Chantage au Maroc : les deux journalistes disent avoir été "piégés"

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JmC
Publié le 31 août 2015 - 13:04
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Eric Laurent Journaliste Maroc
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©Capture d'écran RTL
Comme sa consoeur Catherine Graciet, Eric Laurent affirme avoir été "piégé" par le royaume du Maroc.
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Les deux journalistes accusés de chantage contre le Maroc, Eric Laurent et Catherine Graciet, reconnaissent avoir accepté de l'argent mais affirment que c'est le royaume du Maroc qui a proposé la transaction, en échange de la non-publication de leur livre.

Accusés de tentative de chantage contre le Maroc, les journalistes Catherine Graciet  et Eric Laurent se défendent et maintiennent leur version: ils ont été piégés, disent-ils.

Dans deux interview à RTL et Le Parisien/Aujourd'hui en France ce lundi 31, tous deux reconnaissent avoir accepté de l'argent pour renoncer à publier un livre compromettant sur le royaume du Maroc, mais affirment que c'est ce dernier qui a eu l'idée de la transaction.

"Evidemment que c'est un piège. Ce n'est pas un piège, c'est un traquenard!", a affirmé Eric Laurent à RTL, reconnaissant avoir signé un document avec un représentant du roi Mohammed VI: "Ce deal, je ne l'ai pas proposé, on me l'a proposé d'une façon insidieuse. Il était évident en effet que ce n'était pas pour dealer avec moi, c'était pour me piéger, bien entendu. Mais ce deal je l'ai accepté, et c'était un deal personnel, c'est une transaction, c'est mon travail, j'ai le droit de le publier, et j'ai le droit également de ne pas le publier".

De son côté Catherine Graciet, dans son interview au Parisien/Aujourd'hui en France,  affirme elle aussi être "tombée dans un piège", tout en reconnaissant s'être "laissée tenter" par une grosse somme pour renoncer à publier leur livre.

"Je n'ai jamais voulu faire chanter qui que ce soit. Je suis tombée dans un piège", y affirme-t-elle. "Le Maroc a voulu se débarrasser de quelqu'un de gênant pour le Palais. Dans cette histoire, c'est le Palais qui propose, le Palais qui corrompt".

La journaliste, 41 ans, qui enquête depuis 10 ans sur le Maroc, dit avoir été, ces dernières années, "filée, au Maroc mais aussi à Paris, (…) harcelée, photographiée, insultée, menacée de mort sur les réseaux sociaux".

Elle a déjà écrit deux livres critiques sur le Maroc et le troisième, qu'elle devait publiait avec Eric Laurent, "était apocalyptique", dit-elle. "Nous avions décidé de travailler sur la famille royale, ses querelles, son train de vie... L'enquête a été difficile parce que les gens ont peur de parler. Malgré tout, nous étions prêts. Nous avions réuni des documents, trouvé des dizaines de témoins, découvert des affaires très lourdes, y compris sur le plan pénal... Le contrat d'édition signé fin 2014 avec le Seuil prévoyait une parution au premier semestre 2016. Nous allions commencer à rédiger pour une remise du manuscrit fin octobre".

Selon sa version, Eric Laurent a contacté le secrétariat particulier de Mohammed VI pour avoir des réponses aux accusations avancées dans le livre, et non pour proposer de renoncer à le publier en échange d'une somme d'argent. C'est au contraire l'avocat du roi Mohammed VI, Hicham Naciri, qui aurait proposé la transaction: "A mon retour (de vacances), Eric Laurent m'a dit qu'il avait rencontré Hicham Naciri et que celui-ci lui avait proposé 3 millions d'euros contre la non-parution du livre! Pour moi, à ce moment-là, c'est inconcevable..."

Par la suite, "le Maroc a réitéré sa proposition de façon explicite", selon la version d'Eric Laurent que rapporte Catherine Graciet. Celle-ci se rend alors à une troisième rencontre avec des représentants du Maroc (Eric Laurent en avait eu deux auparavant), jeudi 27 août –jour où les deux journalistes ont été appréhendés par la police.

Et dans cette troisième rencontre, elle avoue avoir cédé à ce qu'elle affirme être la proposition marocaine: "Oui, je me suis laissée tenter (elle fond en larmes...). J'ai eu un accès de faiblesse... C'est humain, non? Chacun se demande ce qu'il ferait de sa vie avec 2 millions d'euros. Essayez d'imaginer la situation. Et c'était pour renoncer à un livre, pas pour tuer quelqu'un...", explique-t-elle dans cette interview au Parisien/Aujourd'hui en France.

"Quand j'ai signé le protocole où nous renonçons à écrire sur la monarchie, je me dis aussi que j'ai la preuve que c'est (l'avocat du roi) un corrupteur, puisqu'il l'a signé lui aussi. Et, comme c'est le Palais qui propose l'argent, j'y vois un deal privé entre deux parties. Je sais que, déontologiquement, moralement, ce n'est pas génial, mais je n'y vois rien de mal pénalement".

Même son de cloche de la part d'Eric Laurent, qui nie toute tentative de chantage: "Certainement pas", a-t-il affirmé sur RTL.

A la question d'Yves Calvi "Avez-vous accepté de ne pas publier votre dernière enquête contre de l'argent du roi du Maroc?", il a répondu: "Oui".

Mais, selon lui, c'est le représentant du roi du Maroc qui a proposé la transaction aux deux auteurs du livre: "C'est lui qui insinue +Après tout, ce livre est très gênant pour nous, etc., est-ce que vous accepteriez un deal?+. J'ai dit pourquoi pas sur le principe, mais je n'y crois pas vraiment, la première fois, mais bien sûr que j'accepte un deal! Mais à aucun moment, je veux dire, c'est choquant encore une fois, je veux dire ce deal qui était une transaction privée, ça me regarde quand même, c'est mon ouvrage, j'en fais ce que je veux. (…) Ma consoeur était d'accord, et cette transaction privée est transformée par la partie adverse en un chantage, enfin en tout cas en une tentative de chantage de ma part, mais c'est absurde!"

"Oui, j'ai manqué de prudence, bien sûr, évidemment. J'ai manqué de prudence mais je n'imaginais pas qu'ils voulaient à ce point-là nous abattre", a ajouté Eric Laurent, 68 ans, rappelant que cela faisait "25 ans (qu'il fait) des livres d'enquêtes", dont Le roi prédateur (Ed. Seuil) sur Mohammed VI, co-écrit avec Catherine Graciet en 2012.

"La déontologie, je n'ai absolument pas besoin d'en recevoir, absolument pas de leçon à recevoir. Je fais depuis 30 ans ce métier avec une certaine rigueur, on n'a jamais pu me coincer sur quoi que ce soit dans tous mes livres précédents, donc là c'est pas recevable, parce que encore une fois ce n'est pas du chantage, il n'y a aucun élément dans ce dossier qui prouve ou qui montre que c'est du chantage", a-t-il poursuivi.

Sur RMC, Eric Laurent a donné d'autres précisions sur les raisons privées qui l'ont amené à accepter du Maroc une importante somme en échange du renoncement à publier leur livre: "J'ai une situation personnelle très difficile. Ma femme est très malade, elle a un cancer généralisé. La seule solution qui reste c'est un vaccin expérimental pratiqué aux États-Unis, et je me suis dit que cet argent m'aiderait. (…) Évidemment que j'ai besoin de cet argent, mais je ne l'ai pas sollicité. Je reconnais une faiblesse, mais je n'ai pas à rougir".

 

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