Lockdown Files, partie 3 : comment Londres a orienté et censuré la question de l’origine du Sars-CoV-2, au nom de la diplomatie avec la Chine

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France-Soir
Publié le 28 mars 2023 - 02:17
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KIN CHEUNG / POOL / AFP
Rishi Sunak, le premier ministre anglais, est pris dans la tempête des Lockdown files.
KIN CHEUNG / POOL / AFP

LOCKDOWNFILES* - À propos de l’origine du coronavirus Sars-CoV 2, le 10 Downing Street à Londres ne s’est pas encombré de science, mais de politique. La théorie d’une fuite de laboratoire à Wuhan, pourtant considérée en privé comme "assez crédible" par le secrétaire d’État à la Santé britannique Matt Hancock, a été mise sous le boisseau dans le souci de maintenir une bonne entente commerciale avec la Chine. C’est ce que nous révèle un nouvel épisode des Lockdown files, récemment publié par le quotidien The Daily Telegraph.  

*Les Lockdown files, les "dossiers du confinement", sont un ensemble de 100 000 messages, échangés au cœur du pouvoir britannique via la messagerie WhatsApp, obtenus grâce à la journaliste Isabel Oakeshott. Divulgués au fur et à mesure de leur investigation par le journal britannique The Daily Telegraph depuis le 28 février 2023, ils offrent au grand public un éclairage unique quant aux choix et à la méthode opérés par l’exécutif anglais, dans le cadre de la gestion de l’épidémie de Sars-CoV 2. 

Les Lockdown Files nous apprennent que le livre de Matt Hancock, “Pandemic Diaries” (Journal de la pandémie), paru en décembre 2022, a été censuré par le Secrétaire du Cabinet - le grade le plus élevé pour un haut fonctionnaire en Angleterre en poste, attaché au Premier ministre - Simon Case, dans le but de préserver la relation diplomatique et commerciale du Royaume-Uni avec la Chine. 

Censure de l'hypothèse d'une fuite du laboratoire de Wuhan

La censure porte sur l'hypothèse émise d’une fuite de laboratoire pour expliquer l'origine du Sars-CoV 2.

En effet, dans la première version de ses mémoires, Matt Hancock écrit : “Vu la méfiance des Chinois, je pense que nous devons traiter leur version officielle des événements avec beaucoup de scepticisme (...). La peur des Chinois ne doit pas empêcher une enquête complète sur ce qui s’est passé”.  

De son propre avis, qu'il prévoit alors d'exprimer dans Pandemic Diaries, la possibilité d’une fuite de laboratoire à Wuhan est “assez crédible” : “C’est une trop grande coïncidence que la pandémie ait commencée dans la même ville que le laboratoire, qui, soit dit en passant, est à 40 minutes de route du marché présenté comme initialement lié à l’épidémie”.

Selon l’ex-Secrétaire d’État à la Santé, “la seule alternative plausible” est que “le virus a été transféré à Wuhan pour être étudié avant d’y fuiter”.

Les démentis de Pékin “ne tiennent pas la route”, poursuit Hancock, qui va jusqu’à ironiser en faisant un parallèle entre le laboratoire de Wuhan et la zone de recherche militaire britannique Porton Down : “C’est comme si nous affirmons qu’un virus s’est par hasard manifesté près d’un petit endroit appelé Porton Down et que c’est, peut-être, à cause de quelques blaireaux”.  

Des passages “très préjudiciables” à la relation Londres-Pékin

Les épreuves du manuscrit de Hancock, ont été transmises au bureau du Secrétaire du Cabinet en vue d'une approbation à l'automne 2022, comme l'y oblige le Ministerial Code.

En effet, ce dernier stipule que les anciens ministres qui souhaitent publier leurs mémoires sont tenus de soumettre leur texte à contrôle avant publication.

C'est à ce moment-là que Simon Case, nommé par Boris Johnson et maintenu jusqu’à aujourd’hui à son poste par Rishi Sunak, le nouveau premier ministre anglais, est intervenu. 

Les passages précités ont immédiatement été reformulés ou censurés. Le bureau du Secrétaire du cabinet a sommé le Secrétaire d’État à la Santé de modérer ses affirmations à propos de l’origine du coronarivus Sars-CoV 2, car le gouvernement “craignait que cela ne cause des problèmes avec la Chine”.  

La version officielle du Royaume-Uni est à cette époque alignée sur “le consensus international”.  Elle évoque une “coïncidence” entre les lieux du laboratoire et la découverte du virus. Une position qui a été “exprimée de manière catégorique”, selon The Telegraph.  

Quant à la version initiale des mémoires de Hancock, faisant preuve de scepticisme à l’égard de la version officielle chinoise, celle-ci a été remaniée : Simon Case a expliqué à Matt Hancock que ce passage “causerait des problèmes une fois publié” et a suggéré de s'en tenir à des “suppositions” plutôt que de “révéler des renseignements confidentiels reçus et échangés au sein du gouvernement”.  

