Flexisécurité à la française ? Pour Macron c'est la flexibilité d'abord, malgré l'importance du chômage en France

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 24 août 2017 - 19:05
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Le secteur de l'automobile accélère de 28%, ici l'usine PSA de Mulhouse le 29 avril 2015
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© SEBASTIEN BOZON / AFP/Archives
La France est loin de présenter le contexte idéal pour plus de flexibilité du marché du travail.
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Si le contenu exact des ordonnances relatives à l'évolution du droit du travail ne sont pas connues avec certitude, Emmanuel Macron et son équipe n'ont jamais caché leur volonté de mettre la France sur les rails de la "flexisécurité". Reste que l'Hexagone n'est pas nécessairement le terrain idéal pour ce type de réformes, dont on ne voit pour l'instant que l'aspect "flexibilité". Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "FranceSoir" les risques d'une telle stratégie.

Les ordonnances relatives aux futures modifications du droit du travail ont fait l'objet d'une habilitation parlementaire en juillet et devraient être soumises à ratification à la fin du mois de septembre. Le texte précis –le contenu formel– est connu des seules parties prenantes à la négociation ce qui est une habileté politique mais un procédé qui n'aura qu'un temps. A ce stade, il est plus que probable que la minorité parlementaire décidera de saisir le Conseil constitutionnel ce qui n'aura rien de simple car les huit ordonnances sont transversales et complexes. Nul ne peut, par ailleurs, dire si une rentrée sociale mouvementée se prépare mais force est de constater que les sujets de mécontentement s'accumulent. Certaines décisions de Bercy sont mal vendues et illisibles pour l'opinion qui croit détecter une forme de rigueur voire d'austérité aussi efficace qu'une vis sans fin.

Pendant que les négociations continuent, le déficit de la France file sans correctif structurel crédible. Le ministre Le Maire joue au bilboquet et succombe au charme des hochets du pouvoir plus qu'il ne propose des solutions crédibles et significatives au président de la République. Il faut en effet ici rappeler que si l'on prend le déficit voté pour 2017 par le budget Hollande-Sapin soit 68 milliards + 8 milliards issus des déficiences de sincérité mises au jour par la Cour des comptes, cela signifie que les 100 jours de la présidence Macron ont coûté un peu plus de 20 milliards d'euros (soit 76/365 x 100). Dans ces conditions, était-il opportun de laisser le manche à Bercy (APL, Armées, le tout pour pour 1,2 milliard…) et de provoquer une chute de popularité tout autant qu'une montée des mécontentements qui pourraient fort bien se coaguler à la rentrée?

Concernant le monde du travail, Emmanuel Macron a une vision de long terme. Il est très marqué par l'univers des start-up et par l'ubérisation de certaines professions. Dans ces conditions, au fond de lui, il estime que le régime de subordination attaché au salariat va s'estomper au profit de l'essor de la relation donneur d'ordre/sous-traitant. C'est le fameux thème repris par la phrase: "Demain, nous n'aurons plus un patron mais des clients!"Fort de cette conviction, il lui faut donc fluidifier les rapports sociaux au point de remettre en cause, ici ou là, le contrat de travail. Par exemple en élargissant le champ des CDI de chantier ce qui revient à faire se répandre une sorte de CDD long qui ne facilitera pas l'obtention d'un logement (garanties demandées par le bailleur) ou d'un prêt bancaire.

De même, rendre plus aisées les conditions du licenciement supposerait des contreparties pour que la France se rapproche du régime de "flexisécurité" à la danoise qui a effectivement sa cohérence et une balance sociale équitable. Pour parvenir à un tel résultat, il aurait impérativement fallu inclure une réforme de la formation professionnelle dont les 32 milliards de budget sont aussi opaques que mal fléchés vers les publics les plus fragiles. Les ordonnances d'abord, la réforme de la formation après: cela sonne comme ce renoncement en matière de cotisations salariales où il y aura bien dès le 1er janvier 2018 une hausse de la CSG mais seulement, après et en deux étapes, une exonération de charges permettant aux salariés de voir s'améliorer leur "net à payer". Pour l'heure, on voit bien la flexibilité, on discerne mal la sécurité apportée au futur chômeur dans un pays spécifiquement marqué par la longueur de la présence au chômage. Plus de 11 mois en moyenne (contre 3,5 semaines en Autriche) et plus de deux ans pour un senior âgé de plus de 50 ans. Autrement dit, l'entrée dans un système de flexibilité accrue réalisée dans un pays doté d'un fort chômage structurel pose question.

De même, sauf omission, le contenu des ordonnances ne prévoit rien de structurel pour résoudre cette équation française inouïe où près de 400.000 postes ne sont pas pourvus et où on dénombre de surcroît 280.000 travailleurs détachés. Il est évident que certains employeurs risquent d'être tentés par la robotisation ou par l'externalisation des tâches une fois qu'ils auront effectué leurs calculs (coût du licenciement et barème des indemnités prud'homales donc du plafonnement). Dans un autre registre, je suis au regret de devoir écrire que "le choc de confiance" n'a pas eu lieu et que les débuts de ce quinquennat sont franchement en retrait de ce qu'il pouvait être escompté.

Le président Macron est porté par l'embellie conjoncturelle qui lui garantira de meilleures recettes fiscales. Mais elle ne doit rien à la politique de François Hollande (qui oserait oublier le plan de 500.000 chômeurs en formation –réalisé à moitié– lancé en novembre 2016 pour tirer à la baisse les statistiques du chômage?). En cette matière, il faut être rigoureux dans l'analyse: le FMI, l'OCDE, etc. avaient projeté une croissance 2017 à 1,4% pour la zone euro. Elle sera finalement de 1,9%, dont 1,7% pour la France. Ce sont donc des facteurs exogènes qui expliquent le "ça va mieux" que l'on retrouve dans les créations d'emplois et dans la baisse du chômage. Le cycle économique est porteur et le consensus des économistes, parmi lesquels il faut retenir l'intéressante analyse de Jean-Marc Daniel, situe son point de retournement à l'été 2018.

Concrètement, nous avons un an pour agir et voir le pays se réformer. A défaut, notre décrochage de compétitivité, notre surfiscalisation, notre lourde quote-part de désespérance sociale se perpétueront. Remotiver les salariés, lancer la bataille de la qualité des produits français et le combat pour une véritable compétitivité semblent des priorités plus prégnantes que de savoir si un PSE (plan de sauvegarde pour l'emploi) doit avoir pour seuil de déclenchement le licenciement de 10 salariés (cas actuel) ou de 30 (hypothèse de travail actuellement débattue).

Entre le cap à long terme du président et les arguties de certains points des ordonnances, il n'est pas certain que l'apaisement des rapports sociaux et l'amélioration de notre productivité soient au rendez-vous. 

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