Fudji, chien martyr symbole de la lutte contre les actes de cruauté envers les animaux

Auteur(s)
Jean-Marc Neumann, édité par la rédaction
Publié le 13 septembre 2018 - 19:02
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Un Berger Allemand.
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©Capture d'écran YouTube
A ce stade du droit français, voler un chien est plus risqué que le torturer... (illustration).
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L'histoire de Fudji, chien brûlé vif par une femme qui en avait la garde, a ému la France. Au-delà du fait divers atroce, Jean-Marc Neumann, juriste chargé d'enseignement en droit de l'animal à l'université de Strasbourg, explique pour France-Soir en quoi améliorer la protection juridique des animaux est indispensable. Ne serait-ce que pour mieux protéger les êtres humains.

L’acte, d’une effroyable cruauté, a défrayé la chronique en juillet dernier. Le martyr de "Fudji" le chien a été relayé par tous les médias et déclenché des réactions passionnelles d’une rare violence de la part des internautes sur les réseaux sociaux.

Cette affaire est extrêmement intéressante car elle nous dit beaucoup sur l’extrême violence dont les animaux peuvent faire l’objet et sur la réponse pénale qui y est apportée.

Revenons brièvement sur les faits et le jugement rendu le 10 septembre dernier avant d’examiner le droit applicable en matière d’actes de cruauté et de conclure sur sa nécessaire évolution dans l’intérêt des animaux et des humains. 

1/ L’affaire Fudji

Le 10 août 2018 à Sagy, petite commune de Saône-et-Loire, une éleveuse de 38 ans a commis un geste d’une exceptionnelle gravité sur le berger allemand de son compagnon. Elle a jeté de l’essence sur Fudji et y a mis le feu. En dépit des soins apportés par l’équipe vétérinaire à laquelle l’animal avait été confié, il est malheureusement décédé le 20 août des suites de ses graves brûlures.

Le martyr de Fudji a été très largement médiatisé et a entraîné un déchaînement de violences à la hauteur des faits commis. L’éleveuse a fait l’objet d’un lynchage d’une rare violence sur les réseaux sociaux avec d’innombrables menaces de mort ou de lui faire subir le même sort qui ont été proférées à son encontre.

Cette violence dit beaucoup sur notre société et sur la façon dont elle réagit désormais (réactions facilitées par les réseaux sociaux qui, pour certains, sont devenus un véritable terrain de défoulement) à des actes de cruauté exercés sur des animaux de compagnie (chiens ou chats notamment).

Rapidement des pétitions en ligne ont été lancées afin que l’éleveuse soit condamnée à une peine exemplaire [(1) et (2)] et que des milliers d’internautes ont signées.

Onze parmi les plus importantes associations de protection animale se sont saisies du dossier et se sont constituées partie civile pour faire entendre leur voix afin qu’une réponse pénale à la hauteur des faits y soit apportée.

La jeune éleveuse a été poursuivie pour "acte de cruauté" et son procès s’est tenu le 3 septembre devant le tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône. Elle encourait, selon l’article 521-1 du code pénal une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende.

Environ 200 personnes s’étaient mobilisées et réunies devant le Palais de Justice pour défendre la mémoire de Fudji et demander une justice "exemplaire".

Comment une éleveuse, une personne dont a priori on peut légitimement penser qu’elle "aime", les chiens a-t-elle pu commettre pareille ignominie? 

Lors du procès (voir notre article ci-dessous, NDLR), elle a déclaré avoir été mordue à plusieurs reprises par Fudji et avoir développé une phobie envers ce chien qui se montrait "toujours agressif avec elle. Je voulais qu’il parte ». Son avocate a mis en avant l’état psychologique extrêmement fragile de l’auteure des faits qui aurait fait une tentative de suicide l’an passé et qui était suivie par un psychologue.

A Lire- Elle met le feu au chien de son compagnon: un an de prison ferme

Le parquet a demandé que l’auteure des faits soit reconnue coupable d’acte de cruauté sur animal et qu’elle soit condamnée à 18 mois de prison dont 9 mois ferme. Le jugement a été mis en délibéré durant une semaine pour "calmer les esprits".

Par jugement rendu le 10 septembre, les magistrats sont allés au-delà des réquisitions du parquet et l’ont condamnée à deux ans de prison dont un an ferme, à une obligation de soins durant un an, à 1.500 euros de dommages-intérêts en faveur de son ex-compagnon propriétaire de Fudji, à l’interdiction de détenir et de s’occuper d’animaux durant cinq ans, à des dommages-intérêts de un euro à chacune des onze associations parties civiles et enfin à une mise à l’épreuve de deux ans.

Que penser du jugement? les sanctions prononcées paraissent justes et équilibrées en l’état du droit actuel. L’auteure des faits n’avait jamais fait l’objet de signalements ou de condamnations pour violence à l’encontre d’animaux. Son casier judiciaire était vierge. Dans le prononcé d’un jugement les magistrats tiennent nécessairement compte du parcours pénal de l’intéressé.

