Envoyer la facture des services publics aux Français, est-ce vraiment possible ?

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François Ecalle, édité par la rédaction
Publié le 22 février 2019 - 16:12
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Le Sénat a donné mardi son feu vert au report d'un an du prélèvement à la source de l'impôt sur le r
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP/Archives
Dresser la liste exacte des dépenses individuelles n'est pas possible concrètement.
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Le ministre Gérald Darmanin envisageait d'adresser aux Français la facture du coût des services publics qu'ils utilisent. Mais cette démarche qui se veut pédagogique est impossible à réaliser de manière exhaustive, et il n'est guère souhaitable qu'elle devienne réalité. L'analyse pour France-Soir de François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques et président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco).

Le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a récemment proposé "qu'on envoie chaque année à tous les Français le coût réel des services publics qu’ils ont utilisés, sous la forme d’une simulation personnalisée. Non pas pour leur facturer, mais pour que chacun prenne conscience de la façon dont leurs impôts sont employés".

Il est en effet essentiel que les Français prennent conscience de l’importance des services publics et des prestations sociales financées grâce à leur impôts et cotisations sociales. Cela éviterait à certains d’entre eux de réclamer à la fois moins d’impôt et plus de services publics et de redistribution en considérant que c’est possible simplement en réduisant le budget de l’Elysée et des assemblées.

S’il est relativement facile de décrire, de manière générale, quels sont les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) et quelles dépenses ils financent, il est en pratique impossible de présenter à chaque citoyen la "facture" de tous les services publics utilisés. C’est toutefois envisageable pour certains services et il serait souhaitable de le faire.

> Il est relativement facile de décrire globalement les dépenses publiques et les prélèvements qui les financent

La fiche publiée par le gouvernement pour ouvrir le grand débat national sur le thème "fiscalité et dépenses publiques" décrit l’utilisation de 1.000 euros de dépenses publiques (dépenses consolidées de l’ensemble des administrations publiques, à savoir l’Etat, les collectivités locales, les régimes de sécurité sociale et les établissements publics non marchands contrôlés par l’Etat ou des collectivités locales), soit: 268 euros pour les retraites, 191 euros pour l’assurance maladie, 96 euros pour l’éducation… et 1 euro pour les services des assemblées, de l’Elysée et de Matignon.

Le gouvernement aurait pu ajouter que ces 1.000 euros de dépenses publiques sont financées par 861 euros de prélèvements obligatoires (soit 539 euros d’impôts et 322 euros de cotisations sociales), par 91 euros de recettes publiques autres que les prélèvements obligatoires (droits d’entrée ou d’inscription, loyers et redevances pour services rendus etc.) et par 48 euros d’emprunts, c’est-à-dire de prélèvements obligatoires laissés aux générations futures.

Cette présentation globale des recettes et dépenses de l’ensemble des administrations publiques peut être déclinée au niveau de chacune de ces administrations.

Lire aussi: Impôts locaux: le fisc va sanctionner ceux qui refusent le paiement dématérialisé

S’agissant de l’Etat, 1.000 euros de dépenses correspondent à 164 euros pour l’éducation, à 128 euros pour les retraites de ses fonctionnaires, à 110 euros pour les subventions aux autres administrations (surtout les dotations aux collectivités locales), à 87 euros pour la défense nationale, à 81 euros pour les aides aux entreprises (CICE, crédit d’impôt pour la recherche…), à 79 euros pour les "services généraux" (administration fiscale, préfectures, ambassades…), à 71 euros pour les intérêts de la dette, à 61 euros pour l’ordre public (police et gendarmerie, justice et prisons)…

Ces 1.000 euros de dépenses de l’Etat sont financées par 785 euros d’impôts, par 72 euros de recettes autres que des prélèvements obligatoires et par 143 euros d’emprunts. Ces 785 euros d’impôts sont eux-mêmes constitués de 300 euros de TVA, de 147 euros d’impôt sur le revenu…

> Il est impossible de présenter une "facture" complète et détaillée à chaque citoyen

Ces informations générales sur les dépenses publiques et leur financement sont utiles mais ont probablement peu d’effet sur le comportement de la plupart de nos concitoyens car elles ne correspondent pas à leur utilisation personnelle de services publics.

Il pourrait donc être judicieux de présenter à chacun de nous le coût des services publics effectivement utilisés pendant l’année: la scolarisation des enfants, la défense du pays, la voirie municipale, les services de police etc. Cette facture pourrait également préciser le mode de financement de ces dépenses: frais supportés directement en tant qu’usager, impôts et cotisations sociales, subventions reçues par l’organisme en charge de ce service, emprunts.

