Nuisances sonores : le président de l’ACNUSA, le gendarme des transports aériens, propose des pistes d’amélioration
ENTRETIEN - Gilles Leblanc, le président de l’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA), nous présente ses recommandations pour réduire les nuisances sonores. Mais l’État n’est pas toujours au rendez-vous pour modifier les textes et les faire appliquer. Les lobbys aériens sont puissants et les populations impactées par l’activité des aéroports sont excédées, voire désespérées. Les professionnels de la santé dénoncent les bruits aériens qui causent de nombreuses maladies et entraînent un surcroît de mortalité.
La sonnette d’alarme a été tirée. Plus de 100 professionnels de santé ont signé une tribune dans Le Monde en décembre dernier pour alerter sur le bruit aérien : « C’est l’espérance de vie qui est menacée ». La santé des citoyens doit l'emporter sur les intérêts financiers. Les soignants réclament l’interdiction des extensions aéroportuaires. Ils dénoncent l’augmentation du nombre de vols d’avions, notamment à Paris-CDG qui passerait de 500 000 à 680 000 mouvements par an dans un proche avenir. Ils demandent la mise en place de couvre-feux qui doivent devenir la règle, et non l’exception, en France.
En réponse à notre précédent article, Gilles Leblanc, le président de l’ACNUSA, nous a reçus dans ses bureaux au ministère de la Transition écologique, boulevard Saint-Germain, à Paris. Nous avons fait un tour d’horizon sur les sujets d’actualité liés au bruit aérien.
FranceSoir : Près de 1 000 poursuites ont été engagées à l’encontre des compagnies aériennes en 2022 pour non-respect des règles édictées. Ce chiffre est impressionnant. C’est la pagaille dans le ciel aérien ?
Pour la première année de la reprise du trafic après la crise sanitaire, il y a eu des débordements nombreux de la part des compagnies aériennes impactant les collectivités territoriales et les populations vivant ou travaillant sur ou autour des grands aéroports.
La reprise des vols intracommunautaires s’est faite de manière rapide. Certaines compagnies aériennes ont cherché à gagner des parts de marché. Elles ont programmé plus de vols que la capacité de production du secteur ne le permettait à ce moment-là. Il y a donc eu de nombreuses annulations de vols (7% en Europe), une augmentation des retards (6 à 7% de pertes de ponctualité), des déviations de trajectoires non justifiées et des non-respects de couvre-feux. Il y a eu beaucoup de déroutements d’Orly vers Roissy, l’aéroport d’Orly étant fermé la nuit. Il y a eu aussi une nette augmentation des départs non autorisés en cœur de nuit à Roissy entre minuit et 5 heures du matin.
L’autorité de contrôle est appelée à sanctionner les manquements dans le plus grand respect des droits de la défense, mais elle est surtout mobilisée en prévention. Il importe que la situation de la saison de l’été 2022 ne se reproduise pas en 2023.
FS : Sous l’autorité d’une magistrate détachée comme rapporteur, l’ACNUSA dispose d’une toute petite équipe constituée d’une adjointe, d’un rédacteur et d’un greffier. Comment pouvez-vous traiter cette inflation de dossiers avec ces moyens limités ?
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes avait souligné que les effectifs étaient un peu justes pour traiter, à l’époque, 600 dossiers par an. Nous avons demandé, dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2023, une légère augmentation de nos effectifs, soit deux ETP (ndlr, équivalent temps plein). Malheureusement sans succès.
L’augmentation du nombre de dossiers accroît la charge de travail de l’ACNUSA, mais également la charge de travail des agents assermentés de l’aviation civile. Elle risque de rallonger les délais entre la date où l’infraction est commise et la date du prononcé de la sanction. Des délais excessifs ne permettent pas aux compagnies aériennes et aux autres parties concernées, y compris les services du contrôle aérien, de dégager rapidement des enseignements des manquements aux règles environnementales afin de prévenir le risque de récidives.
Des délais excessifs peuvent conduire les compagnies aériennes à chercher à se défendre avec l’appui d’avocats spécialisés pour échapper à des amendes dont le plafond est de 40 000 euros.
Les manquements aux règles environnementales édictées par arrêtés ministériels sont autant de coups de couteaux dans le contrat social local. Ils exacerbent les tensions locales. Notre objectif est de les réduire.
