Amie d'une victime de l'attentat de Strasbourg, elle avance cahin-caha, avec des mots

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Par Béatrice ROMAN-AMAT - Strasbourg (AFP)
Publié le 20 novembre 2019 - 10:29
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Claire Audhuy lors d'une lecture musicale organisée le 12 novembre 2019 à Strasbourg
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© FREDERICK FLORIN / AFP
Claire Audhuy lors d'une lecture musicale organisée le 12 novembre 2019 à Strasbourg
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Elle n'a pas été blessée dans sa chair par Cherif Chekatt mais un an après, Claire Audhuy, qui a perdu son ami Bartek dans l'attentat de Strasbourg, en porte encore les stigmates et met en mots -poétiques- le choc, le deuil, l'après.

Son livre "L'hiver dure 90 jours" est un récit chronologique en épigrammes de cinq lignes, souvent très courts, aux mots comme essoufflés, couchés sur le papier juste après l'attentat du mardi 11 décembre 2018.

Femme de théâtre et de poésie, Claire Audhuy, 34 ans, y raconte la nuit de l'attentat vécue depuis son appartement transformé en refuge pour naufragés strasbourgeois, la découverte que Bartek figure parmi les victimes, les journées passées aux urgences avant son décès, intervenu le dimanche, l'organisation d'un hommage, mais surtout le manque laissé par la perte d'un ami.

Courant novembre, elle a lu des extraits de son livre dans plusieurs lieux strasbourgeois, accompagnée au saz (sorte de luth anatolien) par son ami Baris Ayhan, un autre proche de Bartek, qui était un trentenaire touche-à-tout, omniprésent dans les milieux artistiques, militants et européens strasbourgeois.

Le 12 novembre, la lecture musicale se tenait aux Savons d'Hélène, un bar devant lequel un jeune musicien avait été grièvement blessé le soir de l'attentat. Une façon pour les deux artistes de tenter de se réapproprier les lieux.

"C'était notre ville, c'était notre ami, la balle m'a semblé passer très, très près", a expliqué Claire Audhuy avant de lire ses textes, devant un public où beaucoup d'yeux se mouillaient au fil de l'écoute.

Avec ce projet, "Baris (Ayhan) m'a dit +Je vais transformer mes larmes en musique+", confie à l'AFP la volubile Claire Audhuy, qui parle avec les mains, faisant s'agiter ses grandes boucles d'oreilles fantaisie.

Ces lectures musicales sont organisées en novembre, non en décembre. Car en décembre, elle partira dans une cabane sans électricité, où les portables ne passent pas, "pour ne pas être là pour tout ça", l'"anniversaire" de l'attentat, les hommages officiels.

- Orphelins de la ville -

Malgré la mise en mots, la plaie est toujours là, à vif. Un an après, Claire Audhuy reste suivie par une psychologue de l'association Viaduq67, mandatée pour l'accompagnement des victimes.

"Dans ce qu'on a perdu, il y a clairement des bouts de Strasbourg. Il y a des lieux qui sont perdus pour moi, la rue des Orfèvres (où Bartek a reçu une balle, NDLR), je ne vais pas y passer guillerette à bicyclette, je fais un détour", dit-elle. "C'est la maison, c'est l'enfance, ce sont les racines, qui sont atteintes".

Pourtant, des lumières sont aussi nées des ténèbres du 11 décembre. Dans la musique et le bruit des proches de Bartek attroupés près de la chambre de réanimation où il gisait en état de mort cérébrale après l'attentat, Claire Audhuy a gagné des amis, des vrais, avec qui elle partage bien plus que le deuil.

"Aux urgences, on essayait de calculer s'il parlait 6 ou 8 langues", se souvient-elle, traçant le portrait d'un amoureux de Strasbourg, aussi cosmopolite que sa ville.

D'origine polonaise, Bartek - de son vrai nom Barto Pedro Orent-Niedzielski - était un être "chaleureux, bienveillant, d'une extrême sensibilité", qui avait écrit sur Facebook après l'attentat du Bataclan qu'il prônait la non-violence, quoi qu'il lui arrive, souligne-t-elle.

Quelques jours après l'attentat, la mère de Bartek a, elle, écrit un message de compassion aux parents de Cherif Chekatt, "qui avaient, eux aussi, perdu un fils".

Claire Audhuy mentionne également un ami psychiatre qui l'a incitée à "compter tous les morts", sans oublier l'assaillant, lorsqu'elle a organisé un hommage citoyen aux victimes.

"C'est dur mais c'est beau, c'est vers ça qu'il faut aller", dit-elle. "Te mettre au niveau de la violence, ça ne va pas te faire avancer".

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