TVA sur les produits de première nécessité : la fausse bonne idée d'une baisse

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François Ecalle, édité par la rédaction
Publié le 05 février 2019 - 17:49
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Pile de pièce en Euro
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©PhillipeHuguen/AFP
Réduire la TVA sur les produits de première nécessité n’aiderait pas forcément les plus modestes.
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En marge des manifestations des gilets jaunes émerge la revendication d'une baisse (voir une exonération complète) de la TVA sur les produits de première nécessité. Mais cette option, que rien n'empêche dans l'absolu, serait complexe à mettre en oeuvre et aurait des conséquences contre-productives. L'analyse pour France-Soir de François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques et président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco).

En juin dernier, le ministre de l’Economie envisageait de remettre en cause certains taux réduits de TVA. Aujourd’hui il se dit ouvert à la revendication d’une baisse de la TVA sur certains produits de première nécessité, apparemment exprimée par un grand nombre de nos concitoyens dans le cadre du débat national, pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes.

Une telle baisse se heurterait à des contraintes juridiques européennes mais elles pourraient probablement être surmontées... ce qui serait une très mauvais initiative. En effet, pour redistribuer du pouvoir d’achat au profit des ménages les plus modestes, des mesures bien moins coûteuses, car bien mieux ciblées, peuvent être mises en œuvre. La réglementation des taux de TVA deviendrait encore plus complexe et incohérente qu’elle n’est déjà. Cette baisse de la TVA devrait être financée par l’augmentation d’autres impôts, probablement au détriment de l’activité économique et de l’emploi.

> Les contraintes juridiques européennes pourraient être levées

La TVA est l’un des rares impôts à faire l’objet d’une harmonisation européenne et la fixation des taux de TVA doit respecter certaines règles. Chaque pays doit avoir un taux normal supérieur à 15% et peut appliquer deux taux réduits d’au moins 5% à des biens et services figurant sur une liste annexée à une directive européenne. Il existe également des "taux spéciaux" inférieurs à 5%, éventuellement nuls, mais il s’agit surtout de taux "historiques" qui existaient dans les pays concernés avant la publication des directives européennes relatives à la TVA ou avant l’entrée de ces pays dans l’Union européenne et qui ont été maintenus en principe transitoirement. C’est ainsi que la France a pu garder un taux de 2,1 % sur certains produits.

Aller plus loin - Fiscalité: est-il possible de diminuer tous les impôts?

La France est donc libre de baisser les taux de 10,0 % et 5,5 % jusqu’à 5,0 %. Pour appliquer ces taux réduits à des produits qui ne figurent pas sur la liste européenne, elle doit faire modifier cette liste, ce qui suppose d’avoir l’accord unanime de ses partenaires, comme toujours en matière fiscale. C’est possible et la France y est d’ailleurs déjà parvenue pour appliquer un taux réduit aux travaux d’entretien des logements, à la restauration et, plus récemment, aux livres numériques. La Commission européenne soutiendrait la France car elle a de son côté proposé de remplacer la liste des produits pouvant bénéficier de taux réduits par une liste très limitée de produits obligatoirement soumis au taux normal (alcools, armes à feu…). En revanche, appliquer un taux inférieur à 5,0 % à des produits qui n’en bénéficiaient pas historiquement sera difficile.

La France se caractérise déjà, par rapport aux autres pays européens, par des taux réduits en moyenne plus faibles et couvrant une plus grande part de la consommation des ménages.

> Les taux réduits de TVA sont de mauvais instruments de redistribution des revenus

Une diminution des taux de TVA aurait un coût budgétaire élevé pour l’Etat, à savoir pour une baisse d’un point: 6,8 milliards d'euros s’il s’agit du taux de droit commun (20%), 1,3 milliard d'euros s’il s’agit du taux réduit de 10%, 1,8 milliard d'euros s’il s’agit du taux réduit de 5,5% et 500 millions d'euros s’il s’agit du taux super-réduit de 2,1%, soit un peu plus de 10 milliards d'euros si tous les taux sont diminués d’un point. Le coût du passage du taux normal à un taux réduit pour un produit particulier dépend de l’importance de sa consommation.

L’impact de telles mesures sur le pouvoir d’achat des ménages serait plus faible que ces montants car une partie de la baisse de la TVA serait récupérée par les entreprises pour améliorer leurs marges. Une étude récente de l’institut des politiques publiques montre que le passage du taux de TVA sur la restauration de 19,6% à 5,5% a entraîné une baisse des prix TTC de seulement 1,9%. Les salaires ont augmenté de 4,1% et les bénéfices des propriétaires des restaurants de 24%.

