Affaire Carlos Ghosn : pourquoi l'ex-PDG de Renault-Nissan pourrait retourner en prison

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Damien Durand
Publié le 07 mars 2019 - 16:32
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Carlos Ghosn (casquette bleue) à sa sortie de prison, le 6 mars 2019 à Tokyo
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© Behrouz MEHRI / AFP
Carlos Ghosn (au centre avec la casquette bleue ciel) est sorti de prison mercredi 6 après 107 jours derrière les barreaux.
© Behrouz MEHRI / AFP

Mercredi 6, après 107 jours de garde à vue et de détention provisoire, Carlos Ghosn a été libéré et placé sous contrôle judiciaire strict. Une victoire symbolique, mais qui ne fait pas oublier les charges considérables qui pèsent sur l'ancien PDG et qui ne sont pas abandonnées par une accusation qui souhaite lui faire retrouver le chemin de la prison de Kosuge à Tokyo.

Sa sortie de la prison après 107 jours de détention –amaigri, masqué et habillé à la manière des ouvriers japonais– a sonné comme une victoire pour la défense. Carlos Ghosn a obtenu la fin de sa détention provisoire, assortie d'un contrôle judiciaire sévère. Double victoire d'ailleurs: non seulement le tribunal de Tokyo a autorisé sa remise en liberté mais la justice a également rejeté un appel du bureau d'enquêtes spéciales du parquet, décidé à maintenir l'ancien patron de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi derrière les barreaux.

Mais cette victoire, pour symbolique qu'elle est, pourrait n'être que temporaire: Carlos Ghosn est toujours poursuivi pour avoir minoré ses déclarations de revenus aux autorités boursières et pour abus de confiance aggravée. Aucune charge n'a été abandonnée et il devra faire face, si l'instruction va jusqu'au bout, à un procès face à la redoutable justice pénale japonaise mis en lumière par cette affaire sur un point: le très faible nombre de cas de figure où ceux qui rentrent dans le box des accusés repartent blanchis.

Le système japonais, qui condamne plus de 99% des accusés lors des procès pénaux, a souvent été présenté comme abusivement sévère. Selon les chiffres du ministère de la Justice (voir ici), sur 432.000 personnes jugées en 2011, seules 77 ont été déclarées "non coupable". La cause est subtile, peu compréhensible en Occident et assurément très défavorable à Carlos Ghosn. Dans le système d'avancement des carrières de la magistrature japonaise, les procureurs –très puissants– peuvent voir leur carrière entravée en cas de jugement d'acquittement perçu comme une forme d'erreur de la justice. Une étude de deux chercheurs américains en 2000 (voir ici) avait mis statistiquement en évidence la tendance, largement commentée dans la presse depuis le début de l'affaire, des procureurs japonais à présenter devant une cour des dossiers déjà bien ficelés, soit par l'obtention d'aveux, soit car les éléments obtenus ne semblent laisser aucune place au doute. A l'inverse, la justice japonaise peut se montrer beaucoup moins sévère lorsque le dossier semble plus incertain, et préfèrera le plus souvent abandonner les poursuites pour les cas les plus indécis. Le Japon –malgré un code pénal sévère (la simple détention de stupéfiants peut envoyer en prison dès la première infraction)– ne cède pas à la tentation du "tout carcéral" et ne compte ainsi que 48 détenus pour 100.000 habitants (en 2014) là où la France atteint le chiffre de 104 (et plus de 700 aux Etats-Unis).

Lire aussi: Carlos Ghosn est "fatigué", selon son avocat

L'acharnement apparent du parquet dans l'affaire Ghosn pourrait donc laisser penser que l'accusation ira jusqu'au bout et possède les éléments nécessaires pour amener Carlos Ghosn à un procès duquel il aura peu de chance de ressortir libre. Et dans le cas peu probable où celui qui était, avant sa chute, le PDG le mieux payé du Japon ferait partie de la poignée d'acquittés en première instance, le parquet ne relâchera sans doute pas la pression. Interrogé par le HuffPost (voir ici), le journaliste américain basé au Japon Jake Adelstein confirme d'ailleurs que Ghosn ne devra attendre aucune tolérance de la part des procureurs: "Si Carlos Ghosn est miraculeusement jugé innocent de toutes les charges d'accusation, au Japon le Parquet a le droit de faire appel, donc il fera appel. Il déteste perdre car quand votre carrière entière consiste à tout faire pour ne pas appartenir au 1% de procureurs qui ont perdu des procès, vous ne voulez pas perdre".

Selon les délais de l'instruction, la programmation des audiences et l'appel éventuel, c'est donc une bataille pouvant durer jusqu'à quatre ans que se livreront Carlos Ghosn et ses accusateurs. Et ces derniers n'ont peut-être pas encore abattu toutes leurs cartes. Début janvier, le très sérieux quotidien économique japonais Nikkei Shimbun dévoilait que la justice soupçonnait Carlos Ghosn d'avoir détourné 48 millions de dollars des caisses de Nissan pour les verser à des contacts basés au Liban et à Oman. Les magistrats n'ont pas encore utilisé –sans doute faute d'éléments probants– ces charges contre l'ex-dirigeant. Mais s'ils décident de passer à l'action, ils pourront de nouveau renvoyer Carlos Ghosn en garde à vue pour une période de 23 jours. L'ancien patron tout-puissant attend pour l'instant avec sa nouvelle équipe d'avocats les suites données aux charges retenues contre lui, dans le cadre d'un contrôle judiciaire qui lui impose une vidéosurveillance dans son domicile, l'interdiction de quitter le Japon et l'impossibilité d'aller sur Internet ou d'utiliser un ordinateur en dehors du bureau de son avocat. Celui qui est sorti juste à temps pour fêter chez lui samedi ses 65 ans risque 15 ans de prison.

Voir aussi:

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