Abus sexuels dans l'Eglise : à Reims, la parole libérée des victimes

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Par Dominique CHARTON - Reims (AFP)
Publié le 15 septembre 2021 - 18:33
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L'archevêque de Reims, Eric de Moulins-Beaufort, ouvre une série de réunions publiques sur les abus sexuels dans l'église, à Reims le 15 septembre 2021
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© FRANCOIS NASCIMBENI / AFP
L'archevêque de Reims, Eric de Moulins-Beaufort, ouvre une série de réunions publiques sur les abus sexuels dans l'église, à Reims le 15 septembre 2021
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"Regarder en face" les cas d'abus sexuels, "accueillir la parole des victimes": l'archevêque de Reims à ouvert mardi une série de quatre réunions publiques inédites dans le diocèse, avant un attendu rapport de la Commission indépendante mise en place par l’Église catholique au niveau national.

"On m'a volé mon corps d'enfant. J'ai 51 ans et mon âme à huit ans". Sur la scène de la petite salle de spectacles de la maison diocésaine Saint-Sixte à Reims (Marne), Laurent Martinez joue son propre rôle devant une centaine de personnes.

Violé à huit ans par un prêtre d'une école catholique de la région lyonnaise, il en a conçu "Pardon", une pièce puissante et sensible jouée en préambule des échanges.

"C'est mon histoire ! J'avais dix ans. Et j'avais 64 ans quand j'en ai parlé pour la première fois à mon évêque" raconte Francis, la voix secouée de sanglots. "En mai-juin, j'ai eu l'occasion d'en parler avec mes enfants. Mon fils aîné m'a dit qu'il était content que je parle" et "qu'il s'en doutait parce que je ne parlais jamais de mon enfance", poursuit-il.

- "Perdu la foi" -

Quelques fauteuils plus loin, un autre retraité prend la parole. "J'ai été violé dans mon enfance par un prêtre de Reims. Cette expérience, je l'ai refoulée. Pour pouvoir parler, il faut être écouté. Je n'ai pas trouvé d'interlocuteur" confie-t-il d'une voix basse et tendue.

"Voilà comment j'ai perdu la foi", après "une éducation et une scolarité très catholiques", ajoute-t-il. "Je me suis arrangé pour que mes enfants ne soient pas baptisés, qu'ils n'aillent pas à l’Église".

Pour lui, le problème reste que "l’Église pense que la loi de Dieu est supérieure à celle des hommes". L'homme s'éclipse ensuite discrètement de la salle.

"L'enfant est une proie facile. J'avais été repéré comme le faible dans le troupeau. Un pédophile fait toujours comme ça", déplore devant le public Laurent Martinez, l'auteur de la pièce.

Face à lui, une responsable d'association, chargée d'accompagner les enfants victimes, témoigne: "vous avez bien décrit combien les victimes sont dévastées. La parole fait sortir du secret". "Dans l’Église le silence a duré trop longtemps. C'est ce silence qui me faisait mal. Il faut en finir !" lance aussi, nerveuse, une jeune membre d'une autre association catholique féminine.

- Chiffres "effrayants" -

"Enfin, il y a un débat dans ce diocèse qui bruissait de rumeurs de comportements inappropriés. Mais que de temps perdu!", regrette un intervenant.

"Nous sommes au début du chemin", concède l'archevêque de Reims, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France depuis 2019. "Mais on sait maintenant ce que l'on ne voulait pas voir: la souffrance des victimes" poursuit-il, qualifiant les prises de parole de cette soirée de "première nécessité".

Une enquête dans les archives du diocèse de Reims-Ardennes a révélé "qu'il y avait eu, depuis les années 50 jusqu'à aujourd'hui, 11 cas de prêtres coupables", dévoile Mgr de Moulins-Beaufort.

"Je crains que, le 5 octobre, le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église ne rende des chiffres considérables, effrayants" affirme-t-il.

Créée en 2018, après la révélation de plusieurs scandales, et commandée par l'épiscopat et les instituts religieux, la Ciase est chargée d'enquêter sur les agressions sexuelles sur mineurs dans l’Église depuis 70 ans.

Elle s'est appuyée sur de nombreuses archives de l’Église, de la presse ou de la justice, une enquête portant sur un échantillon représentatif de la population générale, ou encore un appel à témoignages effectué via une plateforme d'appels téléphoniques pendant près de 18 mois.

En mars, elle avait révélé un chiffre provisoire "d'au moins 10.000" victimes depuis 1950.

"Il faut que les victimes sachent que si elles parlent, elles seront maintenant entendues" s'engage Mgr de Moulins-Beaufort.

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