En outre, les taux réduits de TVA constituent un très mauvais outil de redistribution des revenus car, en pratique, ils ne peuvent pas être ciblés sur des produits consommés seulement par les ménages les plus pauvres ou sur des "produits de première nécessité" plus particulièrement consommés par les plus pauvres. Les ménages riches achètent aussi du pain et du sucre.

Il existe des outils beaucoup plus efficaces pour redistribuer les revenus parce qu’ils sont parfaitement ciblés sur les ménages visés: l’impôt sur le revenu pour réduire les revenus des ménages les plus aisés et les prestations sociales sous condition de ressources (minima sociaux, prime d’activité, allocations de logement…) pour accroître les revenus des plus pauvres.

> La réglementation des taux de TVA deviendrait encore plus complexe et incohérente

Pour chaque catégorie de produits, comme le pain, il faudrait distinguer les sous-catégories qui relèvent d’une consommation de première nécessité et celles qui relèvent d’une consommation de luxe. Cela ne peut aboutir qu’à une réglementation d’une très grande complexité, ingérable par les professionnels et incontrôlable par les agents de l’administration fiscale.

De telles distinctions existent déjà, même si elles sont heureusement rares, et le chocolat en est un exemple. Selon le code général des impôts, les produits destinés à l’alimentation humaine sont soumis au taux réduit de 5,5% à l’exception notamment des "chocolats et de tous les produits composés contenant du chocolat ou du cacao. Toutefois le chocolat, le chocolat de ménage au lait, les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao sont admis au taux réduit de 5,5%" (article 278-0 bis du code général des impôts). Des dispositions aussi absurdes ne doivent pas être, et heureusement ne sont pas encore, généralisées.

En fait, les biens et services soumis à des taux réduits sont souvent autant, sinon plus, consommés par des ménages aisés (par exemple, les produits culturels). Un rapport du conseil des prélèvements obligatoires de 2015 souligne que les exonérations et taux réduits de TVA ont un impact redistributif très limité. S’agissant, par exemple, des services de restauration, l’avantage apporté par le taux réduit correspond à 0,07% de la consommation des ménages du premier décile (les plus pauvres) et à 0,26 % de celle des ménages du dernier décile (les plus riches).

Ouvrir la boîte de Pandore des taux réduits de TVA alors qu’il est impossible de définir précisément les produits de première nécessité conduirait à des revendications multiples, appuyées par le lobbying des entreprises pouvant en bénéficier, dont certaines seraient satisfaites seulement parce que la pression en leur faveur aura été plus forte. Comme le note le conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2015 "la création d’un taux réduit crée une forte pression à l’extension de son champ d’application à des activités connexes… la différenciation des taux ne fait qu’accroître la vulnérabilité du système de TVA aux revendications sectorielles".

> La baisse de la TVA devrait être financée par des hausses d’autres impôts

Compte-tenu du niveau du déficit public et de la dette publique de la France, une baisse de la TVA devrait être financée par le relèvement d’autres impôts. Or, si tous les impôts ont des effets négatifs sur l’activité économique et l’emploi, la TVA en a sans doute un peu moins.

Cette bonne propriété résulte du fait que la TVA pèse sur les importations autant que sur la production nationale mais ne pèse pas sur les exportations. En conséquence, les économistes recommandent souvent de remplacer des cotisations sociales patronales ou des impôts sur la production et les bénéfices des entreprises, qui ne pèsent pas sur les importations mais pénalisent l’exportation, par un surcroît de TVA.

Une baisse de la TVA irait à l’encontre de ces recommandations et, appliquée à des biens de première nécessité souvent fabriqués dans des pays à bas salaires, stimulerait les importations alors que les biens de luxe, dont la France est plutôt spécialiste, pourraient être pénalisés par le relèvement d’autres impôts.

Dans son rapport de 2015, le Conseil des prélèvements obligatoires soulignait le "déficit d’évaluation" de l’efficacité économique des taux réduits sectoriels. Seuls les taux réduits de TVA appliqués aux travaux d’entretien du logement et à la restauration ont fait l’objet d’évaluations économiques rigoureuses et les résultats en ont toujours été plutôt négatifs. En faisant la synthèse des évaluations disponibles, le Conseil a établi que le coût par emploi créé était d’environ 200.000 euros pour le taux réduit sur les services de restauration, de 160.000 euros pour le taux réduit sur les services d’entretien du logement, contre moins de 40.000 euros pour les allégements de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires.

Retrouvez les analyses de François Ecalle sur le site de l'association "Finances publiques et économie" (FIPECO)

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