Attentats de Paris : les rescapés à des "apéros thérapeutiques"

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 15 janvier 2016 - 10:25
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Attentats Paris 13 nov 2015 Bataclan Fleurs
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"J'ai l'impression qu'on était tous dans une tranchée. Après la guerre, tu retournes chez toi, mais tout ce que tu veux, c'est retrouver tes potes" de tranchée, dit un des rescapés.
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Ils se disent rescapés, pas survivants, un mot qui leur rappel trop qu'ils ont frôlé la mort, le 13 novembre dernier, dans les rues de Paris. Depuis, un collectif informel est né via Facebook et rassemble plusieurs centaines de ces victimes bien vivantes, camarades dont l'amitié à été forgée par l'horreur qui s'entraident et se soutiennent.

T'étais où? T'es sorti par où? T'as perdu quelqu'un? Quelques questions pour cerner l'interlocuteur. Les attentats du 13 novembre ont donné naissance à une nouvelle communauté, les rescapés, qui échangent sur les réseaux sociaux et se retrouvent lors d'"apéros thérapeutiques" pour partager l'indicible.

Mercredi 14 au soir, dans un pub parisien, les clients adossés au comptoir descendent des bières. Ici on partage le goût du houblon et une expérience de la mort. Tous ont "vécu" le 13 novembre. La majorité au Bataclan, même le barman. Tous se sont connus par la page Facebook Life for Paris, un groupe privé créé par une rescapée. Aujourd'hui, ils sont plus de 400. Du Bataclan, où 90 personnes ont été tuées, mais aussi "des terrasses" et "du stade", des témoins ou des proches de victimes. Pour intégrer la communauté, il faut fournir un billet de concert, des photos, un certificat médical...

"On a commencé des +apéros thérapeutiques+", explique Cédric Rey, 27 ans, qui se trouvait au Bataclan Café. Une thérapie improvisée autour de "ce lien": "on était tous en enfer ce soir-là." Rechercher ceux qui étaient là, les reconnaître, les toucher, un besoin pour le jeune homme, notamment en retournant sur les lieux du crime. C'est là qu'il rencontre Nahomy Beuchet, 19 ans. "La première semaine, toutes les nuits, on allait ensemble au Bataclan, de 19h à 5h du matin. On allumait des bougies, on tournait en rond, on parlait avec les flics en faction. On était dans le gaz, des zombies".

La blondinette se sentait "seule avant de connaître le groupe". A ses compagnons de malheur, Nahomy demande systématiquement s'ils étaient dans la fosse, "le pire endroit où être ce soir-là". Ses pairs l'ont aidée "rien que pour retracer chronologiquement ce qui s'est passé". Mais ce ne sera pas "suffisant", "j'ai pris la décision de quitter Paris. Je vais commencer une nouvelle vie".

"On est beaucoup à avoir coupé les ponts avec nos amis, notre entourage habituel. Certains nous disent +faut tourner la page+. Je les comprends, le temps passe. Charlie Hebdo, j'ai vu ça comme spectateur", analyse Cédric. Rescapés, pas survivants. Pour Cédric, "survivant, ça nous remet dans la tronche qu'on a tous failli y passer ce soir-là". Et comme un discours d'ancien combattant: "j'ai l'impression qu'on était tous dans une tranchée. Après la guerre, tu retournes chez toi, mais tout ce que tu veux, c'est retrouver tes potes", ceux qui étaient dans la tranchée.

A chaque soirée -une par semaine environ-, des rires et des larmes, des "qui craquent". Des mains dans le dos, câlins collectifs. "Est-ce que je peux te serrer dans mes bras?", interrogent les nouveaux venus.

"Y'a de l'amour, du contact", confirme Catherine, 35 ans. "Mes amis, ma famille font ce qu'ils peuvent, mais ils sont maladroits, je ne peux pas leur en vouloir. Ils y étaient pas", lâche-t-elle. Il y a ceux qui parlent "le même langage", ceux "qui savent", ceux "qui comprennent". Et les autres.

"Tu as toujours peur quand tu racontes les détails aux proches, ils veulent savoir combien de sang...", confie Giulia, une étudiante italienne de 33 ans. "A eux, tu n'as même pas à dire comment tu te sens, ils le savent déjà". Naît un lien indéfectible: "tous les jours, je me connecte à la page Facebook. Je suis devenue accro à ça. Ma psy me dit que je devrais prendre mes distances. Je ne peux pas passer à autre chose, c'est toute ma vie", reconnaît Catherine.

D'autres se veulent plus modérés, tel Anthony, 36 ans, qui parle d'un "club des victimes": "je ne ressens pas un besoin viscéral de les voir, il y a une proximité naturelle, mais je ne passerais pas ma vie avec".

Tous attendent avec impatience le 16 février, lorsque les Eagles of Death Metal remonteront sur scène, à l'Olympia, pour "finir" le concert.

En sortant du bar, les rescapés vont dîner dans un restaurant, trinquent en mémoire des victimes. Quand l'addition arrive, la nuit bien avancée, l'un d'entre eux demande "qui y va?". Irrémédiablement ramenés au Bataclan.

 

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