Néanmoins et nonobstant la virginité du casier pénal de l’éleveuse, les magistrats, au regard de la gravité des faits, sont allés au-delà des réquisitions du parquet afin de bien signifier que ce type d’acte est extrêmement grave et qu’il doit être puni de façon exemplaire.

C’est un signal fort envoyé à tout tortionnaire potentiel. Il était nécessaire et même indispensable.

2/ Le droit applicable en matière d’actes de cruauté sur animal

Les actes de cruauté sur un animal (sauf animaux sauvages vivant à l’état de liberté) constituent depuis la loi 19 novembre 1963 un délit. L’article 521-1 du code pénal les réprime de 2 ans d’emprisonnement et 30.000 € euros d’amende. Ces peines peuvent faire l’objet d’un sursis.

Qu’est-ce qu’un acte de cruauté? Selon une décision rendue par la Cour de cassation en date du 13 janvier 2004 (n° 03-82.045) il faut qu’il y ait existence de "sévices ou actes de cruauté accomplis intentionnellement dans le dessein de provoquer la souffrance ou la mort".

Ainsi que le précise Muriel Falaise, maître de conférences en droit privé à l’université Jean Moulin (Lyon III) dans son ouvrage Droit animalier (3) "L’acte de cruauté se caractérise comme un acte volontaire et conscient, en vue de faire souffrir sans nécessité un animal ou de provoquer sa mort. La motivation de l’acte repose sur une intention perverse, barbare ou sadique".

Aux peines principales (emprisonnement et amende) s’ajoutent des peines complémentaires que le tribunal peut prononcer: interdiction temporaire ou à vie de détenir un animal, interdiction d’exercer pour une durée maximale de cinq ans et confiscation de l’animal.

Les tribunaux qui pendant très (trop) longtemps se contentaient de prononcer des peines d’amende légères (quelques centaines d’euros) et, parfois, des peines de prison de quelques mois assortis du sursis ont progressivement changé le regard posé sur ces sordides affaires. Dans l’affaire très médiatisée du chaton Oscar en 2014 (4) le tribunal correctionnel de Marseille avait prononcé le 3 février 2014 une peine de prison ferme d'un an à l’encontre de l’auteur de l’acte "Farid de la Morlette"… mais il est vrai que l’individu était déjà défavorablement connu des services de police. Il est donc probable que son "pedigree" ait influé sur la peine prononcée.

Il convient toutefois de relever avec satisfaction que depuis la reconnaissance par le code civil de la sensibilité de l’animal par la loi du 16 février 2015 (article 515-14 du code civil), les magistrats paraissent plus audacieux et n’hésitent plus désormais à prononcer des peines d’emprisonnement ferme.  Ainsi, très récemment, deux affaires particulièrement sordides ont donné lieu à des sanctions exemplaires dans lesquelles les magistrats ont retenu la peine maximale de deux ans d’emprisonnement: l’affaire du chien Attila (5) et celle du tortionnaire de chats de Caen (6).

Cette prise en compte plus systématique de la souffrance animale par les tribunaux doit être saluée mais elle n’est pas suffisante car la répression doit encore être renforcée.

3/ La nécessaire évolution de la répression des actes de cruauté

Le niveau actuel des sanctions mérite d’être relevé et ce, pour deux raisons principales:

> La première raison tient à la mise en cohérence de notre droit

En effet, les animaux étant désormais reconnus par le code civil comme des êtres sensibles et ayant été extraits de la catégorie des biens, ils doivent faire l’objet d’une protection renforcée contre les actes de cruauté. Les sanctions actuelles prévues par l’article 521-1 du code pénal sont inférieures à celles réprimant un vol simple (trois ans et 45.000 euros d’amende) ce qui parait pour le moins surprenant. Ainsi, le vol d’un animal (ou d’un objet) se trouve être plus lourdement réprimé que des actes de torture sur un animal. Cela est totalement incohérent et même choquant car la gravité des faits n’est pas comparable.

Il convient de rappeler que des propositions de loi ont été récemment (depuis 2015) déposées pour relever le niveau des sanctions et veiller ainsi à une vraie cohérence de notre droit [(7) et (8)] et tout dernièrement au mois de mai (9).

Comment se situe la France par rapport à d’autres pays européens à ce sujet? Selon Muriel Falaise (5) "peu de pays européens prévoient des peines privatives de liberté. En France la peine maximale encourue est de deux ans, contre cinq ans en Irlande, quatre ans en Finlande, trois ans en Suisse et en Allemagne". Quant aux peines d’amende, Muriel Falaise précise que la France se situe dans la moyenne européenne mais que le montant varie fortement selon les pays « 250.000 euros en Irlande, 100.000 euros en Espagne, 50.000 euros en Allemagne, 7.500 euros en Autriche, 2.000 euros en Belgique".