FS : De grands aéroports européens (Londres-Heathrow, Francfort, Bâle-Mulhouse, Madrid) interdisent ou limitent les vols de nuit sur des plages horaires d’au moins six heures. L’aéroport d’Orly bénéficie d’un couvre-feu entre 23h30 et 6h. Mais ADP (Aéroport-de-Paris) refuse toujours d’envisager un couvre-feu à Paris-Charles-de-Gaulle. Pourtant l’OMS recommande huit heures de sommeil consécutives pour rester en bonne santé. Que proposez-vous ?
Le nombre de mouvements en cœur de nuit (entre minuit et 5h30) est plafonné à 17 562 mouvements sur un total de 500 000 mouvements par an à Roissy.
Au début de l’année 2019, l'ACNUSA a relevé que le plafond était largement dépassé depuis plusieurs années. Elle a remis un rapport au gouvernement soulignant que le dispositif était contourné. Si les départs sans créneau en cœur de nuit font l'objet de poursuites de la part de l'administration de l'aviation civile et sont sanctionnés par l'ACNUSA, ce n'est plus le cas, depuis plusieurs années, pour les arrivées en cœur de nuit sans créneau. Elisabeth Borne, la ministre de la Transition énergétique et solidaire de l'époque, s'était engagée à combler cette lacune (...).
L'année 2022 a malheureusement été une année record pour le nombre de poursuites engagées pour des départs en cœur de nuit non autorisés.
Par ailleurs, il convient de moderniser le cadre de régulation actuelle. Il est possible de continuer à baisser de manière raisonnée le plafond des vols en cœur de nuit. La réglementation européenne impose de soumettre les mesures de restriction envisageables à étude d'impact afin de permettre au public et aux décideurs d’apprécier - sur des bases objectives - le scénario de régulation le plus équilibré.
(Illustration) Les nuisances sonores aériennes causent de nombreuses maladies et entraînent un surcroît de mortalité
FS : Ne faut-il pas exiger de meilleures performances acoustiques des aéronefs afin de réduire le niveau sonore ? Les gros-porteurs (A319, A380, A350, Boeing 777…) sont bruyants même lorsqu’ils survolent une commune à 4 000 mètres d’altitude.
L’indicateur le plus pertinent pour comparer le bruit des aéronefs au départ est le bruit certifié en survol. À l’atterrissage, il s’agit du bruit certifié en approche. Les aéronefs de dernière génération - Airbus A350, Airbus A220, Boeing 787- ont indéniablement de meilleures performances acoustiques que ceux des générations précédentes. Il y a donc un intérêt à renouveler les flottes avec des aéronefs de dernière génération et à mettre à la casse les aéronefs les plus bruyants.
L’ACNUSA recommande de réévaluer les performances acoustiques minimales des aéronefs autorisés à opérer à Paris-CDG, notamment la nuit, en révisant les exigences minimales. Ceci afin de fixer des exigences progressivement plus fortes au cours des prochaines années pour que les compagnies aériennes soient incitées à renouveler leurs flottes si elles souhaitent opérer à Paris.
L’aéroport de Charles-de-Gaulle ne peut se retrouver moins-disant environnemental par rapport à d’autres grandes métropoles d’échelle mondiale, comme Londres-Heathrow. L’Ile-de-France ne peut accepter d’accueillir demain des aéronefs qui sont refusés ailleurs en Europe.
Le retrait progressif des aéronefs les plus bruyants est nécessaire entre 22h et 6h. Lorsque les trois Boeing 747 opérés par la compagnie Corsair ont été remplacés par des A350, les riverains d’Orly ont vécu un soulagement.
Il y a un enjeu pour les aéronefs passagers, mais l’enjeu est encore plus important pour les avions-cargos. En décembre 2022, la part des vols de fret express a été de 90,5% des départs et de 97% des arrivées en cœur de nuit.
Les principales compagnies spécialisées (FedEx, DHL, UPS et ASL) ne sont pas opposées à remplacer leur flotte. Elles ont d’ailleurs commencé à le faire. Elles attendent de l’Etat de la lisibilité sur le calendrier et les caractéristiques acoustiques minimales qui seront requises dans les prochaines années pour opérer à Paris-CDG.
