A la Comédie-Française, le "patron" Molière immortel depuis quatre siècles
C'est la plus ancienne troupe de théâtre au monde encore en activité. Baptisée "maison de Molière" même s'il n'y a jamais mis les pieds, la Comédie-Française est hantée par sa figure tutélaire depuis près de 400 ans.
Au sein de cette prestigieuse institution, une relique vénérée: un fauteuil en bois, protégé par une vitrine, sur lequel Jean-Baptiste Poquelin a agonisé durant une représentation du "Malade Imaginaire" avant de succomber plus tard chez lui.
"C'est quelque part le seul objet qui nous reste de son théâtre", explique à l'AFP Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste à la Comédie-Française.
Utilisé par les comédiens jusqu'en 1879, le fauteuil "a une présence telle qu'on a presque l'impression que Molière y est encore assis", sourit-elle.
A travers la maison, on retrouve des bustes du dramaturge, que les comédiens touchent pour leur porter chance, des portraits de lui ou de comédiens de sa troupe comme Mlle Beauval, créatrice entre autres du rôle de Zerbinette dans "Les Fourberies de Scapin".
Ses successeurs au XXe siècle ont été Michel Galabru, Isabelle Adjani ou Francis Huster.
Aujourd'hui dans les couloirs, on peut tomber sur Denis Podalydès, Guillaume Gallienne, mais aussi la jeune génération comme Christophe Montenez ou Benjamin Lavernhe.
- Pas un an sans du Molière -
La Comédie-Française est née en 1680 - sept ans après la mort du dramaturge - lorsque son ancien protecteur Louis XIV décide de fusionner sa troupe avec une autre.
"Le Français", comme on l'appelle parfois, connaîtra quatre salles avant d'atterrir à la Salle Richelieu, près du Palais-Royal, où elle se produit depuis 1799. Soit à quelques pas du domicile où s'est éteint Molière.
Sa mort est rapportée dans le plus précieux document que possède la troupe: le registre dit de La Grange, du nom du bras droit de Molière - et créateur du rôle de Dom Juan - qui a documenté les activités de la troupe.
Il est conservé à la bibliothèque-musée du Français avec d'autres reliques, un bonnet et une montre où est gravé son nom.
Les archives montrent qu'"il n'y a pas une année où (la Comédie-Française) n'a pas joué Molière", selon Mme Sanjuan.
Héritage du "patron", la maison fonctionne selon le principe sacro-saint de l'alternance, avec un spectacle différent chaque soir, mobilisant ses métiers du matin jusqu'au soir, avec des rotations.
"On est le premier théâtre de France (hors maisons d'opéras, ndlr) en volume d'activité: 400 salariés, 70 métiers, 60 acteurs", indique son administrateur général, le comédien Eric Ruf.
Si décorateurs et constructeurs travaillent à Sarcelles en banlieue parisienne, costumiers, tapissiers, régisseurs et autres sont à la salle Richelieu, dans un dédale sur plusieurs étages.
Rien que la partie costumes est déclinée en différents espaces (dont celui des habilleuses attitrées pour un groupe de comédiens ou la régie costumes avec 50.000 éléments répertoriés).
"On fait 50 à 70 costumes par création", affirme Sylvie Lombart, directrice des services de l'habillement.
Le chef costumier Lionel Hermouet souligne le côté "psychologique" aux premiers essayages, certains comédiens déclamant leur texte pendant la séance.
- Pensionnaires et sociétaires -
La maison doit sa longévité à un mode de fonctionnement où les comédiens sont les grands décideurs.
"La troupe est comme une coopérative qui s'autogère; ça n'a pas changé depuis Molière", affirme M. Ruf, en poste depuis 2014.
Lorsque de nouveaux comédiens rejoignent la troupe, ils sont embauchés par l'administrateur comme "pensionnaires" pour un an renouvelable.
Après, ils peuvent être choisis pour devenir "sociétaires" par un comité formé de sept acteurs ayant ce statut-là (et qui décide également des augmentations de salaires).
En janvier 2021, la grande comédienne Dominique Blanc devenait la 538e sociétaire depuis les premiers compagnons de Molière.
"L'administrateur engage, les comédiens dégagent", dit une maxime interne: ce sont aussi les sociétaires qui décident du départ de certains acteurs, provoquant parfois des remous.
"On voit toujours ça comme une violence, alors que c'est une protection", commente Eric Ruf, rappelant que de nombreux acteurs font des carrières très longues au Français.
Tout en reconnaissant "la douleur" que cela implique, il assure qu'il "défendrait toujours ce principe parce que la longévité de cette maison est due à ça. Sinon, elle se serait arrêtée en 1700".
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