Anaïs M., 18 ans, victime de la violence de la prostitution adolescente

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Par Sarah BRETHES, Alice LEFEBVRE - Dunkerque (AFP)
Publié le 04 juin 2021 - 11:39
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Anaïs M. avait 18 ans, elle vivait avec sa mère et son frère à Dunkerque, adorait les chats et la musique. La nuit du 9 au 10 mai, son corps a été abandonné sur un trottoir de banlieue parisienne par
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© JOSEPH EID / AFP/Archives
Anaïs M. avait 18 ans, elle vivait avec sa mère et son frère à Dunkerque, adorait les chats et la musique. La nuit du 9 au 10 mai, son corps a été abandonné sur un trottoir de banl
© JOSEPH EID / AFP/Archives

Anaïs M. avait 18 ans, elle vivait avec sa mère et son frère à Dunkerque, adorait les chats et la musique. La nuit du 9 au 10 mai, son corps a été abandonné sur un trottoir de banlieue parisienne par un client qui venait de la tuer.

"Anaïs avait le cœur sur la main. Elle était en CAP vente mais voulait s'orienter vers l'aide à la personne", raconte à l'AFP Manon (prénom modifié à sa demande), son amie depuis l'enfance.

Manon a découvert après sa mort qu'Anaïs "tapinait". La jeune fille "avait rencontré un garçon il y a quelques mois sur les réseaux et passait les trois-quarts de son temps à Paris avec lui", explique-t-elle.

"Je connais plusieurs filles qui font ça", "quand on rentre là-dedans ça a l'air dur d'arrêter", constate Manon sans vraiment s'en émouvoir.

Les semaines qui ont précédé sa mort, Anaïs s'était installée dans un hôtel près de l'aéroport de Roissy avec S., 22 ans, connu de la police pour vols, violences et agressions, confie une source proche de l'enquête.

Dans la soirée du dimanche 9 mai, c'est lui qui alerte sa famille : il leur dit avoir déposé Anaïs "à Paris chez une amie" et ne plus avoir de nouvelles depuis. "Il lui avait envoyé plein de messages pour savoir si elle allait bien, elle ne répondait plus", relate Manon.

Cette dernière évoque aussi un message envoyé par Anaïs à sa mère, une photo où on voit ses cheveux, un lit, et ces mots : "Ils sont en train de me dépouiller ces gros porcs".

En fait, ce soir là, S. a déposé sa petite amie chez un client au Plessis-Trévise, une commune du Val-de-Marne.

Ce jeune homme de 18 ans, sans aucun antécédent judiciaire, a été interpellé le 14 mai à son domicile en région parisienne, avant d'être mis en examen et placé en détention provisoire.

- "Pleine de grâce" -

Il est soupçonné d'avoir étranglé Anaïs, puis transporté son corps à moitié nu dans une camionnette avant de le déposer sur le trottoir dans un quartier pavillonnaire de la ville voisine de Pontault-Combault (Seine-et-Marne), où un livreur de journaux l'a découverte au petit matin.

Le corps de la jeune fille présentait des traces de brûlures au niveau du cou et de coups sur le visage et le dos.

"Il a voulu lui reprendre l'argent après la passe, elle a refusé, il l'a étranglée", décrit la source proche de l'enquête.

Le petit-ami d'Anaïs, convoqué par la police, a lui été laissé libre, sans poursuites.

Le 20 mai, à plus de 300 kilomètres de là, une quarantaine de ses proches se sont réunis au cimetière communal de Dunkerque sous un ciel bas, dans un silence crevé par les seuls cris des mouettes.

Des roses blanches à la main, ils ont rendu un dernier hommage à la jeune fille dépeinte, dans un texte écrit par sa mère, comme "pleine de vie, de grâce, de gentillesse et de douceur".

À la Voix du Nord, qui a publié une photo de l'adolescente aux longs cheveux châtains, grand sourire dans un sweat blanc à capuche, sa mère a dit avoir constaté que sa fille "avait l'air plus préoccupé ces derniers temps".

"Quand j'ai appris cela, je me suis dit, ce n'est pas elle", "peut-être qu'elle a été manipulée, qu'elle a fait de mauvaises rencontres", a-t-elle ajouté.

Pour les policiers en charge de l'enquête, la trajectoire d'Anaïs est pourtant "banale".

"Des adolescentes qui se prostituent pour 100 euros la demi-heure, il y en a énormément", témoigne l'un d'entre eux.

Ce phénomène est apparu au début des années 2010 sous la dénomination impropre de "prostitution des cités", souvent orchestré par de jeunes proxénètes reconvertis du trafic de drogue. Il a essaimé, facilité par la multiplication des réseaux sociaux et applications (WhatsApp, Tinder, Facebook, Instagram, Snapchat, Airbnb).

- " Féminicides" -

En 2019, un rapport publié par la Fondation Scelles affirmait que cette "prostitution 2.0" représenterait les "deux tiers de la prostitution" en France.

Les jeunes filles victimes, souvent mineures, sont repérées sur Snapchat ou Instagram, avant d'être prostituées dans des appartements loués sur la plateforme Airbnb et transformés en "bordels éphémères", décrivait cette étude.

L'ampleur du phénomène est telle que le gouvernement a mis en place l'année dernière un groupe de travail sur le sujet, et que de nombreux tribunaux disposent désormais de référents chargés de ces questions.

Au parquet de Créteil, qui a ouvert l'enquête sur le meurtre d'Anaïs, 56 "nouvelles situations" ont été identifiées en 2020 (contre 28 en 2018) et 67 enquêtes sont en cours, explique Vivien Dussez, référent "proxénétisme sur mineurs", qui souligne que le phénomène touche "tous les milieux".

En Seine-Saint-Denis, où on observe une "réelle augmentation au cours des dernières années ", le parquet enregistre une dizaine de signalements par mois. Les jeunes filles, à 25% originaires de province, ont parfois à peine 12 ans, souligne Simon Benard-Courbon, substitut de la procureure, coréférent "prostitution des mineurs".

A ses yeux, parmi les facteurs de développement de ce "cyberproxénétisme" figurent aussi les représentations "dévalorisées et hypersexualisées des femmes" véhiculées par la téléréalité. "On a des jeunes filles qui nous disent en audition +je veux devenir une star+", témoigne le magistrat.

Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid, déplore de son côté qu'on ne dispose "d'aucune étude et chiffres sérieux" pour évaluer ce "proxénétisme de proximité", mais aussi celui des "féminicides en contexte de prostitution", dont a été victime Anaïs, qui rappelle à quel point "la prostitution est un monde de violences".

"Les réseaux sociaux ont levé le frein du passage à l'acte", estime la militante qui s'alarme de "la banalisation de la marchandisation des corps".

"Il y a 30 ans, quand on allait dans les établissements scolaires et qu'on demandait aux élèves s'ils pourraient envisager la prostitution en cas de chômage, la réponse était +jamais de la vie+. Aujourd'hui la moitié répondent +pourquoi pas+."

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