Un ancien sous-préfet soupçonné d'avoir "détourné" un tableau

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 13 mai 2016 - 13:29
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Une allégorie de la Justice.
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©Damien Meyer/AFP
L'affaire pourrait fort bien se finir devant un tribunal.
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Hugues Malecki, l'ancien sous-préfet de Brioude (Haute-Loire), est soupçonné d'avoir détourné une oeuvre du Mobilier national alors qu'il était en poste. L'homme, qui met l'affaire sur le compte de la négligence, a été placé sous contrôle judiciaire et pourrait fort bien finir devant le tribunal.

Il aimait les tableaux, peut-être un peu trop. L'ancien sous-préfet de Brioude (Haute-Loire) menait une carrière sans accroc jusqu'à ce que la justice le soupçonne d'avoir "détourné" une toile du Mobilier national. Vol ou négligence? Administrateur civil hors classe, Hugues Malecki, 48 ans, venait de prendre ses fonctions de secrétaire général pour les Affaires régionales (Sgar) de la préfecture de Normandie lorsqu'il a été interpellé et mis en examen, en février, par un juge du Puy-en-Velay. Placé en détention provisoire durant un mois et demi, il est désormais sous contrôle judiciaire.

Le haut fonctionnaire, suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, est suspecté du détournement d'une huile sur toile signée de l'artiste russe naturalisée française Natalia Sergeevna Goncharova (1881-1962), qu'il aurait subtilisée lorsqu'il était en poste à Brioude entre 2006 et 2007. Baptisé Dahlias et représentant un immense bouquet de fleurs débordant d'un vase, le tableau a été vendu à Londres par la maison d'enchères Sotheby's en mai 2012 pour 103.250 livres (près de 131.000 euros), selon la plate-forme en ligne Artnet qui enregistre les ventes d'œuvres d'art.

Un tableau "affreusement laid" pour le successeur de Hugues Malecki à Brioude. Franck Chaulet, aujourd'hui en poste à la préfecture de police de Paris, l'avait d'ailleurs fait déplacer dans une autre pièce, sans se douter qu'il avait devant les yeux... une copie. Car pendant de nombreuses années, c'est un faux, avec une signature imitant celle de l'artiste, qui a trôné dans les salons de la petite sous-préfecture, jusqu'à ce qu'une institution culturelle nationale réclame l'original en 2014 pour une exposition. Les services de l'État remarquent alors l'aspect bien trop neuf de la toile, datant des années 1940, et de son encadrement.

Une enquête est ouverte, qui mène à Hugues Malecki. En 2012, il avait vendu la toile sur internet, pour "moins de 12.000 euros", à un collectionneur, quelques mois avant que ce dernier ne la cède à son tour aux enchères, selon une source proche du dossier. "L'acheteur pouvait difficilement se douter que l'œuvre était volée, rien n'attestait qu'elle appartenait à l'État. Et par son statut, l'ancien sous-préfet était au-dessus de tout soupçon", souligne une autre source proche de l'enquête.

Marié et père de cinq enfants, officier vétérinaire dans l'armée avant d'intégrer la fonction publique d'État, l'homme force en effet le respect de ceux qui l'ont côtoyé. "Il respirait l'honnêteté et la loyauté", se souvient l'ancien préfet de Corrèze, François-Xavier Ceccaldi, qui l'avait recruté en 2002 comme directeur de cabinet. "A Tulle, il a été impeccable, une véritable tour de contrôle", juge ce préfet honoraire qui loue aussi sa "vivacité intellectuelle", "la finesse de ses analyses" et sa "réelle empathie". En Nouvelle-Calédonie, où Hugues Malecki fut secrétaire général de la mairie de Nouméa, un cadre de la municipalité garde le souvenir "d'un type hyper organisé, un peu militaire dans l'âme". "Il savait prendre des décisions rapidement et était très, très professionnel. Il était en même temps chaleureux, affable et déconneur. Jamais nous n'aurions pu imaginer une histoire pareille. A la mairie, tout le monde était abasourdi en l'apprenant", confie cette source sous le couvert de l'anonymat.

Son départ de Nouméa pour la Normandie semblait au contraire préfigurer une belle fin de carrière. "Il était dans l'antichambre pour devenir préfet", estime M. Ceccaldi. Alors comment expliquer une telle sortie de route? Par un amour inconsidéré pour l'art? S'il n'en a jamais fait étalage, l'homme est en effet amateur de peinture. Maniant lui-même le pinceau d'après plusieurs sources, il collectionnait les œuvres d'art, comme en témoigne un ancien journaliste de l'hebdomadaire La Ruche, à Brioude. "Il me montra un jour dans son appartement de fonction une nature morte du peintre allemand Franz Priking qu'il avait acquise", se remémore David Allignon. Le journaliste, qui travaille aujourd'hui au quotidien La Montagne, découvre également sur les murs un grand tableau représentant le fonctionnaire et sa famille dans un cadre bucolique. A Nouméa, ce sont des "objets d'art premier" qui décoraient son bureau, selon le personnel de la mairie.

Pourrait-il s'agir d'une simple négligence? Aux enquêteurs, M. Malecki a expliqué qu'ayant remarqué l'œuvre parmi les biens de la sous-préfecture, il avait voulu la faire restaurer. Avant d'opter pour une copie effectuée par un professionnel, opération moins onéreuse et légale si les dimensions diffèrent de l'original. Qu'il pensait, par la suite, remisé dans les combles de la sous-préfecture. Selon lui, ce n'est que cinq ans après son départ de Brioude qu'il serait retombé sur le tableau dans son garde-meubles, empaqueté "par inadvertance" avec d'autres œuvres par les déménageurs. Il s'en serait alors séparé dans la précipitation, sans réfléchir.

"Il n'a rien prémédité. Cette vente fait suite à la demande d'un acheteur à une période où il se séparait d’œuvres personnelles et où il avait à régler un certain nombre de difficultés dans sa vie", souligne son avocat, Me Mohamed Khanifar. "Il a fait un choix irrationnel, incohérent par rapport à sa psychologie, sa droiture et son éthique", ajoute le conseil. "Le juge a estimé qu'il y avait des éléments suffisants pour le mettre en examen et constituant une infraction caractérisée", rétorque le procureur de la République au Puy-en-Velay, Jacques Louvier. Bévue ou pas, l'affaire pourrait bien conduire l'ancien sous-préfet devant le tribunal. Et de poser la question du préjudice: l'État a lui évalué le tableau, désormais à l'étranger, à 900.000 euros.

 

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