Gavage des palmipèdes et souffrances animales : quelles sont les règles

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Marion Renson-Bourgine, édité par la rédaction
Publié le 15 décembre 2017 - 17:39
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Une oie.
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©Desrus Benedicte/Sipa
Comme chaque année, lors des fêtes de fin d'années, la question de la souffrance des palmipèdes ressurgit.
©Desrus Benedicte/Sipa
A l'approche des fêtes de fin d'années et alors que de nombreux Français ont l'intention d'acheter du foie gras pour leurs invités, les pratiques du gavage refont parler d'elles et font toujours autant polémique. Pour "France-Soir", Marion Renson-Bourgine, juriste spécialisée dans le droit animalier, revient sur la règlementation autour du bien-être des palmipèdes soumis à cette pratique.

La période des fêtes arrivant se soulève une fois de plus la question de la souffrance des palmipèdes gavés pour le plaisir gustatif de l’Homme[1]. Mais que dit la règlementation à ce propos? Depuis que les animaux prennent une place particulière au sein de l’arsenal législatif avec leur qualité d’êtres vivants doués de sensibilité, cela n’implique pas pour autant que toute souffrance est prohibée à leur égard.

En effet, certaines souffrances sont légitimées par l’intérêt général. Le gavage des oies ou des canards fait partie de ces souffrances légitimées par la gastronomie française et les traditions culturelles[2] autour des fêtes de fin d’années ou selon les régions. Tel en dispose l’article L.654-27-1 du Code rural et de la pêche maritime: "Le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. (…)". Pour autant, leur qualité d’être sensibles a amené à poser certaines normes visant à améliorer au moins leurs conditions de vie.

Un arrêté ministériel a été mis en place le 21 avril 2015[3] afin de renforcer les normes d’hébergement des palmipèdes, en phase de gavage. Cet arrêté précise en son premier article qu'"on entend par palmipèdes les oies domestiques des espèces Anser anser f. domesticusou, Anser cygnoides f. domesticus et leurs croisements, les canards des espèces Cairinamoschata (canard de Barbarie) ou Cairinamoschata x Anas platyrhynchos (hybride de canard de Barbarie et de canard domestique), détenus pour la production de foie gras".

Il dispose dans un deuxième article des normes concrètes d’hébergement. Il est indiqué que "le nombre minimum de palmipèdes par logement ne peut être inférieur à 3". Mais aussi que "le logement ne doit pas présenter d'entrave au déploiement des ailes et à la réalisation des mouvements verticaux des palmipèdes" hormis lors"des périodes de contention ponctuelles par le propriétaire ou toute personne habilitée par celui-ci à manipuler les animaux".

De plus, la présence d'abreuvoirs longitudinaux est requise et doit permettre aux palmipèdes de couvrir leur tête avec de l'eau et, avec le bec, de projeter de l'eau sur leur corps sans difficulté. Ils doivent être maintenus dans un état de propreté satisfaisant. Quant au sol, il "doit être dépourvu d'éléments saillants. Les fientes ne doivent pas y rester accumulées". Toutes les installations des producteurs doivent être en conformité depuis le 1er janvier 2016.

Cet arrêté a été pris en considération de textes européens comme la directive du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages[4] et notamment la recommandation du Conseil de l’Europe de 1999[5]. Cette dernière a établi que les systèmes d’hébergement doivent prendre en compte plusieurs aspects pour le bien-être de ces animaux: Ils doivent pouvoir se tenir debout, se retourner, battre des ailes, interagir normalement avec d'autres individus...

Ces exigences impliquent l'abandon des cages individuelles (épinettes) et l'adoption de logements collectifs dans toutes les exploitations de canards utilisés à des fins de production de foie gras. Afin de permettre les recherches et développements techniques nécessaires au passage vers des logements collectifs, le ministre de l'Agriculture a accordé un délai de mise en œuvre aux producteurs français, supérieur à celui prévu par la recommandation[6], date ainsi fixée par l’arrêté ministériel.

Les normes d’hébergement ont été fixées grâce à un ensemble de programmes de recherche conduits depuis plusieurs années[7] ayant permis d'objectiver le comportement du canard et d'évaluer les conditions de logement nécessaires à l'expression de ses comportements. La plus forte contrainte sur le logement repose sur l’expression du battement d’aile puisqu’elle nécessite une large place afin que l’animal puisse déployer ses ailes sur le plan horizontal et s’étirer en hauteur sans être gêné par ses congénères ou par le logement. C’est un élément fondamental qui a été pris en considération dans les textes.

