La guerre économique en Asie relance la négociation "quadrilatérale"

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DD.
Publié le 20 juin 2018 - 20:17
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La Maison Blanche entend limiter la capacité de la Chine à acquérir des technologies américaines
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© Brendan SMIALOWSKI / AFP/Archives
Les tensions économiques entre Asie et Amérique ont relancé les discussions quadrilatérales.
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Les Etats-Unis et la Chine poursuivent leur guerre économique. Washington veut réduire son déficit commercial et contrecarrer les volontés expansionnistes chinoises. La diplomatie économique se met en marche avec la réactivation d'une plateforme de négociation tombée en désuétude: la "quadrilatérale".

Avec la péninsule coréenne, c’est l’autre question qui agite les relations entre les Etats-Unis et l’Asie depuis six mois. Et si le sujet est plus feutré que les soubresauts diplomatiques entre Donald Trump et Kim Jong-un, la question implique rien de moins que l’équilibre de l’économie mondiale. Donald Trump a décidé de réintroduire des droits de douanes sur l’acier et l’aluminium, d’abord contre la Chine (dans un premiers temps en mars avant les nouvelles annonces de lundi 18 qui épargnent les Iphones montés en Chine)... avant de cibler l’Europe. Il a ramené sur le devant de la scène le spectre de la politique protectionniste avec un objectif économique apparent: réduire coûte que coûte l'abyssal déficit commercial américain, notamment avec la Chine, se montant à 504 milliards de dollars (410 milliards d’euros).

Dans l’attente des conséquences sur l’Europe qui restent encore à estimer -les droits de douanes ne sont entrés en vigueur que le 1er juin avant la riposte de l’UE en juillet- la plupart des économistes considèrent que cette option n'a eu qu’un impact très modéré sur la capacité économique chinoise. Y compris dans le domaine de l’acier. D’ailleurs les exportations de cette ressource (taxée pendant quelques semaines à 25%) et l’aluminium (taxé à 10%) ne représentent que 0,5% de son PIB et les mesures de restrictions américaines ont surtout eu beaucoup de "victimes collatérales" faisant souffrir deux autres exportateurs, la Corée du Sud (qui sera finalement exemptée) et Taïwan. Ironie du sort, ces deux territoires alliés de l’Amérique se retrouvent à subir les conséquences d’une action américaine qui ne s’embarrasse guère des effets secondaires de ses actions. Que ce soit en économie ou dans les relations diplomatiques donc…

Mais les partenaires américains en Asie ont surtout été sacrifiés sur l’autel… de la politique intérieure américaine. En novembre en effet, Donald Trump devra affronter des "midterm elections", un scrutin de mi-mandat qui renouvellera la Chambre des Représentants et un tiers du Sénat. Or, Donald Trump joue la carte de l’électoralisme pour contrecarrer la fronde contre son action venant de sa propre famille politique… et sème pour cela le doute dans le camp adverse. Sherrod Brown le sénateur démocrate de l’Ohio, un Etat particulièrement touché par la désindustrialisation, a ainsi ouvertement salué la politique du locataire de la Maison-Blanche. La centrale syndicale AFL-CIO, traditionnel relais du Parti démocrate, a quant à elle déclaré dans le New York Times qu’il s’agissait d’ "un premier grand pas en avant" et a appelé à "continuer de travailler avec l’administration pour réécrire des règles commerciales qui bénéficient aux travailleurs".

Lire aussi: Guerre commerciale: l'OCDE appelle à l'arrêt des hostilités

Cette guerre des droits de douanes semblait avoir trouvé un point d’équilibre avec l’annonce le samedi 19 mai d’un accord de principe entre les deux géants de l’économie mondiale. Particulièrement flou, ledit accord portait seulement sur le renoncement à la "guerre commerciale" et la promesse vague de la part de la Chine d’oeuvrer à la réduction du déficit commercial américain. Un équilibre particulièrement précaire qui s'est effondré avec les nouvelles annonces américaines du 18 juin.

Ces manœuvres économiques et électorales ont cependant eu une conséquence diplomatique particulièrement inattendue: cette opposition américaine dans sa relation face à la Chine a ressuscité une plateforme de discussion jusque-là quasiment invisible, la "Quadrilatérale", la réunion à la même table de représentants des Etats-Unis, du Japon, de l’Inde et de l’Australie. Le format de la Quadrilatérale s’était réuni pour la première fois en 2007, lors du premier mandat de Shinzo Abe, avant de s’éteindre. Il y a dix ans comme aujourd’hui, c’est le même motif qui a motivé la prise de vie de la Quadrilatérale: la crainte de la Chine.

Comme souvent en diplomatie, la vraie motivation de l'action n’est pas toujours celle qui apparaît officiellement. Si, en principe, la Quadrilatérale (dite "Quad" dans le milieu de la diplomatie) est une plateforme de discussion sur des questions sécuritaires (qui concernent d’ailleurs fréquemment la Chine), elle sert surtout à préparer une riposte aux Nouvelles Routes de la Soie voulues par Pékin. Le contenu du projet est difficile à estimer pour le moment car les intérêts des quatre partenaires est lui-même hétérogène. Car si Donald Trump a un agenda électoral, le Japon, lui, ambitionne de développer son projet économique du Free and Open Indo-Pacific Strategy (FOIP) avec un programme d’investissements portuaires au Myanmar, au Bangladesh, au Mozambique et au Kenya. Quand à l’Inde, sa position reste ambiguë pour sa participation à la Quadrilatérale. Narendra Modi a d’ailleurs reçu cordialement Xi Jinping au printemps et a promis que l’Inde ne céderait pas "aux provocations américaines contre la Chine". Malgré ses tensions constantes, la "Quad' s'est réunie (dans une relative discrétion) pour la dernière fois le jeudi 7 juin à Singapour, cinq jours avant que la cité-Etat, décidément devenue capitale du moment de la diplomatie, n'accueille la rencontre Kim-Trump.

La question est, enfin, d’autant plus sensible que les partenaires de la Quadrilatérale ont beaucoup à perdre d’une confrontation frontale avec la Chine. Etats-Unis, Japon, Inde et Australie sont respectivement 1er, 3e, 7e et 14e partenaires commerciaux de la Chine.

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