Affaire Karachi : prison avec sursis et amendes requises contre Balladur et Léotard

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Par Anne-Sophie LASSERRE, Marie DHUMIERES, Anne-Sophie LASSERRE et Marie DHUMIERES - Paris (AFP)
Publié le 02 février 2021 - 18:57
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Edouard Balladur le 11 février 1995 lors de sa candidature à la présidentielle
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© JOEL ROBINE / AFP/Archives
Edouard Balladur (G) et François Léotard (D) devant la Cour de justice de la République, le 19 janvier 2021 à Paris
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Vingt-cinq ans après, l'accusation a requis mardi un an de prison avec sursis et 50.000 euros d'amende contre l'ancien Premier ministre Edouard Balladur dans le volet financier de l'affaire Karachi, estimant qu'il connaissait "l'origine frauduleuse" du financement de sa campagne présidentielle.

A l'encontre de son ancien ministre de la Défense François Léotard, deux ans d'emprisonnement avec sursis et 100.000 euros d'amende ont été demandés.

Pour le procureur général François Molins, M. Léotard était "beaucoup plus impliqué" dans la gestion d'un système mis en place pour alimenter en partie le compte de campagne de l'ancien locataire de Matignon (1993-95).

Jugés depuis le 19 janvier par la Cour de la justice de la République (CJR), M. Balladur, 91 ans, et M. Léotard, 78 ans, étaient absents mardi.

Malgré la "gravité des faits", l'accusation a demandé à la Cour de prendre en compte le temps écoulé et l'âge des prévenus.

Pour le ministère public, MM. Balladur et Léotard ont imposé à deux entités détenues par l'Etat - qui négociaient la vente de sous-marins et de frégates à l'Arabie saoudite et au Pakistan - un réseau d'intermédiaires "inutiles" aux commissions "pharaoniques".

Une partie de l'argent était ensuite reversée sous la forme de rétrocommissions illégales sur le compte de campagne du candidat Balladur, alors engagé dans une guerre fratricide à droite avec Jacques Chirac.

- "Tee-shirts, casquettes, briquets" -

Au cœur du dossier, le dépôt en espèces et sans justificatif de 10,25 millions de francs (un million et demi d'euros) sur le compte - déficitaire - du candidat, trois jours après sa défaite au premier tour et alors qu'il ne bénéficiait du soutien financier d'aucun parti politique.

L'accusation a balayé les explications "totalement fantaisistes" de M. Balladur et ses équipes sur la provenance des fonds - des dons et ventes "de tee-shirts, casquettes, briquets, stylos". Elle a aussi écarté la thèse des "fonds secrets" de Matignon avancée notamment par l'ex-trésorier de campagne.

"Cette somme est nécessairement d'origine frauduleuse", a soutenu M. Molins.

Si des "zones d'ombre propres à cette délinquance astucieuse" demeurent, l'accusation a insisté sur le "lien" entre la somme déposée sur le compte de campagne de M. Balladur et celle récupérée par les intermédiaires "inutiles" quelques jours plus tôt en Suisse.

Ce procès devant la CJR - seule instance habilitée à juger les membres du gouvernement pour des infractions commises lors de leurs mandats - se tient sept mois après de sévères condamnations dans le volet non gouvernemental de la même affaire à l'encontre de six protagonistes, dont l'homme d'affaires Ziad Takieddine et d'anciens proches des deux ministres.

Tous ont fait appel.

Face à la CJR, MM. Balladur et Léotard - renvoyés pour "complicité d'abus de biens sociaux", ainsi que pour "recel" pour M. Balladur - ont fermement nié toute infraction et invoqué des "accusations mensongères".

- "Goût d'inachevé" -

L'avocate de François Léotard, Me Brigitte Longuet, a vilipendé une accusation fondée sur "des rumeurs" et demandé à la Cour d'examiner cette affaire "comme un dossier du passé" sans le "juger avec nos critères actuels".

De nombreuses pratiques de l'époque, dont les commissions ou pots-de-vins, étaient alors parfaitement légales, a insisté Me Longuet, dénonçant la "violence" du réquisitoire et plaidant la relaxe de son client.

Avant elle, le ministère public avait fustigé la stratégie de "déni et d'évitement" et la mémoire défaillante des prévenus et des rares témoins venus à la barre, qui y ont livré des versions discordantes.

On "a entendu tout et son contraire et s'il y a une vérité qui saute aux yeux (...) c'est qu'il y a forcément des menteurs", a estimé M. Molins.

Après cinq demi-journées d'audience, resteront "un goût d'inachevé" et la "sensation de n'avoir abordé que la petite partie émergée" de cette affaire tentaculaire, a souligné le magistrat.

Les soupçons de financement occulte de la campagne Balladur n'ont émergé qu'en 2010, au fil de l'enquête sur l'attentat de Karachi le 8 mai 2002, qui avait coûté la vie à 15 personnes, dont 11 Français travaillant à la construction de sous-marins dans le port pakistanais.

L'enquête sur cet attentat - toujours en cours - avait au départ privilégié la piste d'Al-Qaïda, puis avait exploré celle de représailles après l'arrêt du versement des commissions une fois Jacques Chirac élu président.

L'audience reprend mercredi avec les plaidoiries de la défense de M. Balladur.

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