Quant à la référence à Porton Down, Simon Case l’a qualifiée de “préjudiciable à la sécurité nationale”. “Ce qui est écrit comme étant une blague, est l’un des angles d’attaque que la Russie a utilisé contre nous pour l’empoisonnement au Novitchok”, a-t-il expliqué. 

Par ailleurs, le bureau du Secrétaire de Cabinet a suggéré la modification d’autres passages du livre, qui critiquaient la Chine et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les mémoires de Hancock, “Pandemic Diaries”, rédigées par Isabel Oakeshott, la journaliste même qui a divulgué les 100 000 messages à l’origine des Lockdown Files, ont finalement été publiées après modifications, en décembre 2022.

Rishi Sunak sous pression 

Aucun commentaire n’a été fait au 10 Downing Street sur la révélation du quotidien britannique à propos de la censure des passages des mémoires de Matt Hancock.  

Le Secrétaire du cabinet a juste exprimé sa “disposition” à examiner la théorie de la fuite de laboratoire. “Il y a encore des questions auxquelles il faut répondre au sujet de l’origine et de la propagation de la Covid-19 (...) Le Royaume-Uni veut voir un examen robuste, transparent et scientifique et croit que toutes les possibilités demeurent sur la table jusqu’à ce que ce soit conclu”, a déclaré au Telegraph un porte-parole du Premier ministre, Rishi Sunak. 

Des sources du gouvernement ont également fait savoir que les ministres n’hésiteraient pas à condamner la Chine et à soutenir la théorie de fuite d’un laboratoire si l’OMS présentait des preuves.  

La publication de ces révélations intervient également au moment où Rishi Sunak présente une nouvelle stratégie de défense et de sécurité, que le Daily Telegraph qualifie de “moins agressive” vis-à-vis de la Chine en comparaison à celle qui avait été présentée par son prédécesseur, Liz Truss.  

Alicia Kearns, députée pour Rutland et Melton du parti conservateur et membre du Comité spécial des Affaires étrangères, a déclaré que le gouvernement devrait “rechercher la vérité, peu importe le coût politique. C’est de son devoir d’avoir une discussion honnête avec la population et de nous fournir des faits, au lieu d’empêcher ceux qui ont plus d’informations de partager leurs préoccupations”, a-t-elle ajouté, relayée par le quotidien britannique.  

Tobias Ellwood, député conservateur et membre du comité spécial de la Défense, fait aussi pression sur Rishi Sunak. De son avis, la censure du livre de Matt Hancock “reflète la confusion que nous avons dans notre stratégie avec la Chine. Nous hésitons à parler de peur de perdre des échanges commerciaux et la Chine exploite notre timidité”, a-t-il indiqué.  

Washington déclassifie les informations sur l’origine du virus 

La posture du Royaume-Uni n'est pas alignée sur celle des États-Unis. Le 26 février dernier, le quotidien économique américain The Wall Street Journal a annoncé que le Département de l'Énergie des États-Unis considèrait désormais une fuite de laboratoire comme étant l’origine du Covid-19 “la plus probable”.  

Deux jours plus tard, le Federal Bureau of Investigation (FBI) a emboîté le pas au ministère américain de l’Énergie. "Le FBI estime depuis un certain temps déjà que l'origine de la pandémie est très probablement liée à un incident de laboratoire à Wuhan", avait affirmé le 28 février son directeur Christopher Wray, évoquant auprès de Fox News "une fuite potentielle d'un laboratoire contrôlé par le gouvernement chinois". 

Des déclarations qui ont fait vivement réagir la Chine : “Notre pays a toujours soutenu et participé à la recherche scientifique mondiale des origines du Covid-19 (...). [Une fuite] de laboratoire de l’épidémie de Covid-19 a été considérée comme extrêmement improbable par la conclusion d'une étude scientifique faisant autorité à laquelle sont parvenus les experts de la mission conjointe Chine - Organisation mondiale de la Santé (OMS). À l’heure actuelle, de plus en plus d’indices provenant de la communauté scientifique internationale attribuent les origines du Covid-19 à des sources situées dans le monde entier”, a répondu le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Mao Ning, lors d'un point de presse régulier. 

La Chine a dénoncé une “politisation de la question” de la part des États-Unis, qui confie “la responsabilité d’une question scientifique à un service de renseignement”.

“Les États-Unis doivent collaborer avec l’OMS pour inviter des experts du monde entier à venir étudier l’origine du Covid-19 aux États-Unis dès que possible, et partager les résultats des recherches avec la communauté internationale en temps utile, de manière ouverte et transparente (...). En ressassant la ‘théorie de la fuite en laboratoire’, les États-Unis ne discréditent pas la Chine, mais ne font que nuire davantage à leur propre crédibilité”, a-t-elle conclu.  

Vendredi 10 mars, au lendemain des révélations du Daily Telegraph, le Congrès des États-Unis a adopté une loi ordonnant la déclassification des informations sur l’origine du virus.  

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