Lutte contre le blanchiment : les banques européennes en ordre dispersé

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Par Benoit TOUSSAINT, Carole GUIRADO - Paris (AFP)
Publié le 23 septembre 2018 - 09:00
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Le logo de la banque danoise Danske Bank à Tallinn, le 5 septembre 2017 en Estonie
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© RAIGO PAJULA / AFP
Le logo de la banque danoise Danske Bank à Tallinn, le 5 septembre 2017 en Estonie
© RAIGO PAJULA / AFP

La révélation récurrente d'affaires ou d'insuffisances liées au blanchiment d'argent dans le secteur bancaire européen révèle les fragilités des mécanismes de lutte actuels, pénalisés par des applications très hétérogènes en Europe.

Au Danemark, traditionnellement cité pour son faible niveau de corruption, un scandale éclabousse la première banque du pays. Entre 2007 et 2015, environ 200 milliards d'euros ont transité par la filiale estonienne de Danske Bank via les comptes de 15.000 clients étrangers.

Une part importante de ces fonds, de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards, a été jugée suspecte, provenant essentiellement de Russie. Emporté par le scandale, le patron du groupe a démissionné mercredi, tandis que la banque a reconnu "savoir que certains clients de la branche estonienne présentaient de forts risques".

Cette affaire, objet d'une enquête du parquet financier de Copenhague et de l'autorité danoise des marchés financiers, promet d'être tentaculaire, l'agence britannique de lutte contre la criminalité ayant annoncé vendredi enquêter sur l'implication d'une société britannique.

Au printemps dernier, la banque maltaise Pilatus Bank, au cœur de malversations révélées par Daphne Caruana Galizia, journaliste assassinée en octobre, a vu ses transactions gelées après l'arrestation de son patron aux Etats-Unis.

Deux mois auparavant, la Banque centrale européenne (BCE) avait déclaré en faillite ABLV, troisième banque de Lettonie, dont la situation s'était brutalement dégradée après des accusations de blanchiment d'argent venant de Washington.

"C'est bon signe que ces affaires sortent, mais cela reste assez inquiétant de voir que ce sont les Etats-Unis qui doivent nous signaler les problèmes, c'est un vrai souci pour l'Europe", relève Laure Brillaud, spécialiste de la lutte contre le blanchiment chez Transparency International UE.

- Problèmes de coordination et coopération -

Au cœur du problème, la transposition par les Etats membres des règles européennes visant à lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

"La mise en application de ce texte est censée harmoniser les pratiques au sein de l'Europe. Mais des différences demeurent dans la transposition en droit local au sein des différents pays", explique à l'AFP Emilie Legroux, responsable des questions de conformité pour le cabinet de consultants Mazars.

"Certains pays transposent la directive européenne de façon très théorique, effectuant une sorte de +copier-coller+ de la directive qui reste très +macro+, alors que d'autres, tels que la France la transposent de façon très opérationnelle", détaille-t-elle.

Si dans la foulée de la crise financière de 2008, l'Union Européenne a resserré la supervision bancaire européenne en la confiant à la BCE, aucune entité ne supervise l'harmonisation des règles en matière de lutte contre le blanchiment dans le secteur financier.

"Le premier problème provient de la mise en œuvre des règles, puis ensuite du suivi de la part de l'Union Européenne qui doit s'assurer qu'elles ont bien été transposées formellement dans la loi, mais aussi que cette loi soit bien appliquée ensuite", estime Laure Brillaud.

Concrètement, les banques sont tenues notamment d'effectuer des contrôles pour identifier leurs clients et de rapporter toute anomalie aux autorités, tant de supervision bancaire que de renseignements financiers, soit respectivement en France l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et Tracfin.

Or, aussi bien dans la détection des anomalies par les banques que dans les sanctions ou contrôles effectués par les superviseurs, "il existe de grandes disparités", rapporte la spécialiste de Transparency International UE.

Si Malte, la Lettonie - dont le gouverneur de la banque centrale a été suspendu de ses fonctions et inculpé de corruption -, l'Estonie ou encore Chypre font partie des lanternes rouges de l'anti-blanchiment, l'Espagne avec Caixabank, ou encore les Pays-Bas avec ING, n'ont pas non plus été épargnés récemment.

La semaine dernière, ING annonçait le limogeage de son directeur financier après la conclusion d'un accord avec les autorités néerlandaises prévoyant le versement de 775 millions d'euros pour solder une affaire d'usage frauduleux de comptes entre 2010 et 2016.

"Il existe donc des problèmes sur plusieurs niveaux de coopération: au niveau national, entre les structures prudentielle et celle d'anti-blanchiment mais aussi un problème de coopération et de coordination entre l'échelon européen et l'échelon national", résume Mme Brillaud.

Face à ces faiblesses, la Commission européenne a annoncé mi-septembre vouloir renforcer les pouvoirs du régulateur bancaire européen, l'Autorité bancaire européenne (ABE), fondée en 2010.

L'entité, dont le siège va déménager de Londres à Paris, pourrait voir ses moyens augmenter pour assurer une surveillance unique plus efficace en matière de lutte contre le blanchiment.

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