L'Agence française du développement… du détournement d'attention...
EDITO - ...ou de fonds ? On se pose la question. Pourquoi ? Parce que cet organisme qui est financé en exclusivité par le contribuable, a un budget annuel de 13 milliards d'euros. Des fonds colossaux gérés par son directeur-général Rémy Rioux sous la présidence de Philippe le Houérou, on peut le dire, "comme bon lui semble", car il n'a nul compte à rendre à quiconque à ce sujet. En tout cas pas officiellement.
La présentation de cette institution financée par nos impôts est-elle totalement fidèle à la réalité ? Notamment pour ce qui est de l'utilisation véritable qui est faite des fonds qui lui sont alloués. Je ne suis pas le seul à m'interroger sur l'utilisation de l'impôt des Français, la commission des Finances du Sénat s’étant récemment illustrée dans l’enquête sur le fonds Marianne mettant à jour de nombreux dysfonctionnements et entraînant l'éviction de Marlène Schiappa de son ministère.
Regardons de plus près le fonctionnement de l'Agence française de développement (AFD). Voilà ce qu'elle annonce sur son site internet et sur sa page Wikipédia : "L'Agence française de développement finance (ADD), accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et durable. Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance. Nos équipes sont engagées dans plus de 4 200 projets dans les Outre-mer et 150 pays. Nous contribuons ainsi à l’engagement de la France et des Français en faveur des objectifs de développement durable.
Présent en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Outre-mer, notre établissement finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète.
En 2020, le groupe AFD (composé de Proparco, filiale destinée au secteur privé, et d’Expertise France) a engagé 12,1 milliards d’euros dans 996 nouveaux projets de développement, tous secteurs confondus.
Le groupe finance et accompagne environ 4 000 projets dans 115 pays et en Outre-mer. Ses équipes sont basées à Paris, à Marseille et dans un réseau de 85 agences à travers le monde. Environ 3 000 collaborateurs travaillent pour le groupe AFD."
C'est "150 pays" ? Ou c'est "115" ? Faudrait savoir.
Ce sont plus de "4200 projets ? Ou ce sont "environ 4000" ? Foncièrement, ce n'est pas la même chose.
Et puisque c'est "12,1 milliards d'euros" qui ont été alloués en 2020 à ces 996 nouveaux projets, sur les 13 milliards du budget annuel total annoncé, alors quelle utilisation a été faite des 900 millions restants ?
Autre point : 12,1 milliards d'euros alloués à 996 projets, cela fait en moyenne 12 148 594 euros par projet. Dans quelle mesure chacun de ces projets "accompagne ou accélère les transitions vers un monde plus juste et durable. Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance" ?
Qu'en ont-ils fait précisément, de tout cet argent, les responsables de ces 996 projets ? Où sont donc les factures ? Et surtout, comme le déclare un de nos informateurs : "Combien de ces fonds auront réellement servi à leur intention d’origine ?" De son côté, un cadre de la Banque mondiale s’interroge sur la "possible transformation de ces fonds en armes ou autres commissions occultes."
Et les 3 000 collaborateurs "environ", combien sont-ils véritablement ? On aimerait bien avoir accès à la liste exacte de ces collaborateurs, et savoir quelles sont exactement leurs activités, ainsi que leurs rémunérations.
Certes, il existe un site Internet (glassdoor.fr) qui en fait état, mais il est spécifié, concernant les montants des rémunérations, primes et salaires horaires qu'ils sont "basés sur les déclarations des salariés et des estimations."
Si cela fonctionne comme à l'époque de Jérôme Cahuzac, ministre de l'Economie et des Finances, et donc garant pour l'Agence française du développement, de l'utilisation de ses fonds conformément à sa mission, ayant menti sous serment ("Je vous le jure droit dans les yeux") sur la gestion de ses fonds personnels, permettez-moi d'avoir un doute. Un gros.
Et la présentation officielle de l'Agence, à la fois élogieuse, imprécise et amphigourique, n'est pas faite pour me rassurer. Bien au contraire. Expérience de consultant oblige, quand on en fait trop, il y a anguille sous roche. Et un analyste, spécialiste des fraudes, n’a eu de cesse de me rappeler que "les faussaires en font toujours trop" et le "diable se niche toujours dans le détail."
Dans son rapport de 2010, la Cour des comptes relevait déjà ces doutes sur "la grande liberté de l'AFD" expliquant que "seul 3,1 % des projets sont à l'initiative des organismes de tutelle" et que "la tutelle exercée par l’Etat sur l’AFD présente à plusieurs égards un manque de cohérence, oscillant depuis plusieurs années entre distance excessive et ingérence, donnant à son ancien directeur général l’image d’une 'gouvernance baroque, bavarde, chronophage et inefficace'." Les termes utilisés ici n'ont rien à voir avec les termes que l'on devrait voir dans la gestion efficace d'un organisme d'Etat. Et il n'y a rien d'autre depuis 2010 !
Sachant que la commission d'enquête parlementaire sur l'utilisation qui a été faite des 2,5 millions d'euros du Fonds Marianne (une peccadille, 4 840 fois moins, comparés aux 12,1 milliards de l'Agence française du développement) révéla jour un détournement de fonds manifeste, on peut s’interroger sur ce que l’on trouverait dans les comptes annuels de l'AFD.
La Cour des comptes dans son rapport de 2023 "relève toutefois la trop grande imprécision des objectifs fixés et les risques de captation des financements par quelques grandes organisations internationales ou une insuffisante maîtrise des partenariats" et souligne "la nécessité de mieux mesurer les bénéfices attendus des actions financées, tant pour les bénéficiaires de l’aide dans les pays en développement, que pour la société civile en France."
Comme notre Président l'a dit, c'est la fin de l'abondance. L'initiative d'une commission d'enquête parlementaire vous appartient, Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs. Frappez fort ! Saisissez cette occasion de mettre un terme définitif à ces parties de poker menteur ruineuses pour la France et le contribuable.
Soyez intraitables avec les escrocs en cols blancs, "copains des copains". Sanctionnez lourdement afin de réduire les montagnes de dette. Si, comme pour le fonds Marianne, l'usage des fonds étaient majoritairement douteux, on pourrait donc économiser quelques milliards (eh oui, 50 % de 12,1 milliards, cela fait 6 milliards). Ce n'est plus une paille.
Le fonds Marianne était un "tournoi challenger" avec ses 2,5 millions, 40 fois moins bien doté que la Dilcrah, avec ses 100 millions d’euros. La possibilité d’une enquête sur les 1,4 milliard du Centre national cinématographique nous ferait changer de dimension, et nous mènerait vers des tournois plus prestigieux. Cependant, avec les 13 milliards sur lesquels enquêter avec l'AFD, nous serions directement qualifiés en Champion's League, voire, carrément, à un tournoi du Grand Chelem mélangeant habilement rugby, poker et tarot, pour que l'intérêt général y trouve son compte plutôt que des intérêts privés.
Mais cela n'est pas pour demain. Un fin connaisseur du fonctionnement de l'AFD et de la vie politique française, ardent défenseur du commissaire européen Thierry Breton, aurait déclaré à un membre du Parlement : "Si vous touchez à l'AFD, vous êtes mort". Ce qui évidemment nous incite à poursuivre l'enquête. Au prochain numéro !
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