Une enquête de Mediapart censurée par un tribunal, Edwy Plenel dénonce un "acte liberticide" qui piétine la liberté de la presse

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FranceSoir
Publié le 23 novembre 2022 - 12:50
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Mediapart est censuré pour ses révélations sur "l’affaire Gaël Perdriau", maire de Saint-Étienne.
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Le site d’information Mediapart a annoncé lundi 21 novembre, dans un article rédigé par son co-fondateur Edwy Plenel, la “censure préalable” d’une de ses enquêtes par le tribunal judiciaire de Paris. “Vendredi 18 novembre, un huissier est venu au siège de Mediapart nous délivrer un acte judiciaire ordonnant au journal de ne pas publier une enquête “d’intérêt public” visant le maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau. Un acte “sans précédent de mémoire de journaliste comme de juriste”, lit-on.

Mediapart a dernièrement révélé des enregistrements sonores selon lesquels le maire de Saint-Étienne ainsi que son directeur de cabinet ont fait chanter le premier adjoint Gilles Artigues, filmé à son insu avec un escort. Ces enquêtes, publiées sous la plume du journaliste Antton Rouget et reprises par plusieurs médias nationaux, ont poussé à la démission de l’adjoint à l’éducation de la municipalité et le licenciement du directeur de cabinet de Gaël Perdriau, “sans faire l’objet d’une contestation en justice”, écrit Edwy Plenel

Il rappelle surtout que ces articles ont “conduit le parquet de Lyon à ouvrir une information judiciaire confiée à deux juges d’instruction”, pour “atteinte à l’intimité de la vie privée, chantage aggravé, soustraction de bien public par une personne chargée d’une fonction publique, abus de confiance et recel de ces infractions”. “Des investigations de la justice sont en cours, après de premières gardes à vue mi-septembre, dont celle de Gaël Perdriau”, explique le journaliste.

Mediapart “pas informé” de la procédure

Les enquêtes, qui se basent “notamment sur des conversations de travail, tenues dans le bureau du maire à l’hôtel de ville de Saint-Étienne”, ont également fait découvrir d’autres pratiques de cet élu, comme “le recours à la rumeur comme instrument politique”, notamment contre Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Des faits qu’Edwy Plenel a rappelé dans son article pour souligner “l’intérêt public” de ces enquêtes de Mediapart, tout comme celle que le journal s’apprêtait à divulguer avant la réception de l’ordonnance de censure préalable émise par le tribunal judiciaire de Paris. L’acte enjoint le journal “de ne pas (la) publier sous astreinte de 10 000 euros par extrait publié”.

Dans son article, le co-fondateur de Mediapart affirme que le journal “n’était pas informé de cette procédure et l’ordonnance a été prise par un juge sans que notre journal n’ait pu défendre son travail et ses droits”. Il qualifie cette décision d’acte “arbitraire”, qui a “fait fi du principe du contradictoire” en plus d’être “une procédure totalement étrangère au droit de la presse”.

Cette ordonnance, rendue le 18 novembre, soit le jour même du dépôt de la requête de l’avocat de Gaël Perdriau, est parvenue à Mediapart “trois heures après que nous eûmes reçu, par courriel, les réponses détaillées” du maire de Saint-Etienne. “Le maire de Saint-Étienne sait donc pertinemment quelles informations il ne veut pas voir publiées”, écrit M. Plenel.

“Cette censure préalable provient d’une décision prise dans l’urgence, sinon la précipitation, sans audience publique ni débat contradictoire, dans le secret d’un échange entre seulement deux personnes : l’avocat du demandeur et le président du tribunal”, lit-on encore. Le site d’information rejette notamment, sous la plume de son directeur de publication, l’accusation “d’atteinte à la vie privée dont nous aurions démontré, dans une audience publique, qu’elle n’existe aucunement”.

Pour preuve, selon M. Plenel, “lorsque nous avions, dans nos précédents articles, révélé des extraits des enregistrements qu’il nous est aujourd’hui impossible de publier, Gaël Perdriau n’avait engagé aucune procédure, reconnaissant ainsi le caractère d’intérêt général de nos informations”.

“Atteinte à une liberté fondamentale vieille de 141 ans”

La même source affirme qu’à sa connaissance, “jamais les articles de loi invoqués n'ont été utilisés dans une affaire de presse. À lui seul, le fait qu’un des deux articles de loi invoqués relève des tribunaux du commerce souligne, jusqu’à l’absurde, ce détournement de procédure”.

Edwy Plenel accuse ainsi le président du tribunal judiciaire de Paris, de “restaurer, dans la solitude de son cabinet, une arme d’Ancien Régime contre la liberté de la presse : la censure préalable”. “Excepté les périodes d’éclipse démocratique, c’est du jamais-vu dans notre histoire républicaine depuis la loi du 29 juillet 1881 qui a enfin instauré en France, et régit encore, le droit d’information et la liberté d’expression. C’est cette conquête démocratique essentielle, vieille de 141 ans, que jette aux orties la censure préalable de l’enquête de Mediapart par une ordonnance rendue sur requête”.

Il estime que cette censure est “d’autant plus alarmante qu’elle survient quelques semaines après une décision similaire rendue, le 6 octobre, par le tribunal de commerce de Nanterre au nom du secret des affaires : saisi par le groupe Altice et son président Patrick Drahi, il n’a pas hésité à interdire à Reflets.info de publier de nouvelles informations”.

Et d’ajouter : “Tant qu’elle n’aura pas été annulée, cet acte liberticide empêche nos lectrices et lecteurs, et au-delà l’opinion publique tout entière, de connaître des faits nouveaux dans un scandale politique majeur, d’ampleur nationale”.

“Toute censure est immonde”

Plenel conclut que son avocat a été mobilisé pour “mettre en œuvre tous les recours juridiques possibles”.

Sur Twitter, l’annonce de cette censure préalable de Mediapart a suscité des réactions mitigées. Certains internautes ont exprimé leur soutien, alertant sur les “menaces à la liberté d’expression en France”. D’autres ont surtout rappelé au site d’information avoir lui-même déjà pratiqué la censure. Ils évoquent notamment la dépublication d’un article du sociologue du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Laurent Muchielli, en août 2021.

“C’est évidemment odieux mais je me dois de rappeler à Mediapart qu’ils ont eux-mêmes censuré l’excellent blog de Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS, car il contestait données à l’appui la politique sanitaire… Toute censure est immonde, la vôtre aussi !”, écrit Michel Jean-Dominique, anthropologue de la santé, sur Twitter.

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