Condamnation d’Apple en Irlande : la Commission européenne à l’offensive contre les pratiques anticoncurrentielles

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La rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 20 septembre 2016 - 16:24
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Margrethe Vestager.
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©John Thys/AFP
Margrethe Vestager, Commissaire européenne charge de la concurrence, lors de la conférence de presse du 29 août 2016 sur les bénéfices en Irlande d'Apple.
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En condamnant Apple à rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande, fin août, la Commission européenne a montré qu’elle entend lutter contre le concurrence fiscale que se mènent les Etats.

Lorsque, le 30 août, la décision de la Commission européenne de réclamer à Apple le versement de 13 milliards d’euros à l’Irlande est tombée, tous les éditorialistes ont commenté ce montant record correspondant par exemple au montant des dépenses annuelles de santé publique du pays. La décision de la Commission venait soudain rappeler qu’il est tout de même un domaine où l’Europe est sans conteste une grande puissance: sa politique sur la concurrence.

Microsoft en a déjà fait les frais en 2004, quand la Commission a condamné l’entreprise américaine à 497 millions d’euros d'amende pour abus de position dominante. En 2001, la Commission avait également bloqué la fusion de deux entreprises, pourtant américaines, General Electric et Honeywell, car la concentration qui en aurait résulté aurait eu des effets néfastes sur la concurrence.

S’il revient à la Commission de se prononcer sur ces questions, c’est qu’elle est l’autorité spécialisée dans ce domaine. Ses pouvoirs sont vastes: elle a notamment celui de déclencher elle-même les enquêtes tandis que les amendes prononcées peuvent monter jusqu’à 10% du chiffre d’affaires de l’entreprise visée.

Dans le cas d’Apple, l’infraction est liée au contrôle des aides d’Etat. Celles-ci consistent en des avantages accordés par un Etat qui faussent la concurrence, en favorisant certaines entreprises ou productions. Elles sont en principe interdites car incompatibles avec le marché intérieur, sauf dérogations. Par exemple, peuvent être autorisées les aides destinées à favoriser le développement économique de régions où le chômage est élevé, ou encore les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités, tel le soutien à la production d’énergies renouvelables.

L’aide concernant Apple vient d’un avantage fiscal accordé par l’Irlande qui lui profite, au détriment des autres entreprises. La France avait été sanctionnée de la même façon en juillet 2015, lorsque la Commission avait enjoint EDF à restituer 1,37 milliard d’euros à l’Etat. Concernant Apple, Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, explique que l’enquête a conclu que "ce traitement sélectif a permis à Apple de se voir appliquer un taux d'imposition effectif sur les sociétés de 1% sur ses bénéfices européens en 2003, taux qui a diminué jusqu'à 0,005 % en 2014".

Plus précisément, les rulings fiscaux émis par l’Irlande en faveur d’Apple, "avaient substantiellement et artificiellement réduit le montant de l’impôt payé par l’entreprise en Irlande depuis 1991", relève la Commission. Ces rulings sont les informations données de façon anticipées par les services fiscaux d’un Etat qui déterminent comment la loi s’appliquera à une situation particulière. La Commission a pu conclure que "le traitement fiscal accordé par l’Irlande a permis à Apple d’éviter l'impôt sur pratiquement l'intégralité des bénéfices générés par les ventes de produits Apple sur l'ensemble du marché unique de l'UE. Cela est dû à la décision d'Apple d'enregistrer toutes ses ventes en Irlande plutôt que dans les pays où les produits étaient vendus". La Commission note que d’autres pays peuvent réclamer à l’entreprise la part qui leur revient, diminuant mécaniquement la part de l’Irlande.

Quelles ont été les réactions suite à cette décision? Les premiers intéressés, l’Irlande et Apple se retrouvent sur la même ligne: l'entreprise crie à l’injustice et à l’ingérence de la Commission dans les affaires fiscales des Etats membres, et l’Irlande soutient l’appel de la décision formulé par Apple devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’Autriche et l’Espagne ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils réclameraient leur part, tandis que la position de la France est toutefois plus incertaine.

Ces différentes réactions illustrent bien les difficultés en matière de fiscalité que rencontre l’Union européenne. Si la politique de concurrence relève de la compétence exclusive de la Commission, les Etats conservent jalousement leurs prérogatives fiscales. Malgré des opinions publiques échaudées par les récents scandales "LuxLeaks" et "Panama Papers", force est de constater que les avancées consenties par les Etats membres sont encore timides.

Pourtant, la Commission est à l’offensive, avec plusieurs réformes lancées ces dernières années. L’échange automatique des informations concernant les fameux rulings fiscaux ou encore la fin du secret bancaire ont été de grandes avancées. Egalement, l’un des principaux projets de la Commission, examiné à l’automne par les Etats et le Parlement européen, vise à définir une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Ce n’est pas une harmonisation fiscale mais ça s’en rapproche.

Pourquoi, dans le contexte actuel qui incite à aller vers toujours plus de transparence et de lutte contre le dumping fiscal, les Etats continuent-ils d’empêcher une réelle harmonisation? Déjà, chaque Etat est toujours un peu "le paradis fiscal de son voisin", comme l'a dit le député européen Alain Lamassoure. Si l’Irlande est pointée du doigt pour son très faible impôt sur les sociétés (12,5 %), les crédits d’impôt pour la recherche en France, si on peut les trouver justifiés, n’en sont pas moins un moyen d’attirer certaines activités. Ensuite, les velléités d’harmonisation de la Commission se heurtent à l’éternel problème qui veut que les Etats n’acceptent des transferts de souveraineté qu’au compte-goutte et parfois en dépit de toute efficacité. Dit autrement, chacun veut rester maître chez soi, particulièrement en matière d’impôt qui est l’un des critères essentiels de la souveraineté.

Pourtant, la Commission reconnait qu’une harmonisation des taux d’imposition n’est probablement pas souhaitable. D’ailleurs, elle ne vise pas le faible impôt sur les sociétés irlandais dans sa décision sur Apple, mais uniquement l’avantage particulier accordé à cette entreprise. Des pays comme l’Irlande, isolée géographiquement, n’ont peut-être pas d’autres moyens pour attirer les investissements autres que les niches fiscales... Il n’en demeure pas moins que plus de transparence et d’harmonisation dans certains domaines permettraient aux Etats membres de cesser une concurrence néfaste pour le fonctionnement du marché intérieur, et bien mauvaise pour l’image de l’Europe.

 

(Avec la contribution de la Maison de l’Europe de Paris):

 

 

 
 
 
 
 

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