Les différentes qualifications pénales en matière de maltraitance animale

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Estelle Derrien, édité par la rédaction.
Publié le 22 mars 2019 - 18:21
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Une balance de la justice
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© LOIC VENANCE / AFP
Le droit français condamne de façon différentes les divers faits de maltraitance animale.
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La lutte contre la maltraitance animale est loin d'être finie, en témoignent les nombreuses affaires jugées en France. Estelle Derrien, avocate titulaire du diplôme universitaire en droit animalier de l'université de Limoges, revient pour France-Soir sur les différentes qualifications pénales en matière de maltraitance.

L'actualité fait régulièrement état de diverses affaires de maltraitance sur des animaux engendrant la poursuite et la condamnation, plus ou moins sévère, de leurs auteurs devant les juridictions pénales. Les textes les réprimant sont éparses. Concernant tout d'abord les contraventions, outre les dispositions de l'article R.215-4 du Code rural et de la pêche maritime qui qualifie certains défauts de soins spécifiques"des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou en captivité" de contraventions de 4èmeclasse[1], le Code pénal y consacre trois articles. Constitue ainsi une contravention de 3èmeclasse "le fait par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, d'occasionner la mort ou la blessure d'un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité " (article R.653-1), tandis que "le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe"(article R.655-1), à condition bien évidemment que cette mort ne résulte pas des délits de sévices graves ou d’actes de cruauté. Enfin, l'article R.654-1 dudit Code réprime quant à lui les mauvais traitements envers un animal "domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité".

Constituent cette fois-ci des délits, tout d’abord tant "le fait de pratiquer des expériences ou recherches scientifiques ou expérimentales sur les animaux sans se conformer aux prescriptions fixées par décret en Conseil d'Etat" (article 521-2 du code pénal), que les mauvais traitements infligés par certains professionnels (article L.215-11 du code rural et de la pêche maritime), ou encore l'atteinte à des espèces protégées (article L.415-3 du code de l'environnement).

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Plus généralement, le Code pénal dispose que doit être qualifié de délit susceptible d'être puni jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, "le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité", l'article 521-1 ajoutant qu'"est également puni des mêmes peines l'abandon d'un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, à l'exception des animaux destinés au repeuplement". L’on précisera que si l'infraction d'actes de cruauté est caractérisée s’ils ont été "accomplis intentionnellement dans le dessein de provoquer la souffrance ou la mort"[2], une telle exigence n’est pas imposée pour les sévices graves ou encore l'acte sexuel pour lesquels l’élément moral est donc caractérisé si l’auteur agit en connaissance de cause[3]. La preuve de la différence de qualification des sévices graves par rapport aux actes de cruauté, tient à l’esprit même du texte, cette première qualification ayant été intégrée dans l'actuel article 521-1 dudit code (ancien article 453) dans le cadre de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, "pour assurer une réelle protection et une sanction conforme à la gravité des peines commises" dans la mesure où le législateur avait constaté que"la pratique prouve que l'application [du texte susvisé] reste rare compte tenu de l'interprétation extrêmement restrictive faite par les tribunaux du terme cruauté . Bien des mauvais traitements et des sévices graves ne sont passibles que d’amendes ou des peines de simple police"[4]. L'on précisera d'ailleurs que le délit d'abandon a été intégré au sein de cet article dans le cadre de cette même loi du 10 juillet 1976[5], le délit d’acte de cruauté ayant quant à lui été créé 13 ans plus tôt par la loi du 19 novembre 1963 relative à la protection des animaux[6]. Le législateur a donc apporté, au fil du temps, une réponse pénale afin que l’ensemble des maltraitances à l’égard des animaux domestiques et assimilés soient sanctionnées, et ce selon leur graduation: de la contravention de mauvais traitements caractérisée par des défauts de soins ou des mauvais traitements "simples", au délit de sévices graves soit des mauvais traitements aggravés en raison des circonstances de l’espèce (violence, conséquences de l’acte, etc), et enfin aux actes de cruauté, délit pour lequel l’auteur a présenté une volonté de faire souffrir ou mourir l’animal. Quant à l’acte sexuel, il aura fallu encore attendre la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, pour que ce délit à l'égard d'un animal domestique ou assimilé, soit intégré à l’article 521-1 du Code pénal[7].

