Avec quels bras, pour quel marché : le dilemme de la récolte de l'asperge alsacienne

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Par Sébastien SAUGUES, avec Béatrice ROMAN-AMAT à Strasbourg - Bilwisheim (France) (AFP)
Publié le 04 avril 2020 - 12:10
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Une jeune femme cueille une asperge, le 2 avril 2020 dans une exploitation agricole à Brumath (Haut-Rhin), près de Strasbourg
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© PATRICK HERTZOG / AFP
Une jeune femme cueille une asperge, le 2 avril 2020 dans une exploitation agricole à Brumath (Haut-Rhin), près de Strasbourg
© PATRICK HERTZOG / AFP

En Alsace, de nombreuses personnes désœuvrées volent au secours des producteurs d'asperges en manque de bras, mais beaucoup de parcelles ne devraient pas être récoltées, faute d'acheteurs pour ce légume habituellement prisé.

Pliée en deux, Aurore Schneider fouille la terre de sa main gantée pour aller déterrer le précieux légume, qu'elle dépose dans un cageot.

Serveuse en intérim, la jeune femme a troqué le plateau contre la gouge à asperges, un outil au long manche affuté qu'elle manie pour la première fois de sa vie, au grand air et sans masque.

"Ça me permet de faire quelque chose pendant le confinement, ça m'évite de rester à la maison et en plus ça aide et ça me permet de gagner de l'argent", explique-t-elle.

"Je tournais en rond et les journées étaient assez longues donc au bout de 15 jours, j'avais envie de sortir et en plus c'était l'occasion d'être utile", abonde, quelques rangées plus loin, Robin Ruhlmann, conducteur de travaux dans une entreprise fermée depuis deux semaines, au chômage partiel.

Dans l'exploitation de Jean-Charles Jost à Bilwisheim (Bas-Rhin), ces néo-saisonniers ont remplacé, à la suite d'un appel à l'aide lancé par les syndicats agricoles, la main d'oeuvre habituelle. Celle-ci est essentiellement étrangère et bloquée cette année aux frontières. Mais les petits nouveaux ne devraient pas suffire à sauver la saison.

- "Pas la même productivité" -

Franck Sander, président FDSEA du Bas-Rhin, le dit sans ambages: si les appels de personnes offrant leurs services ont afflué ces dernières semaines vers les exploitations, "on ne va pas remplacer les saisonniers habituels, Roumains, Polonais: ce n'est pas la même productivité, il faut davantage les encadrer".

Il insiste sur les indispensables précautions face au risque de propagation du Covid-19, surtout lorsque les saisonniers, assez espacés dans les champs, travaillent ensemble sur un outil de calibrage.

Pourtant, au-delà du problème de la main d'oeuvre, se pose surtout aux producteurs celui des débouchés.

Habituellement, l'Alsace entre dans une sorte de transe au printemps, les asperges occupent les conversations, envahissent les marchés et les gourmets guettent le lancement des "menus asperges" dans les restaurants, proposant veloutés d'asperges et le légume assaisonné avec diverses sauces.

- Marchés et restaurants fermés -

"D'habitude, je me fais dévaliser. Actuellement, on récolte 250 kg par jour et en poussant chez tous nos clients, on les vend, mais on est seuls sur le marché", racontait fin mars M. Jost, dont les légumes, enracinés dans des terres sableuses, sont plus précoces que les autres asperges alsaciennes.

"Une journée normale, je fais trois tonnes par jour, et là je peine pour vendre 250 kg... L'asperge n'est pas un produit de première nécessité", analysait-il, déplorant aussi la fermeture des marchés après celle des restaurants.

Lui qui préside l'association des producteurs d'asperges d'Alsace ne compte récolter que 30 à 40% maximum de ses légumes, faute d'un "potentiel de vente" suffisant.

René Jenner, petit producteur à Lampertheim, a décidé de récolter ses asperges avec la main d'oeuvre locale qui s'est mobilisée pour l'aider, et veut croire que "les gens de la ville passeront", même si "le point noir, ce sont les restaurants: on ne sait pas quand ils vont rouvrir".

Ses collègues de la ferme Frick, à Gundolsheim (Haut-Rhin), avaient pris une décision radicale: "Rien ne sera ramassé pendant la période du confinement", expliquait il y a quelques jours Muriel Frick.

"Je ne veux pas être responsable d'avoir un employé à l'hôpital ou qui décède", justifiait-elle, décrivant des saisonniers fidèles plutôt âgés, instituteurs ou gendarmes à la retraite.

"Nous allons nous en remettre parce que nous avons un certain âge, les investissements sont derrière nous, mais des jeunes ne peuvent pas faire pareil", constatait l'agricultrice, disant devoir refuser "toutes les cinq minutes" des propositions de bras d'une coiffeuse, une éducatrice, de parents ou de restaurateurs cherchant du travail pour leurs enfants ou leurs employés.

Mais depuis, les Frick ont changé d'avis, également confrontés à de nombreux appels de clients fidèles désireux de venir acheter des asperges à la ferme.

"On pense commencer la récolte vers le 15 avril avec quatre personnes, contre 20 habituellement", sur un quart de la surface totale, explique Mme Frick.

Un nombre de saisonniers réduit "au strict minimum" qui devrait notamment permettre de limiter les contacts dans les véhicules qui les emmèneront aux champs.

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