FS : L’aéroport de Paris-CDG est incontestablement dans le collimateur avec 500 000 mouvements par an soit une moyenne de 1 369 vols par jour. De nombreux Parisiens se plaignent des nuisances sonores générées par un accroissement des vols au-dessus de la capitale. Quelles mesures préconisez-vous pour que Paris ne devienne pas invivable ?
Comme vous l’avez indiqué dans votre précédent article, les avions peuvent survoler Paris à plus de 6 500 pieds, soit 1 981 mètres. La réglementation est assez ancienne. Elle a été édictée pour des motifs de sécurité et non pour des motifs d’environnement et de santé. Pour cette raison, les constats d’infractions éventuelles ne nous sont pas communiqués par l’administration civile. Seul le ministre chargé de l’aviation civile a le pouvoir de sanction.
Le seuil de 6 500 pieds pourrait être relevé pour des raisons environnementales. Par ailleurs, les volumes de protection environnementale (VPE) associés aux procédures opérationnelles de navigation aérienne pourraient être prolongés, car aujourd'hui les aéronefs ont des performances leur permettant d’être à des altitudes bien supérieures lorsqu'ils survolent Paris.
Il conviendrait également d’optimiser les deux doublets de pistes à Paris-CDG.
La généralisation des procédures d’approche en descente continue guidée par satellites est aussi une piste d’amélioration pour avoir moins de nuisances sonores.
Sans oublier de mettre en place une réduction progressive du plafond des mouvements autorisés en cœur de nuit à CDG.
Pour que Paris ne devienne pas invivable, une régulation environnementale des eVTOL (ndlr, Electric Vertical Takeoff and Landing aircraft), c’est-à-dire des taxis volants et des drones sera rapidement nécessaire à la bonne échelle - Paris/Métropole du Grand Paris ou Ile-de-France - pour ne pas se faire déborder.
FS : De plus en plus d’aéronefs décollent de Roissy vers l’Ouest et effectuent une boucle raccourcie au-dessus de Paris pour repartir vers l’Est. Cette trajectoire occasionne des perturbations sonores toutes les trois à cinq minutes dans certains arrondissements du Nord de Paris. Les personnes impactées sont dans l’impossibilité de se concentrer le jour ou de se reposer la nuit. Qu’en pensez-vous ?
Les avions décollent et atterrissent toujours face au vent. La configuration Ouest est majoritaire en Ile-de-France, entre 60 et 80% selon les mois par rapport à la configuration Est. Notre équipe a effectivement constaté qu’il y avait plus de décollages par vent d’Ouest au départ de Paris-CDG fin 2022 et un plus grand nombre de survols du Nord de Paris.
La modernisation et l’optimisation des procédures de navigation aérienne au départ et en approche des aéroports sont des enjeux importants pour l'Île-de-France. La DSNA, l'opérateur national de la navigation aérienne, travaille sur plusieurs projets visant à réduire la consommation de carburant et donc les émissions de CO2 des aéronefs.
Au départ de Roissy, les aéronefs de dernières générations sont équipés pour pouvoir prendre plus rapidement de l'altitude avec moins de poussée.
Les volumes de protection environnementale (VPE) associés aux procédures fixent les marges de tolérance qu’ont les pilotes par rapport à la trajectoire nominale pour les premiers kilomètres après le décollage. Dès l’extrémité de ces VPE, les pilotes doivent respecter les consignes des contrôleurs aériens, mais ils peuvent prendre la route la plus courte. Le VPE pourrait être prolongé pour encadrer les conditions de réalisation du virage sur le plan horizontal (territoires survolés) et sur le plan vertical (altitude de survol).
Le climat est certes une priorité planétaire, mais la lutte contre le réchauffement climatique ne doit pas être menée au détriment de la santé des populations impactées par les activités aéroportuaires.
Qu'est-ce que L'ACNUSA ?
L’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires a été créée en 1999 par l’État pour contrôler l’ensemble des dispositifs de lutte contre les nuisances générées par le transport aérien et le secteur aéroportuaire. Elle émet régulièrement des recommandations sur toute question relative à des nuisances environnementales sur et autour des aéroports. La balle est alors dans le camp du gouvernement et du ministre chargé des Transports, en l’occurrence d’Elisabeth Borne et de Clément Beaune. Par ailleurs, l’ACNUSA, autorité administrative indépendante, dispose d’un pouvoir de sanction à l’encontre des compagnies aériennes.
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