> La seconde raison tient à une meilleure protection des humains

Des études scientifiques ont démontré le lien entre violences exercées à l’encontre d’un animal et violences domestiques à l’encontre de membres de la cellule familiale  (10).

Un acte de cruauté exercé sur un animal n’est pas anodin, ne doit pas être banalisé ou sous-estimé; il est révélateur d’un comportement anormal d’un individu potentiellement dangereux pour la société. L’animal est, selon l’expression consacrée, une "sentinelle" des violences domestiques.

Il est donc essentiel que les magistrats saisis d’affaires de maltraitance animale les traitent avec le plus grand soin et perçoivent bien le caractère potentiellement dangereux de leur auteur(e).

Ainsi que le précisent Marie Pelé et Cédric Sueur (10) "Ces recherches mettent également en avant le fait que les abus aux animaux de compagnie sont une tactique coercitive utilisée par les abuseurs pour contrôler les partenaires. 92 % des victimes de violence domestique avouent elles-mêmes que les abus sur animal domestique sont un moyen de pression et de contrôle des abuseurs sur elles-mêmes ou leurs enfants. La plupart des femmes victimes de violences décrivent les maltraitances de leur compagnon sur l’animal de compagnie comme un moyen de passer sa colère, de se venger ou de punir la femme en tant que telle. McDonald et al. (2015) décrivent que les enfants voient les maltraitances faites aux animaux dans leur foyer comme un moyen de maintenir et de créer la peur au sein de ce foyer, d’isoler la mère ou de l’empêcher de quitter le foyer. Loring and Bolden-Hines (2004) suggèrent également que les abuseurs peuvent menacer de violenter les animaux domestiques afin de forcer les membres du foyer à commettre des actes illégaux ou les empêcher de témoigner d’actes illégaux".

L’Étude consacrée au lien entre violence domestique et maltraitance animale réalisée pour la Fondation AP Sommer (11) mérite d’être citée. Ainsi que le précise l’auteure du rapport "L’enquête de terrain réalisée en 2014-2015 auprès d’intervenant.e.s du secteur psycho-social et de personnes travaillant avec des animaux en France et en Belgique m’a amenée à penser que le lien entre violence domestique et maltraitance animale, quoique surprenant et inattendu au départ, paraît finalement aux gens de terrain intéressant, voire pertinent. Ce lien paraît intéressant surtout dès lors qu’il est question d’envisager la coexistence de différents types de violence au sein de foyers, ainsi que quand il permet une prise de conscience plus fine des détails, indices et signes de violence".

Ainsi, protection de l’animal et protection des humains vont de pair. Il est temps que la France rattrape son retard dans la prise en compte du lien entre les deux formes de violences. Cependant, au-delà des modifications législatives indispensables il convient de rappeler le rôle absolument essentiel de l’éducation qui doit servir à enraciner dès le plus jeune âge le respect indispensable de la vie et de la sensibilité des autres espèces.

Lire aussi, par Jean-Marc Neumann:

Etats-Unis: un cheval porte plainte contre son propriétaire

Plan Ours: difficile conciliation entre préservation de l’espèce et maintien des activités humaines

L'ingénieur tortionnaire de chats condamné, il accuse un médicament

Sources:

  1. https://www.mesopinions.com/petition/animaux/justice-exemplaire-fudji-berger-allemand-brule/47147
  2. https://www.petitions24.net/interdiction_a_lelevage_danimaux_pour_marie_christophe_tortionnaire_de_fudji_chien_gentil
  3. https://www.lgdj.fr/droit-animalier-9782749538037.html
  4. https://www.lemonde.fr/planete/article/2014/02/03/chaton-torture-une-condamnation-exemplaire_4359214_3244.html
  5. https://www.chien.fr/actualite/peine-exemplaire-pour-le-tortionnaire-d-attila-chien-battu-puis-defenestre-en-fevrier/
  6. https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/calvados/caen/caen-tortionnaire-chats-nouveau-devant-tribunal-suite-17-nouvelles-plaintes-1514343.html
  7. https://www.lepointveterinaire.fr/actualites/actualites-professionnelles/150729-frederic-lefebvre-propose-d-alourdir-les-sanctions-penales-pour-proteger-l-animal.html
  8. http://www.senat.fr/leg/ppl14-657.html
  9. http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion1007.asp
  10. http://www.fondation-droit-animal.org/96-lien-entre-violence-domestique-et-violence-sur-animaux/
  11. https://fondation-apsommer.org/wp-content/uploads/2018/01/Fondation-A-et-P-SOMMER-Bénédicte-de-VILLERS-étude-exploratoire-consacrée-au-lien-link-entre-violence-domestique-et-matraitance-animale-2015.pdf

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