L'avenir de la Ciivise divise
EDITO - Aux États-Unis on appelle cela The Deep State, l'Etat profond. Et deuxième amendement faisant, j'ai ma petite idée de ce dont il s'agit.
Mais de notre côté de l'Atlantique, et tout particulièrement en France, je me pose la question : où loge le pouvoir ? Le vrai. Celui qui fait que pour nous autres citoyens lambda, la démocratie est un leurre. Un leurre douloureux et préjudiciable pour le profane, notamment lorsque, ayant saisi la justice à bon droit, la loi penche rarement de son côté. Ceux qui n’ont pas les codes se voient systématiquement privés de l'équité qui leur est due, quand la partie adverse, elle, est rompue à l'exercice, initiée qu'elle est.
Maître inégalable de la formule, Coluche a parfaitement résumé cette navrante réalité :
“Il y a deux sortes d'avocats. Il y a l'avocat qui connaît bien la loi, et il y a l'avocat qui connaît bien le juge. Et désolé, mais à chaque fois, c'est l'avocat qui connaît bien le juge qui gagne.”
La dérive semble avoir été portée à son paroxysme avec l'arrivée d'Emmanuel Macron à l’Élysée. Défendre la veuve et l'orphelin n’est pas vraiment l’idée que l’on se fait de la justice au sommet de l’Etat.
Pourquoi ? Parce que “Jupiter” mène sans relâche depuis six ans une chasse aux sorcières dans la jungle de la magistrature. Et très bientôt, il aura réussi à faire en sorte que “l'autorité judiciaire de la Nation” (dénomination constitutionnelle de la justice) sera composée exclusivement de copains des copains.
J'en veux pour preuve la dernière éviction à laquelle il veut procéder.
Notre mauvais roi s'apprête à radier des cadres le juge Durand.
Le monarque veut fait payer à cet homme qui manifestement n'est pas du tout membre de je ne sais quel club de réflexion huppé où loge l'état profond, le crime de lèse-majesté d'avoir dit ses quatre vérités au couple Macron sur « LE » sujet qui fâche : la pédocriminalité. A savoir les 160 000 enfants français victimes de violences sexuelles chaque année. Autant d'affaires dans lesquelles la totalité de l'appareil judiciaire (police, parquet, protection de l'enfance, tribunaux) et surtout l'exécutif se complaît dans des procédures interminables, amphigouriques (délibérément ou non pas ? J'y reviendrai), usant de textes de loi manifestement inappropriés, accouchant d’un non-lieu ou d’un classement dans l'immense majorité des cas.
Un nouveau scandale arrive. L’@Elysee va virer lundi matin le @JugeDurand parce qu’il était sur le point de sauver des milliers d’enfants.
— Zoé Sagan (@zoesagan) November 18, 2023
Relisez s’il vous plaît et partagez le manifeste de l’incorruptible et insubmersible Juge Durand s’adressant il y a deux mois entre les… https://t.co/PQXEPK4Ch7
C'est le Premier Ministre et le ministre de la Justice qui mènent la politique décidée en la matière par le président de la République.
Or, force est de constater que, le traitement inacceptable, en l'état, par l'État, de ces tonnes de dossiers qui s'accumulent chaque année, grossissent “artificiellement” (nourris qu'ils sont d'actes inutiles et qui tardent à être accomplis), et n'aboutissent à rien, assure de fait l'impunité aux auteurs de faits qui, chaque année, touchent 160 000 enfants...
C'est ce que j'appelle le tourniquet infernal de la justice qui ne mène nulle part, à géométrie variable et à ajustements constants.
Géométrie variable car plus l'auteur des violences sexuelles est un proche du pouvoir (pouvoir établi ou État profond), plus l'affaire traîne en longueur et plus cette personne bénéficiera d’exceptions à la règle qu'on a pris soin d'introduire dans la norme, à cet effet, en commission des lois. Pour chacun des copains des copains nommés par l'exécutif, aux postes décisionnaires, et pour qui on réserve le bénéfice de ces exceptions uniquement aux initiés. Système mafieux ?
Les membres de cette association de malfaiteurs qui sévit en France dans bien des domaines (à peu près tous, pour tout dire...), et aux mains desquels les institutions sont tombées, les membres de ce qui m’est décrit par un proche du pouvoir comme “une organisation occulte et mafieuse” respectent là le serment commun qu'ils ont prêté dans l'ombre de se serrer les coudes, quoi qu'il en coûte. “Plutôt mourir que refuser de le faire” : la devise à laquelle ils se soumettent tous d'excellente grâce. Car si chacun d'eux se plie à cette exigence, l'impunité est garantie à tous.
Oui, on retrouve ici, hélas, la pleine et entière application de la formule par laquelle, là encore, l'ami Coluche, a parfaitement résumé la situation : “Un pour tous, tous pourris !”
Alors, me direz-vous, pourquoi Emmanuel Macron et consorts se soucient-ils du juge Durand ?
Tout simplement parce que cet homme ne fait visiblement pas partie du gang. C'est le vilain petit canard. Comme le disent, je crois, les professionnels avisés de l’ingénierie sociale, le fameux “un sur dix mille” qu'ils craignent tant, le type d'individu qui, quel que soit le groupe d'êtres humains (c’est la même chose chez les animaux) est imperméable à n’importe quel type de manipulation ou de chantage. Mieux, même ! Ce qui est le pire pour les manipulateurs, c’est que certains de ces “un pour dix mille” arrivent à faire croire que la manipulation fonctionne, ce qui peut leur permettre de s’infiltrer au sein de certains groupes.