S’agissant des pensions de retraites, mais aussi des allocations de chômage, il s’agirait de rappeler à leurs bénéficiaires qu’elles ne sont pas financées par les cotisations versées lorsqu’ils étaient en activité mais par les cotisations versées par ceux qui travaillent aujourd’hui. Les régimes de retraite français sont des régimes par répartition où les pensions sont financées par les cotisations de ceux qui travaillent au même moment.

Cette "facture" complète et détaillée est toutefois impossible à établir en l’état actuel des systèmes d’information et ne le sera probablement pas avant très longtemps. En effet, il faudrait que l’administration sache que le couple Dupont a un enfant scolarisé en primaire, que monsieur a été hospitalisé trois jours pour telle pathologie, que madame utilise le tramway municipal pour aller travailler, que le couple est en procès avec un entrepreneur etc. Sans doute heureusement pour notre liberté, la collecte de toutes ces informations personnelles et leur rapprochement informatique ne sont pas encore possibles.

En outre, il faudrait que l’administration connaisse le coût d’une scolarité en primaire, de trois jours d’hospitalisation, du tramway municipal et d’un procès… ce qui est loin d’être toujours le cas. En effet, la comptabilité analytique de l’Etat est encore rudimentaire et celle de la plupart des collectivités locales est inexistante.

Voir aussi: Bercy veut la fin du crédit d'impôt sur les services à la personne

De plus, la consommation de certains services publics, souvent les plus régaliens, n’est pas individualisable. Comment estimer notre consommation personnelle de dépenses militaires, de frais d’ambassade, de voirie quand il n’y a pas de péages, de prévention des incendies? On pourrait certes diviser le coût de ces services publics par le nombre de Français mais cela n’éviterait pas des questions difficiles telles que: comment traiter les étrangers vivant en France et les Français vivant à l’étranger au regard des dépenses militaires? Ne faut-il pas écarter les personnes dépendantes immobilisées pour répartir les dépenses de voirie? Les dépenses associées à l’ordre public ne doivent-elles pas être allouées entre les ménages en fonction de leur patrimoine?

L’idée d’une facture complète et détaillée est donc intéressante mais présente des difficultés techniques actuellement insurmontables et pose des problèmes conceptuels très difficiles à résoudre.

> Il est toutefois possible et souhaitable de présenter aux Français la facture de quelques services publics

Il ne faut pas pour autant écarter la suggestion du ministre car les Français pourraient recevoir la "facture" de quelques services publics pour lesquels il est possible de l’établir sans trop de difficultés.

C’est par exemple le cas des services hospitaliers. Les établissements de santé facturent en effet le prix de presque tous les séjours à la sécurité sociale grâce à un système d’information très perfectionné. Cette facture pourrait être également envoyée aux patients pour information. Elle pourrait faire apparaître les financements apportés par le patient lui-même, l’assurance maladie obligatoire, les assurances complémentaires en cas de tiers payant et l’Etat.

Les coûts par année de scolarisation dans le primaire et d’étude dans les principales filières du secondaire et du supérieur sont également assez bien connus. La facture pourrait être adressée aux parents des élèves de l’enseignement scolaire et aux étudiants. Comme les recettes fiscales et non fiscales de l’Etat ne sont pas affectées à des dépenses particulières mais versées dans un pot commun, le budget général, le volet "financement" de la facture pourrait faire apparaître ces recettes de l’Etat au prorata de leurs parts dans les ressources du budget général.

La facturation de l’usage d’autres services publics pourrait être envisagée à relativement brève échéance, par exemple les transports collectifs quand ils sont gérés par un organisme spécifique.

La mesure de ces coûts des services publics, comme ceux des services privés, repose sur une comptabilité analytique et des clés souvent conventionnelles de répartition des frais indirects. S’agissant, par exemple, du coût de la scolarité en primaire, il faut ainsi lui imputer une partie des coûts des rectorats et des services centraux du ministère de l’éducation nationale et même aussi d’autres administrations comme les services de paye et de comptabilisation des dépenses de l’Etat. Or ces clés de répartition seront toujours discutables. Pour crédibiliser ces factures, il faudrait donc qu’elles soient vérifiées par la Cour et les chambres régionales des comptes.

Retrouvez les analyses de François Ecalle sur le site de l'association "Finances publiques et économie" (FIPECO)

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