Au Zimbabwe en friche, un irréductible atelier de chaussures

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Par Ben Sheppard - Bulawayo (Zimbabwe) (AFP)
Publié le 13 février 2019 - 09:21
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Des employés de l'entreprise Courteney qui fabrique des chaussures de manière artisanale au Zimbabwe, le 25 janvier 2019
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© Zinyange Auntony / AFP
Des employés de l'entreprise Courteney qui fabrique des chaussures de manière artisanale au Zimbabwe, le 25 janvier 2019
© Zinyange Auntony / AFP

Avec ses usines désertes et ses entrepôts délabrés, Bulawayo a perdu depuis longtemps son rang de capitale industrielle du Zimbabwe, victime de la crise économique. Au milieu de cette friche, une petite fabrique de chaussures résiste encore.

L'atelier d'une pièce seulement, où se mêlent odeurs de cuir, de colle et de caoutchouc, ne paie pas de mine. Pas d'enseigne sur la devanture en briques rouges. Mais à l'intérieur, 14 salariés, tous des hommes, s'activent pour répondre à la demande internationale qui ne se dément pas malgré les difficultés du pays.

"Les gens sont fatigués des matériaux fabriqués par l'homme, ils veulent des produits naturels comme les nôtres", estime un des ouvriers, Misheck Sibanda, en manipulant des peaux de cuir tendres d'hippopotames, de gnous ou encore d'autruches.

Fondée en 1993, l'entreprise Courteney - en hommage à Frederick Courteney Selous, un explorateur et chasseur britannique décédé en 1917 - produit chaque jour trente paires de chaussures faites main, pour l'essentiel destinées aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à l'Afrique du Sud.

La clé de leur survie ? Une main-d'œuvre qualifiée, des produits de qualité et plutôt indémodables, et un savoir-faire artisanal.

"On fabrique les chaussures à l'ancienne", explique Helen Emerick, la directrice de Courteney, la marque à l'éléphant. Ici, pas de laser pour découper les cuirs. Et on se contente d'un clou et d'un marteau pour percer les œillets.

- Buffle, kudu ou crocodile -

Petite touche locale, les employés ne travaillent que du cuir zimbabwéen - buffle, kudu ou crocodile - cousu sur des semelles en caoutchouc naturel importé de Malaisie.

La quinzaine de modèles proposés pour hommes et femmes sont quasi inchangés depuis des années: des chaussures de style basique mais robustes, "faites pour l'aventure" comme le clame la marque, pour la plupart montantes, dans des coloris brun, noir ou sable. Seuls quelques modèles féminins, rose ou violet, osent la fantaisie.

"On vend à l'international, dans les pays développés alors que nous sommes un pays du +tiers-monde+. Ca me fait sourire", se félicite l'ouvrier Misheck Sibanda.

Au Zimbabwe, l'économie ne s'est jamais aussi mal portée depuis une dizaine d'années. Malgré les promesses de relance du président Emmerson Mnangagwa, au pouvoir depuis 2017, les Zimbabwéens manquent toujours cruellement de liquidités. Pire, ils ont renoué ces derniers mois avec les pénuries d'essence, de médicaments, de pain ou d'huile.

Pour s'en sortir, Courteney vend ses chaussures en dollars américains uniquement, pour 140 à 500 dollars la paire.

- "Grandir" -

En 2009, l'hyperinflation a contraint le Zimbabwe à abandonner sa monnaie au profit du billet vert.

Mais très vite, la devise américaine a commencé à manquer. Le gouvernement a bien introduit il y a deux ans des "bond notes" - des billets d'obligation - d'une valeur initiale identique au dollar, mais l'échec a été cinglant: un tel bon vaut aujourd'hui 2,5 à 3 dollars.

Dans ce contexte peu propice, Courteney a néanmoins embauché l'an dernier trois employés. Helen Emerick a confié son recrutement à son propre personnel. "Ils connaissent exactement les compétences requises. Ils veulent que la société continue de grandir".

L'entreprise n'échappe pas à l'environnement ambiant. "Le plus grand défi, ce sont les coupures fréquentes d'électricité", explique la patronne, "on doit utiliser nos générateurs et s'assurer qu'on a toujours assez de carburant".

Dans le centre de Bulawayo, un magasin spécialisé dans la mode masculine attend avec impatience sa prochaine livraison de chaussures étiquetées Courteney.

"Un Sud-Africain est venu hier et a acheté neuf paires pour lui et ses amis", explique le propriétaire, Jay Giga. "Je les vends aussi vite que je les reçois. On en demande toujours plus."

De quoi conforter l'inflexible optimisme de Misheck Sibanda. "C'est difficile ici", soupire-t-il. Avant d'ajouter, sûr de lui: "mais nous survivrons parce que nous sommes uniques".

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