Au procès des attentats de janvier 2015, les "regrets" du renseignement

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Par Valentin BONTEMPS et Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 25 septembre 2020 - 20:09
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Des "regrets", mais pas de "trous dans la raquette": un membre du renseignement français s'est défendu vendredi aux assises spéciales de Paris de toute "faille" dans la surveillance ou l'absence de suivi des auteurs des attentats de janvier 2015.

L'audition de cet enquêteur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), interrompue jeudi après une suspicion de contamination au Covid de l'un des accusés, a de nouveau été perturbée en fin de matinée avec la nouvelle d'une attaque devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, dans le XIe arrondissement.

Les bancs de la salle d'audience commencent à bruisser, les téléphones portables à vibrer, les visages des avocats et des parties civiles affichent la consternation. Après une courte suspension, la cour d'assises spéciale reprend, sans aucune mention de l'attaque, l'audition de l'enquêteur.

Sur le gril pendant plus de trois heures, l'ancien chef de la division judiciaire en charge de l'antiterrorisme à la DGSI, témoignant anonymement et présenté sous le matricule "562 SI", se défend bec et ongles de toute "défaillance".

L'enquête a démontré que les auteurs des attentats, les frères Saïd et Chérif Kouachi et Amédy Coulibaly, tués dans des assauts des forces de l'ordre le 9 janvier 2015, se connaissaient et gravitaient dans une même sphère jihadiste. Ils partageaient le même mentor, Djamel Beghal.

Les frères Kouachi étaient "observés" depuis 2004-2005, dans le cadre de l'affaire d'une filière d'acheminement de jihadistes en Irak, dite "des Buttes-Chaumont". Condamné dans ce dossier, Chérif Kouachi a rencontré en prison Amédy Coulibaly, écroué pour vol.

"Connu comme un petit délinquant", "potentiellement radicalisé", ce dernier ne fera pas l'objet d'un "suivi particulier" lors de sa dernière sortie de prison, en mars 2014, à la différence des Kouachi, souligne le témoin.

La surveillance des Kouachi, qui faisaient l'objet d'une fiche "S" pour "sûreté de l'Etat", s'est pour sa part intensifiée en 2011: l'un des frères, probablement Chérif Kouachi selon l'enquêteur, s'est alors rendu au Yemen, où il aurait rencontré Peter Cherif, vétéran du jihad, dont l'audition prévue jeudi a été reportée sine die.

- "Un échec pour tous" -

Pourquoi cette surveillance, par intermittences, s'est-elle interrompue en juin 2014? Sur la défensive, l'enquêteur de la DGSI "le regrette". Mais à l'époque "on ne détecte pas une volonté de passer à l'acte", malgré "un travail très approfondi", explique-t-il.

En France, insiste le témoin, dont on ne distingue sur l'écran qu'une silhouette brumeuse, "les écoutes téléphoniques, c'est l'exception, et le respect des libertés la règle". "Il faut qu'on justifie ces surveillances. Il n'y avait pas d'éléments pour (les) motiver".

En 2014, les services de renseignement surveillaient "plusieurs centaines de personnes à potentialité violente". "On ne peut malheureusement pas suivre physiquement beaucoup de gens en même temps", justifie encore l'enquêteur de la DGSI.

Un avocat des parties civiles s'étonne: depuis 2012 et les attentats de Montauban et Toulouse, le renseignement n'a-t-il pas tiré les leçons de l'affaire Mohamed Merah, suivi depuis 2006 et dont la dangerosité n'avait pas été détectée?

Le tueur au scooter "allait en boîte de nuit, buvait de l'alcool pour se fondre (...) Comprendre quelle est la volonté réelle d'un individu qui pratique la +taqiya+ (dissimulation), c'est très difficile", rappelle l'ex-chef de service de la DGSI.

Les surveillances, "il faut les mettre en place et tomber au bon moment", poursuit le témoin.

Cinq ans et demi après les attentats de janvier 2015, "il y a encore beaucoup de zones d'ombres sur les activités, sur la façon dont les frères Kouachi ont pu opérer", déclare l'enquêteur.

"C'est un énorme regret (...) d'avoir fait tout ce travail et de n'avoir pas réussi" à déjouer "les projets" des auteurs des attentats, affirme-t-il.

Semblant retenir ses larmes, il assure que "chaque attentat a été ressenti comme un échec pour tous" les membres des services de renseignement.

A entendre ces "sanglots", Me Isabelle Coutant Peyre, l'avocate du principal accusé présent, Ali Riza Polat, lance sèchement: "Je pense que tout le monde a compris que vos services ont failli dans leurs missions".

Quatorze personnes sont jugées jusqu'au 10 novembre pour leur soutien logistique présumé aux auteurs des attentats.

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