Coup de tonnerre pour les douanes françaises : les contrôles aléatoires déclarés contraires à la Constitution

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Laurence Beneux, pour FranceSoir
Publié le 13 décembre 2022 - 18:45
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Vincent Thomazo
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Vincent Thomazo est notamment douanier et secrétaire général de l’Association internationale des douaniers francophone.
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C’est une décision du Conseil constitutionnel qui aurait dû faire grand bruit. Le 22 septembre 2022, l’article 60 du Code des douanes (voté en 1948 et mis en application le 1er janvier 1949), qui dispose que « pour l'application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes », a été déclaré anticonstitutionnel par les Sages. C’est donc le principal moyen de mener à bien leur mission qui est retiré aux douaniers avec cette décision.

Le Conseil constitutionnel de 2022 reproche au législateur de 1948 de n’avoir pas suffisamment précisé le cadre applicable à la conduite des opérations de contrôle en « tenant compte par exemple des lieux où elles sont réalisées ou de l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction » et d’empêcher ainsi « une conciliation équilibrée entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. »

Vincent Thomazo, douanier, secrétaire général de l’Association internationale des douaniers francophone et ancien responsable de la profession vient nous expliquer dans quelles circonstances le Conseil constitutionnel en est venu à abroger un article appliqué depuis plus de 70 ans, et quelles sont les conséquences d’une telle décision.

En effet, même si l’instance a concédé qu'« en l'espèce, d'une part, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives » et que donc il y avait lieu « de reporter au 1erseptembre 2023 la date de leur abrogation », sa décision a déjà des conséquences, comme celle d’avoir entrainé, à Reims, la libération immédiate de deux Arméniens, arrêtés par les douaniers après que ces derniers aient constaté que l’un d’entre eux dissimulait sur lui plus de deux kilos de cocaïnes (plus de détails ci-dessous).

 

Le 15 novembre dernier, à 7 h 05, deux Arméniens, assoupis dans une voiture garée sur une aire de repos de l’autoroute A4, sont contrôlés par des douaniers qui procèdent à une fouille du véhicule et des automobilistes. Les fonctionnaires ont eu le nez creux : le passager dissimule sur lui plus de 2,330 kilos de cocaïne. Le conducteur, un joaillier en vacances en France avec femme et enfants, et le passager, un employé de BTP arrivé depuis peu sur le sol français, sont immédiatement mis en retenue douanière, avant d’être enfin remis, quelques douze heures plus tard, à la section de recherche de la gendarmerie nationale de Reims.

Maître Camille Romdane, avocat du conducteur du véhicule, affirme que son client ignorait tout de la drogue transportée par son passager, qu’il aurait rencontré via le réseau social Facebook où il publiait des photos de ses vacances. Il aurait été contacté par des amis arméniens, qui lui auraient expliqué qu’un concitoyen, de passage en France, avait besoin de se rendre aux Pays-Bas, pour visiter des membres de sa famille qu’il n’avait pas vus depuis longtemps. Le joailler cédant alors à la solidarité communautaire aurait accepté d’emmener le détenteur de drogue.

Une explication qui laisse Me Mourad Benkoussa, avocat du passager, perplexe, mais de toute façon, les deux prévenus ont été relâchés avant même qu’il soit nécessaire d’argumenter sur la culpabilité de l’un et de l’autre.

En effet, les deux avocats rémois ont plaidé la nullité du contrôle douanier réalisé en application de l’article 60 du Code des douanes, déclaré anticonstitutionnel par le Conseil constitutionnel en septembre dernier.

Car même si les Sages ont estimé que « l'abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives » et qu’il y avait donc lieu « de reporter au 1erseptembre 2023 la date de leur abrogation », ils ont aussi précisé que « les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. » Ce dernier point permet aux défenseurs de souligner que rien n’est dit sur les mesures prises entre la publication de la décision et la modification de l’article. Ils sont engouffrés dans ce flou pour argumenter que, même si l’abrogation de l’article 60 du Code des douanes était différée au 1er septembre 2023, sa déclaration d’inconstitutionnalité ne s’imposait pas moins aux juridictions.

Me Romdane souligne par ailleurs que cet article serait aussi inconventionnel en ce qu’il violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui érige notamment le droit à la vie privée en droit fondamental.

Me Benkoussa reconnait qu’il peut y avoir matière à débat juridique, mais toujours est-il que les arguments des deux avocats ont été entendus par le tribunal correctionnel de Reims, qui a ordonné la remise en liberté immédiate des deux prévenus, sans aucune forme de contrôle ou d’interdiction de sortie du territoire. Bien évidemment, faut-il le préciser, sans la drogue, car saisie illégale ou pas, la cocaïne n’en est pas moins un produit prohibé.

D’après les avocats, le parquet, que nous n’avons pas réussi à joindre, a décidé de faire appel de cette décision. Un appel de principe puisque, comme soulignent les douaniers, quelle qu’en soit l’issue, les chances de remettre la main si nécessaire sur les deux mis en cause sont extrêmement minces !

Si Me Benkoussa insiste sur le fait qu’il est important que les agents des douanes respectent scrupuleusement la loi, il n’en reconnait pas moins que le flou actuel est préoccupant dans la mesure où, si en l’espèce, il ne s’agissait que d’une saisie de cocaïne relativement modeste, le problème aurait été le même pour de beaucoup plus grosses quantités ou des armes…

Les conséquences éventuellement désastreuses du vide laissé par la déclaration d'inconstitutionnalité de l’article 60 du Code des douanes n’a pas échappé à la sénatrice LR Catherine Dumas qui, dès le 6 octobre 2022, saisissait le gouvernement du problème par une question écrite dans laquelle elle rappelait que  « l'article 60 du Code des douanes constitue la colonne vertébrale des agents des douanes car il les autorise à procéder à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes en vue de la recherche de fraudes douanières. » L’élue soulignait que la décision du Conseil constitutionnel impacterait « considérablement le quotidien des agents des douanes pour maintenir la sécurité et le maintien de l'ordre public » et que l’article 60 du Code des douanes « est essentiel pour assurer la sécurité de l'ensemble des citoyens sur le sol français et que l'une des missions de la douane est de lutter contre les trafics, la criminalité organisée et le financement du terrorisme ». Elle insistait aussi sur le fait que « la douane assure plus de 80 % des saisies de stupéfiants et 100 % des saisies de tabac » et que par ailleurs, « les fouilles permises par l'article 60 du Code des douanes a permis de lutter contre le terrorisme ces dernières années ».

Catherine Dumas concluait sa question écrite en demandant au gouvernement quelles étaient les pistes que ce dernier envisageait « pour redonner aux agents des douanes les pouvoirs indispensables au bon exercice de leurs fonctions ». 

L'assistant de Catherine Dumas nous affirme que la sénatrice n'a, à ce jour, pas reçu de réponse à sa question écrite.  

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