L’arrêté du 21 avril 2015 a été préalablement soumis à la consultation du comité du bien-être du Comité National d'Orientation de la Politique Animale et Végétale (CNOPSAV) en janvier 2015, rendant un avis favorable. Le bien-être des palmipèdes est respecté par les normes d’hébergement fixées. Et pourtant, les palmipèdes ne sont pas exemptés de la procédure douloureuse de gavage, ainsi incompatible avec leur protection en tant qu’êtres sensibles…

Cependant, il convient de remarquer d’autres types de travaux de recherche. Ces derniers méritent une attention toute particulière car ils proposent des alternatives au gavage. Par exemple, en contrôlant le microbiote intestinal d'oies d'élevage, un chercheur, le Pr Rémy Burcelin, directeur de recherche Inserm, parvient à produire du foie gras sans avoir recours au gavage[8]. Ont ainsi été créés Aviwell, ferme d'élevage comptant actuellement 150 oies ainsi qu'un centre de recherche et de développement à Pailhès, en Ariège.

Une collaboration entre éleveurs et chercheurs permet l’identification des bactéries intestinales favorisant le stockage des graisses. Avec la polémique autour du foie gras, ces thématiques de recherche et le développement du foie gras sans gavage forcé sont l’avenir.  Cet avenir pourrait ainsi pallier aux failles d’une production purement naturelle comme réalisée par l’éleveur espagnol d’oies, Edouardo Sousa. Un gavage naturel (appelé "éthique") est basé sur le mécanisme physiologique des oies, ces dernières stockant beaucoup de graisses juste avant l’hiver et les grandes migrations, dans un environnement adapté (chênes, oliviers, etc.). Or, la production réalisée ne peut répondre à des besoins à grande échelle (comme pour les élevages industriels) amenant la rareté du produit à des prix très élevés.

Les pratiques du gavage ne cessent de faire parler d’elles[9] et suggèrent toujours la polémique. C’est pourquoi, il serait intéressant de trouver des solutions nouvelles pour remédier à cette souffrance animale occasionnée par l’Homme pour son plaisir gustatif. Le parti animaliste par exemple propose tout simplement d’abolir la pratique du gavage tout en abrogeant l’article L.654-27-1 du Code rural et de la pêche maritime[10].

Le Conseil de l’Europe tolère la pratique[11] du gavage à condition d’en rechercher des alternatives. C’est pourquoi, les autres options au gavage représentent une solution adaptée au contexte actuel. Ainsi, rien n’indique que le gavage forcé perdurera…


[1]"La seule nécessité du gavage des oies réside dans le plaisir gustatif de l’Homme": Patricia HENNION-JACQUET, "La nécessité de tuer un animal: une notion polysémique au service de l’Homme", RSDA 1/2011, p. 16 (http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/96_RSDA_1-20111.pdf).

[2]Claire VIAL, "Le 7e alinéa de l’article 521-1 du code pénal: pourquoi plie-t-il, et ne rompt pas (pour l’instant)?" , RSDA 2/2014, p. 145 (http://www.unilim.fr/omij/files/2015/04/RSDA-2-2014.pdf); Brigitte GOTHIÈRE, Sébastien ARSAC et Pierre ATHANAZE, "Intérêts particuliers contre intérêt général… des animaux. Retour d’expérience associative face aux lobbies de la chasse et de l’élevage",  RSDA 2/2013, p. 348. (http://www.unilim.fr/omij/files/2014/03/RSDA-2-2013.pdf).

[3]Arrêté du 21 avril 2015 établissant des normes minimales relatives à l'hébergement des palmipèdes destinés à la production de foie gras.

(https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030537173&categorieLien=id)

[4]Directive 98/58/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages.

[5]Recommandation concernant les canards de barbarie (CairinaMoschata) et les hybrides de canards debarbarie etde canards domestiques (Anas Platyrhynchos) adoptée par le comité permanent de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages (T-AP) le 22 juin 1999.

[6]La recommandation prévoyait que toutes les installations doivent satisfaire aux exigences avant le 31 août 2010. Alors que l’Etat français a rallongé au 1er janvier 2016.

[7]Des travaux ont été conduits par le lycée d'enseignement général, technologique et agricole de Périgueux (LEGTA Périgueux) et l'école nationale d'ingénieur des travaux agricoles de Bordeaux (ENITAB).

[9] Lucille BOISSEAU-SOWINSKI, "Nécessité et légitimité de tuer des animaux: perspectives éthiques et juridiques" , RSDA 1/2016, p. 352 (http://www.unilim.fr/omij/files/2016/12/RSDA_1_2016.pdf).

[11]V. pour la difficulté de protection européenne du bien-être des animaux au regard des traditions culturelles étatiques: Vincent BOUHIER, "Le difficile développement des compétences de l’Union européenne dans le domaine du bien-être des animaux", RSDA 1/2013 (http://www.unilim.fr/omij/files/2013/11/RSDA-1-2013.pdf).

 

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