarque rêvait déjà d’ajouter à son palais versaillais une galerie décorée de miroirs…

Mais le contrôleur général des Finances du roi se heurte vite à un problème: seuls les verriers de Murano ont le savoir-faire nécessaire à la production industrielle des glaces. Il charge alors l’ambassadeur de France en poste dans la cité des Doges de débaucher et de rapatrier, dans le plus grand secret, quelques-uns de ces ouvriers spécialisés. L’exfiltration réussit, non sans une riposte des autorités de la célèbre lagune, qui font empoisonner deux des transfuges…

Quoi qu’il en soit, Colbert est parvenu à ses fins. Et, en 1665, il fonde la Manufacture royale des glaces de miroirs. Très vite, les ateliers installés Faubourg Saint-Antoine à Paris fonctionnent à plein régime, grâce notamment au monopole renouvelable et aux privilèges fiscaux qui lui sont accordés par le roi.

Ainsi, dès 1672, est promulgué un arrêt interdisant l’importation des miroirs vénitiens, preuve de la qualité de la production française. Dans la foulée, en 1684, intervient une commande prestigieuse: Louis XIV achète à la Manufacture les 357 glaces de la galerie du même nom, à Versailles.

Dans son usine de la commune picarde de Saint-Gobain, créée en 1693, la société met ensuite au point une invention qui va lui permettre de conquérir le marché européen. Il s’agit de la coulée du verre sur table, permettant la production de miroirs bien plus grands que ceux qui étaient jusqu’ici soufflés à la bouche.

Dès le début du XVIIIe siècle, grâce à cette invention, la société prospère et supplante les Vénitiens sur le Vieux Continent, comme en atteste son chiffre d’affaires passé de 213.000 livres en 1680 à 945.000 livres en 1700. Jusqu’à la Révolution, elle restera la seule productrice de glaces coulées au monde et est même la première entreprise de France en termes de capitalisation jusqu’aux années 1780.

Sauveur de Clemenceau

Après la chute de l’Ancien Régime, Saint-Gobain perd son monopole et voit émerger une forte concurrence, notamment anglaise et belge. Le XIXe siècle est une période de mutation de la société, passée au statut de société anonyme en 1830.  Saint-Gobain se lance alors dans une politique de modernisation et de rationalisation du travail mais aussi, et surtout, d’extension, afin de réduire ses coûts et de conquérir de nouveaux marchés.

D’autant que le développement alors très rapide de son secteur d’activité (plus de 9% par an en moyenne), ainsi que l’apparition de nouveaux débouchés avec le développement des gares, des musées, des bibliothèques ou encore des grands magasins, est une opportunité en or pour Saint-Gobain. La période est également celle de nombreuses réalisations de premier plan telles que les serres du Jardin des plantes (1854), la Galerie des machines (1889), la verrière du Grand Palais (1900)...

Une ligne de production de la marque.  ©DR

Ainsi, à la veille de la Première guerre mondiale, Saint-Gobain est déjà une multinationale présente en Allemagne, en Italie, en Belgique, en Espagne, aux Etats-Unis… Le premier conflit mondial sera un passage bien plus compliqué pour l’entreprise qui doit faire face à une baisse des commandes, aux incertitudes liées au conflit, et à un front dangereusement proche de certaines de ses usines.

Au sortir du premier conflit mondial, la société continue à miser sur l’innovation pour sortir du marasme et met notamment au point le "Triplex". Aussi appelé verre "Securit", celui-ci conquiert rapidement l’industrie automobile, nouveau débouché pour la marque. Cette nouveauté est même entrée dans l’histoire pour avoir sauvé la vie de Georges Clemenceau et de son chauffeur, en arrêtant bon nombre des balles tirées sur sa limousine par un jeune anarchiste, en 1919.

C’est également à cette époque que Saint-Gobain installe sa suprématie dans la production de verre creux, ou flaconnage, utilisé notamment pour les bouteilles. Un secteur sur lequel la société est encore aujourd’hui leader mondial.

Diversification

Peu à peu diversifiée dans diverses activités comme les matériaux réfractaires (années 1930) ou la chimie (années 1960), l’entreprise devenue firme règne sur son activité. Ce qui n’empêche pas une tentative d’OPE hostile menée par le concurrent français BSN en 1965. Une manœuvre qui échoue, mais non sans laisser Saint-Gobain exsangue et durablement marquée par cet épisode qui failli la voir disparaître.

Pour se renforcer, et sur fond de fin des Trente Glorieuses, la société opère un rapprochement avec un autre poids lourd de l’Hexagone, la société sidérurgique Pont-à-Mousson, leader mondial des équipements de voirie en fonte. La nouvelle entité issue de cette fusion réoriente petit à petit sa production vers les marchés du bâtiment, de l’automobile et des services.

Ballottée par les deux grandes crises économiques découlant des chocs pétroliers de 1973 et 1979, le groupe est ensuite nationalisé, en 1982, comme un certain nombre d’autres grandes sociétés françaises comme Thompson, Suez, Rhône-Poulenc et beaucoup de banques.

Redevenue privée en 1986, Saint-Gobain poursuit une politique de recentrage et de redéveloppement vers des activités à plus forte valeur ajoutée. C’est à cette époque également qu’une autre commande prestigieuse intervient: la pyramide du Louvre, en 1989.

Outre l'activité verre, restée son cœur de métier, la société se diversifie à partir du début des années 1990 dans le domaine des abrasifs, des plastiques ou encore des cristaux. 

Un changement de cap réussi, comme en atteste l’impressionnante évolution du chiffre d’affaires de la société, multiplié par 3,5 entre 1986 et 2006 et qui atteint aujourd’hui plus de 40 milliards d’euros par an. Au total, Saint-Gobain emploi près de 190.000 personnes dans 64 pays et se targue d’être leader européen ou mondial dans chacune de ses activités.

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