Au procès des attentats de janvier 2015, l'interrogatoire impossible d'Ali Riza Polat

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Par Valentin BONTEMPS, Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 26 octobre 2020 - 14:56
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Un croquis d'audience d'Ali Riza Polat, au procès des attentats de janvier 2015, à la cour d'assises spéciale de Paris, le 26 octobre 2020
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© Benoit PEYRUCQ / AFP
Un croquis d'audience d'Ali Riza Polat, au procès des attentats de janvier 2015, à la cour d'assises spéciale de Paris, le 26 octobre 2020
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"Baissez un peu le ton", "vous soufflez deux minutes, là ?", "vous m'écoutez !" Face à l'explosif Ali Riza Polat, principal accusé au procès des attentats de janvier 2015, la cour d'assises spéciale de Paris a peiné lundi à sortir d'un interrogatoire cacophonique.

Coincé derrière la paroi vitrée, Ali Riza Polat s'agite, frappe du poing, hausse le ton à tout bout de champ. "Vous voulez absolument un coupable, mais ça va pas être moi !", tempête ce Franco-turc de 35 ans, carrure corpulente, crâne rasé et chemise blanche.

"Je ne comprends pas en fait, il faut un bouc émissaire", enchaîne le trentenaire, seul des accusés présents devant la cour à répondre de "complicité" de crimes terroristes, passible de la réclusion criminelle à perpétuité. "Moi je veux pas aller en prison pour un truc que j'ai pas fait !"

Présenté comme le "bras droit" d'Amédy Coulibaly, originaire comme lui de la cité de la Grande Borne à Grigny (Essonne), Ali Riza Polat est soupçonné d'avoir aidé le tueur de l'Hyper Cacher et les frères Saïd et Chérif Kouachi à préparer les attentats.

C'est lui, selon les enquêteurs, qui a organisé la recherche d'armes pour Amédy Coulibaly, notamment auprès du trafiquant Metin Karasular, chez qui une liste d'armes et de munitions, rédigée de sa main, a été retrouvée.

C'est lui aussi qui a géré la vente de la Mini Cooper achetée au nom d'Hayat Boumeddiene, compagne du tueur de l'Hyper Cacher et grande absente du procès. Une vente qui aurait pu servir à financer les attentats.

- "Vous êtes malade !" -

Savait-il quel était le projet final d'Amédy Coulibaly ? Pour l'accusation, cela ne fait guère de doute, au vu de sa proximité amicale et religieuse avec le jihadiste. Mais pour Ali Riza Polat, rien ne permettait de connaître les objectifs du tueur de l'Hyper Cacher.

"Ce qu'il a fait, là, mais vous êtes malade ! Mais moi je suis pas là-dedans moi, faut pas me mêler à ça !", s'écrie le trentenaire, qui dit avoir rendu des services à Amédy Coulibaly à cause d'une dette de 15.000 euros. "Moi j'ai pas de sang sur les mains, moi j'ai tiré sur personne !"

Plusieurs élément sont cependant jugés troublants par les enquêteurs. Dans les jours qui ont suivi les attentats, Ali Riza Polat s'est en effet débarrassé de ses téléphones et a fait détruire les puces de ses contacts, pour effacer toute trace le reliant au jihadiste.

Dans la foulée, il a tenté de prendre la fuite. D'abord au Liban, le 12 janvier, d'où il a tenté sans succès de gagner la Syrie, avant d'être refoulé à un poste-frontière. Puis en Thaïlande, d'où il est revenu au bout de trois jours.

Pourquoi cette agitation ? "A ce moment-là, mon cerveau éclate, je suis affolé !", assure l'accusé, qui nie avoir voulu rejoindre les rangs jihadistes. "Moi, chez l'Etat islamique, je fais même pas trente minutes, ils vont me tuer, je ne veux pas vivre sous la Charia, moi !"

- "Ne pas mourir pauvre" -

Pourquoi s'est-il rendu en Belgique ? Pourquoi a-t-il récupéré des armes ? Quelle était sa pratique religieuse ? Face aux questions pressantes de la cour, Ali Riza Polat s'empêtre et s'impatiente, parle d'un "enfant de pute" qui l'a "balancé", d'un "proxénète à deux francs qui raconte de la merde".

Le président Régis de Jorna tente de le ramener aux faits. Mais Ali Riza Polat continue: "moi, j'ai jamais travaillé, j'ai fait des magouilles toute ma vie. Je veux de l'argent, c'est mon but dans la vie, je veux pas mourir pauvre !"

"On fait une petite pause, on redescend", tente le magistrat pour calmer l'accusé. Sans plus de succès. "Moi, je me suis jamais levé un matin pour tuer qui que ce soit", fulmine Ali Riza Polat. "Je regrette un truc de fou d'avoir arrêté de vendre de la drogue, j'étais bien quand je vendais de la drogue !"

A la barre, sa mère puis son frère viennent alors témoigner. L'un comme l'autre s'efforcent de brosser une image plus lisse de l'accusé. "Je le connais mon frère, c'était un trafiquant de stups, il faisait des magouilles, il était pas radicalisé", assure son cadet, doudoune noire et cheveux sombres. "S'il avait été au courant, vous pensez qu'il serait resté ici ?"

Ali Riza Polat, enfin plus calme dans le box, acquiesce lentement.

Son interrogatoire doit se poursuivre mardi.

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