Lutter contre la "propagande djihadiste" sur internet pourrait être vain

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 02 novembre 2016 - 11:12
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Répondre à la "propagande djihadiste" en ligne en présentant un contre-argumentaire officiel ou en désactivant des comptes jugés extrémistes pourrait avoir un effet limité.
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Répondre à la "propagande djihadiste" en ligne en présentant un contre-argumentaire officiel ou en désactivant des comptes jugés extrémistes pourrait avoir un effet limité et occulter la lutte contre les éléments à la base de ce radicalisme, selon des experts.

A mesure que le groupe Etat islamique (EI) a étendu son emprise sur l'Irak et la Syrie, sa communication moderne sur internet est apparue comme une arme redoutable qui avait été minimisée par les Etats ciblés par ses attaques. Des vidéos d'exécutions aux films promotionnels semblant sortis d'Hollywood, en passant par des facilités d'accès à des recruteurs via les réseaux sociaux, l'organisation radicale a étendu le champ de bataille sur le web, comme aucun autre groupe armé auparavant, ont convenu les participants de la conférence "Internet et la radicalisation des jeunes", organisée lundi et mardi par l'Unesco à Québec.

Pris de vitesse, les Occidentaux ont lancé diverses initiatives depuis deux ans, avec un credo: proposer un contre-discours en ayant recours aux mêmes outils numériques. "On fait de la contre-propagande, le combat politique c'est d'abord mettre des mots. Le contre-discours mise sur l'esprit critique des jeunes", résume à l'AFP Juliette Méadel, secrétaire d'Etat française chargée de l'Aide aux victimes, en marge de la conférence de Québec.

Quelques jours à peine après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher à Paris, le gouvernement français lançait en janvier 2015 le site www.stop-djihadisme.gouv.fr, suivi quelques mois plus tard par des comptes sur Facebook et Twitter. Une initiative pour "être capable de structurer une argumentation qui percute et qui permette d'éviter que les jeunes qui se laissent embringuer par des sites jihadistes n'aient aucun argument en réponse", plaide Mme Méadel.

Ce contenu doit toutefois être "authentique", et provenir d'anciens membres ou de sympathisants du groupe Etat islamique, car "les gouvernements ne savent pas comment s'adresser à quelqu'un qui s'interroge sur des croyances radicales", relève Ross LaJeunesse, responsable des relations internationales de Google.

Outre les Français, Américains, Britanniques ou encore Canadiens ont mis en oeuvre de telles stratégies, appuyées par une plus grande implication des géants d'internet. Twitter a par exemple désactivé quelque 235.000 comptes au cours des six premiers mois de l'année.

Or, "se faire suspendre son compte Twitter est vécu comme une forme de légitimation", relève Amarnath Amarasingam, responsable du Programme sur l'extrémisme de l'Université George Washington.

Le chercheur passe ses journées à disséquer les communications de l'EI sur le réseau de messagerie cryptée Telegram, privilégié par les djihadistes car réputé inviolable. Abonné à 80 groupes de discussions, il dénombre ainsi 50 à 150 messages émis par le groupe radical chaque jour, un flot qui ne se tarit pas. "On ne peut pas juste s'arrêter sur l'usage des médias" pour chercher à expliquer le succès de la communication du groupe jihadiste auprès des jeunes "et oublier l'invasion de l'Irak en 2003 (par les Etats-Unis), les rivalités entre sunnites et chiites et toutes les autres causes complexes", dit-il.

Il est inutile et vain de vouloir gagner le terrain de la propagande car il est mené, côté jihadiste, par "des gamins qui ont grandi en Occident en s'appropriant les outils de communication qu'ils maîtrisent parfaitement", poursuit M. Amarasingam.

A la tête d'une initiative visant à compiler les travaux scientifiques sur le sujet pour l'Unesco, Séraphin Alava abonde: "Il n'existe pas de preuve d'un lien direct entre la radicalisation des jeunes et la propagande en ligne", affirme ce chercheur de l'Université de Toulouse.

Il faut reconnaître que "des jeunes s'imaginent un rôle dans le monde proposé par l'EI" plutôt que de simplement dire qu'ils sont "victimes d'un lavage de cerveau", poursuit Cristina Archetti, chercheuse à l'Université d'Oslo. "Il est irréaliste de penser pouvoir mener la déradicalisation avec des messages sur internet, il faut plutôt répondre aux problèmes réels de ces jeunes", insiste Amarnath Amarasingam.

"Si on veut tarir la source de radicalisation sur internet, il faut commencer à agir dans la vie réelle", convient de son côté la secrétaire d'Etat française. Il faut ainsi se concentrer sur "l'éducation, l'accompagnement dès la petite enfance, la politique d'intégration et même d'inclusion, et offrir des perspectives d'emploi".

 

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