À Bessé-sur-Braye, la peur du vide en cas de fermeture de l'usine Arjowiggins

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Par Benjamin MASSOT - Bessé-sur-Braye (France) (AFP)
Publié le 21 février 2019 - 11:03
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Sur les grilles de l'usine d'ArjoWiggins à Besse-sur-Braye (Sarthe), le slogan peint sur une bâche "Arjo fermée = région sinistrée" le 20 février 2019
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© JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
Sur les grilles de l'usine d'ArjoWiggins à Besse-sur-Braye (Sarthe), le slogan peint sur une bâche "Arjo fermée = région sinistrée" le 20 février 2019
© JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

"On ne dort plus": à l'image du maire de Bessé-sur-Braye, tout un village et une région enclavée de la Sarthe sont suspendus au sort de l'usine du papetier Arjowiggins, en redressement judiciaire, un nouveau dossier emblématique de la désindutrialisation des territoires reculés.

Bessé-sur-Braye: 2.200 habitants. Usine Arjowiggins de Bessé: près de 600 salariés. Située à une heure de voiture du Mans, de Tours et de Blois, cette énorme fabrique de papier née au début du XIXe semble presque incongrue au milieu d'un village dominé par un château.

"Dans les chaînes, c'est le désespoir, car ici, on est loin de tout. Si ça ferme...", soupire Pascal Daguenet, 59 ans - dont 35 années passées chez "Arjo" - à la sortie de l'usine qui ne tourne plus qu'au ralenti.

Sur les grilles de l'usine, le slogan peint sur une bâche "Arjo fermée = région sinistrée" illustre les nuages noirs pesant sur le site qui produit du papier haut de gamme pour les magazines, des cartes à jouer ou encore du papier servant aux étiquettes dans l'alimentation.

Alors que cette usine de la division Arjowiggins Graphic a été placée début janvier en redressement judiciaire, la reprise n'a pas attiré les foules: seul un repreneur, le groupe THLF, a finalement fait part de son intérêt, avec le 6 mars comme date butoir pour déposer l'offre. "C'est du 50/50", veut croire Philippe Abraham, délégué CGT, interrogé sur les chances de reprise.

Pour expliquer cette situation, certains pointent la hausse du prix de la pâte à papier, d'autres l'évolution de la société qui fait désormais la part belle au numérique tandis que certains critiquent l'actionnaire Sequana.

Au restaurant tout proche "La Gare", on ressent déjà les conséquences d'une production quasiment atone et du chômage partiel touchant une partie du personnel. "On n'avait jamais eu de journées à trente couverts comme aujourd'hui", lance dépité le tenancier, non loin d'affichettes de soutien à "Arjo" sur le mur à côté de publicités pour des brocantes et des clubs sportifs.

"Il y avait beaucoup d'intervenants, de sous-traitants. Si Bessé ferme, c'est catastrophique, c'est l'usine du coin", explique une employée du restaurant.

- "tsunami social" -

Les rares commerces ouverts de la rue principale, qui pourrait orner un livre de photographie de Depardon, s'attendent eux aussi au pire. "Tout le monde travaille avec l'usine", explique Antoine, opticien, habitué à fournir des lunettes de protection aux ouvriers. En raison de l'implantation du papetier, le village est bien fourni en équipements, avec un collège, des courts de tennis ou encore une piscine couverte. "Si ça ferme, est-ce que le collège sera justifié ?" s'interroge-t-il.

En outre, on sent poindre un dépit chez les salariés du peu de cas réservé à leur sort par les médias. "PSA à Aulnay ou Goodyear à Amiens on en parlait beaucoup car ce sont des marques connues du grand public alors que nous on fait du B to B (qui s'adresse aux professionnels, ndlr), on vend à des imprimeurs principalement", explique Bruno Leconte, qui travaille au service informatique.

"À Jouy-sur-Morin (un site en Seine-et-Marne, ndlr), les gars d'Arjowiggins Security ont fait parler d'eux car ils ont un avantage, si l'on peut dire, ils peuvent faire brûler du papier pour carte grise. Nous malheureusement si on fait brûler des ramettes de papier, ça ne fait pas beaucoup de bruit..."

Pour les élus, la situation est d'autant plus difficile à accepter que certains signaux encourageants étaient apparus. "C'est tombé d'un coup: on parlait de +réemplois+ et tout d'un coup on est en redressement judiciaire", dit le maire Jacques Lacoche qui a fait partie des 500 personnes qui ont manifesté mercredi au Mans pour la défense du site.

Pour Gilles Leproust, conseiller départemental communiste, l'usine dispose d'un bon carnet de commandes. "On parle de tsunami social pour la région: le terme est adapté", dit-il gravement, alors que l'intersyndicale CGT/CFDT/CFE-CGC avance le chiffre de 3.000 emplois directs et indirects menacés en comptant les deux usines de la Sarthe (Bessé et Le Bourray, près du Mans).

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