Japon : pourquoi l'université discriminait réellement les jeunes femmes ?

Auteur(s)
Damien Durand
Publié le 08 août 2018 - 18:17
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L'université de médecine de Tokyo
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©Kazuhiro Nogi/AFP
L'université de médecine de Tokyo baissait les notes des filles à l'examen d'entrée.
©Kazuhiro Nogi/AFP
Le Japon est secoué par une affaire de discrimination sexiste dans l'une de ses universités de médecine, où les candidates au concours d'entrée voyaient leurs notes rabaissées. Mais derrière la misogynie apparente se cache aussi un scandale de favoritisme sur certains candidats en particulier.

Ils ont reconnu leurs pratiques lors d'une conférence de presse mardi 7 et, répondant à un usage courant au Japon, ont fait acte de contrition devant les journalistes. Le président et le directeur de l'université de médecine de Tokyo (la "Tôkyô Ika Daigaku") qui forme des médecins depuis 1916 ont confirmé que, depuis 2006, ils revoyaient à la baisse les notes des femmes qui se présentaient au concours d'entrée de l'établissement. Le but? Maintenir la féminisation des effectifs autour d'un plafond de 30% dans un contexte où de plus en plus de filles se présentaient pour rentrer aux portes du prestigieux établissement, particulièrement sélectif.

Mais si l'information a fait le tour de la planète en étant souvent interprétée comme le stigmate d'une société japonaise misogyne, la réalité est plus complexe. Elle met surtout en lumière des pratiques de gestion qui font peu de cas des mérites individuels des étudiants, pour accomplir d'autres buts. Les deux dirigeants ont en effet expliqué une nouvelle fois devant les journalistes que leur choix de défavoriser les femmes était dicté par la lutte contre la pénurie de médecins dans un Japon vieillissant, dont les besoins d'encadrement médical sont croissants (au moins dans les hôpitaux affiliés à l'école). Il est courant effectivement pour les femmes japonaises, y compris chez les CSP+, qu'elles réduisent leur investissement professionnel (voire arrêtent tout bonnement de travailler) après un mariage ou la venue d'un enfant. C'est donc pour limiter à 30% les médecins qui pourraient potentiellement arrêter leur carrière prématurément que l'administration a discriminé les femmes, selon leur version.

La tendance est sans doute pratiquée bien au-delà de la seule institution tokyoïte: les femmes ne représentent, selon un chiffre de l'OCDE de 2015, que 20,3% des docteurs exerçant dans le pays, le taux le plus faible des 34 pays étudiés (sur 36 membres de l'OCDE).

Lire aussi: Japon: une école de médecine soupçonnée d'avoir baissé les notes des femmes au concours

Les femmes n'étaient pourtant pas les seules candidates lésées par l'université de médecine puisque les deux dirigeants ont confirmé également qu'ils rabaissaient aussi les notes des candidats masculins, qui se présentaient pour la quatrième fois au moins au concours. L'établissement voulait ainsi réduire le nombre de candidats ne réussissant qu'à "l'usure" mais soupçonnés d'être médiocres et qui risqueraient de ne pas réussir l'examen national, au bout de six ans de scolarité, qui permet de commencer à pratiquer la médecine. L'université ne voulait pas ternir sa réputation avec un nombre d'échecs trop élevé.

La justification de "l'efficacité", en plus d'être discutable sur le principe, ne doit pas non plus occulter l'autre affaire qui frappe l'université de médecine et qui constitue au Japon une part peut-être plus grande encore du scandale: les accusations de favoritisme envers certains candidats, sur fond de corruption. Sur les deux dernières sessions d'examen selon le grand quotidien local Yomiuri Shimbun, au moins 19 étudiants ont vu leur note améliorée (probablement au détriment des filles) étant considérés comme des aspirants prioritaires en tant que fils d'anciens élèves de l'établissement. L'objectif? Convaincre leurs parents appartenant aux cercles d'"alumni" (les anciens élèves, des structures puissantes au Japon) d'effectuer des donations en faveur de l'école. Le journal explique que depuis au moins 2010, l'organisation des anciens élèves dresse chaque année une liste des enfants de leurs membres qui se présentent au concours, liste qui est ensuite communiquée à l'école, a priori pour favoriser la candidature des concernés. Un système plus proche de la corruption que du sexisme organisé. C'est d'ailleurs une enquête sur des faits de favoritisme envers certains aspirants qui a permis de découvrir, et de voir fuiter dans la presse, la discrimination organisée par genre.

Signe malgré tout d'un problème inhérent à l'éducation japonaise dans son rapport aux femmes, un représentant du ministère de l'Education en charge du dossier a expliqué au journal Asahi Shimbun que les universités ont le droit d'ajuster leur ration hommes/femmes comme elles l'entendent, dans la mesure où les quotas sont clairement annoncés aux candidats. Le seul tort de l'université de médecine de Tokyo, selon cette source, serait de ne pas avoir été transparente sur ses pratiques...

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