Ces différentes qualifications et leurs éléments constitutifs comme ci-dessus rappelé, permettent donc de légitimement s'interroger sur celles qui ont été retenues dans de récentes affaires médiatisées relatives à des faits manifestement similaires même si, l’on en conviendra, il faudrait en connaître les détails afin d'apporter une analyse plus approfondie. Plus particulièrement, au mois de janvier 2019 le tribunal de police de Bourg-Saint-Maurice a condamné au versement d’une amende de 600 euros dont 200 euros avec sursis, manifestement en tant que contravention d’atteinte volontaire à la vie d’un animal domestique, un homme qui "furieux de trouver une nouvelle fois sa poubelle éventrée, (…) s’était acharné à coups de pied sur le pauvre (chien) qui avait fini par succomber à ses blessures"[8].Le même mois, le tribunal correctionnel de Niort a quant à lui condamné un prévenu à 15 mois de prison ferme sur le fondement de l'article 521-1 du Code pénal "pour avoir battu son chien à mort", l’article de presse précisant que "la pauvre bête avait subi d'importants sévices, comme des brûlures ou des entailles"[9]. Puis, plus récemment, c'est également sur le fondement du texte susvisé qu'une personne a accepté le 1er mars dernier, dans le cadre d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)[10] au tribunal de Tarbes, la peine proposée de trois mois de prison avec sursis et mise à l'épreuve pendant une durée de deux ans avec obligation de soins[11]. L’homme avait éventré son yorkshire qui avait évidemment succombé à cet acte.

Si les deux dernières affaires semblent effectivement bien porter sur les délits réprimés par l’article 521-1 du Code pénal, il peut apparaitre surprenant que le premier dossier n’ait engendré des poursuites que sur le plan contraventionnel. L’animal n’est manifestement pas mort du fait d’une négligence mais de coups d’une particulière violence, portés dans un dessein de vengeance à l’égard du chien qui venait d’éventrer une poubelle. Or les sévices graves et actes de cruauté constituent des délits passibles"de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende". Comme déjà précisé, seule une connaissance détaillée de l’affaire permettrait d’y apporter une critique approfondie. Rappelons toutefois que selon l’article 540 du Code de procédure pénale, "si le tribunal de police estime que le fait constitue un crime ou un délit, il se déclare incompétent. Il renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera".

Outre les coups mortels apportés à un chien, les trois affaires susvisées présentent un autre point communtenant au fait que les auteurs avaient consommé de l'alcool. S'il est vrai que doit être respecté le principe de proportionnalité de la sanction[12] et que "toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée" (article 132-1, alinéa 2 du code pénal), il n'en demeure pas moins que l’intempérance ne saurait constituer en soi une circonstance atténuante de l'infraction. Quant à l’éventuel argument d’altération, voire d’abolition, de la responsabilité du fait des effets de l’alcool[13], "la jurisprudence dominante se refuse en général à voir dans l’ivresse une cause d’irresponsabilité pénale"[14]. Une telle position s'explique aisément dans la mesure où le législateur considère tout au contraire que la consommation d’alcool constitue une circonstance aggravante de certaines infractions, engendrant une augmentation des peines encourues, tel qu’en matière d’"atteintes involontaires à l'intégrité de la personne" (article 222-19-1 du Code pénal). L’individu qui se met volontairement dans un état d’ivresse doit donc en assumer les conséquences, notamment pénales.

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[1] Article 131-13 du Code pénal : "Constituent des contraventions les infractions que la loi punit d'une amende n'excédant pas 3 000 euros.

Le montant de l'amende est le suivant :

1° 38 euros au plus pour les contraventions de la 1re classe ;

2° 150 euros au plus pour les contraventions de la 2e classe ;

3° 450 euros au plus pour les contraventions de la 3e classe ;

4° 750 euros au plus pour les contraventions de la 4e classe ;

5° 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5e classe, montant qui peut être porté à 3 000 euros en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit, hors les cas où la loi prévoit que la récidive de la contravention constitue un délit."

[2] Cass. crim., 30.05.2006, pourvoi n° 05-81.525

[3] Cass. crim., 04.09.2017, pourvoi n°06-82.785, Bull. crim. 2007 n°191

[4] Extrait des débats parlementaires, Assemblée Nationale, séance du 22 avril 1970

Cf. également en ce sens "Animal - Des avocates pour les animaux", Droit pénal n° 2, Février 2018, Lexis Nexis

[5] Cf. article 13 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature

[6] Cf. article 1er de la loi n°63-1143 du 19 novembre 1963 relative à la protection des animaux

[7] Cf. article 50 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité

[12] Cons. Const., 4 décembre 2013, n°2013-679 DC : "il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue"

[13] Article 122-1 du Code pénal :

"N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. (…)"

[14] "Troubles psychiques – Malades mentaux", Évelyne BONIS, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Octobre 2018, Dalloz

 

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