Édouard Durand semble bien faire partie de cette dernière catégorie.
Issu qu'il est de l'École nationale de la magistrature, il aurait dû être formaté comme tous les autres. Faire comme on lui dit de faire sans jamais se poser de question. Placé en 2021 à la tête de la Ciivise, il aurait dû, en bon petit soldat, rester dans le rang, ne faire aucune révélation gênante, garder le cap vers le néant, insuffler de l'air dans une bulle vide, et la faire gonfler de telle sorte qu’elle garantit l'impunité aux voleurs qui s'y cachent. Les pédocriminels continuent ainsi de bénéficier de cette protection non-officielle et institutionnalisée.
Comme le Général de Gaulle le 18 juin 1940, Édouard Durand a dit non : il a décidé d'entrer en résistance. C'est l’opposé d’un juge pour enfants qui vendait sa fille de 12 ans sur Internet et qui est toujours libre. Et c'est donc à juste titre que cet ancien juge pour enfants de Bobigny est loué pour sa capacité d’écoute et son engagement profond... contre l'État profond.
À cet égard, voici comment débute le manifeste qu'il a publié en tant que coprésident de la Ciivise, il y a deux mois, et via lequel, entre les lignes, il s'est adressé au couple Macron :
"Plus de 160.000 enfants français victimes de violences sexuelles chaque année. Seulement 3% des plaintes de viols sur mineurs donnent lieu à une condamnation. Ce système est un système d’impunité. Qui voulons-nous protéger ?”
En quelques mots, le juge Durand explique, comme personne ne l'avait fait avant lui, au million de Français qui a lu son manifeste, que, je cite :"Nous avons collectivement une dette envers les enfants que nous n'avons pas protégés.”
Lui, il sait le prix à payer quand on s’engage. Et il sait aussi qu’il est un point fixe pour les enfants.
Il a reçu plus de 27 000 témoignages d’abus en moins de deux ans. Et puis, il est quelqu’un pour qui la loi n’est pas flexible. Autant vous dire que les macronistes ne l’aiment pas des masses.
Il est également le seul à répéter “qu’on n'a pas le droit de prendre possession du corps de l’autre.”
Quand on lui demande pourquoi la société française ne se réveille pas, il dit que nous sommes un groupe d'humains fascinés par le pouvoir et la violence, violence qui n’est jamais qu’un instrument pour prendre le pouvoir sur l’autre, pour lui dire :“Tu m’appartiens !”
Et puis, nous avons peur. Nous interposons toujours entre l’enfant et la protection des prétextes qui nous permettent de nous dire que nous ne savons pas, que tout cela n’est pas vrai ou que ce n’est pas grave. Que les enfants mentent. Que des mères trop protectrices inventent. Ou encore que les médecins font des signalements abusifs.
Pourquoi ? Parce que nous voulons nous protéger, nous, en tant qu’adultes.
Et les enfants nous regardent et ils disent : “C’est cela le monde des adultes ?”
Les macronistes diront que c’est un complotiste qui en rajoute. Ce qu'ils veulent cacher est un problème d’ordre et de santé publics. De politique. Et ça, pas un homme de pouvoir ne veut en entendre parler. Pas un.
Quinquennat après quinquennat, 9,7 milliards d’euros par an, c’est pourtant le prix de l’impunité des agresseurs qui violent des enfants. La protection des criminels engloutit une partie substantielle des impôts français. Ces vils agresseurs détruisent des vies qui ensuite coûtent elles aussi très cher à la société.
Ce coût, c’est la souffrance des victimes durant le reste de leur existence. L’impossibilité de sortir de chez soi. De s’accomplir. De fonder une famille.
Le Juge Durand dit qu’il faut d’urgence construire une culture de la protection. Et pour entrer dans cette culture de la protection, il faut faire un choix de principe, un choix résolu, un choix collectif de politique publique : il faut croire l’enfant qui révèle des violences.
À vous de répondre maintenant, Emmanuel Macron...
Aider le juge Edouard Durand à aller jusqu’au bout de son œuvre et de son combat, c’est aider les enfants de France.
Pour l’heure, l’exécutif entretient le flou.
“Faut-il aller vers une forme de Ciivise 2 ? Faut-il revoir ou amplifier les choses ? Les arbitrages seront donnés dans quelques jours”, a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran.
Une piste envisagée serait de reconduire la Ciivise, dont le travail est salué, mais avec un casting remanié. Le juge Édouard Durand pourrait être remercié. Son aura médiatique, la mise en cause répétée des dysfonctionnements du traitement judiciaire des violences sexuelles, son indépendance, agacent, selon beaucoup d’observateurs.
Pour Arnaud Gallais, membre de la Ciivise, également président de l’association BeBrave écarter le juge serait une erreur stratégique :“Le signal envoyé ne serait pas bon.”
Et d’ajouter à cela en guise de conclusion: "Il est essentiel d’avoir un garde-fou pour évaluer le travail de manière indépendante.Or le juge Durand est connu pour son franc-parler. Si le fait de dire les choses clairement là où ça dysfonctionne, ça gêne, ça interroge pour la suite.”
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