Avoir 17 ans dans l'OAS, le combat perdu pour l'Algérie française

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Par Valérie LEROUX - Royan (France) (AFP)
Publié le 09 février 2021 - 11:40
Mis à jour le 13 février 2021 - 22:18
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Le vétéran Régis Guillem, ancien membre de l'OAS, montre des photographies de cette époque, le 5 février 2021 chez lui, à Royan
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© MEHDI FEDOUACH / AFP
Le vétéran Régis Guillem, ancien membre de l'OAS, montre des photographies de cette époque, le 5 février 2021 chez lui, à Royan
© MEHDI FEDOUACH / AFP

"L'attentat qui m'a le plus marqué, ça a été au Cirque Monte-Carlo en septembre 1960. Là vous réagissez de manière brutale et bestiale". Peu de temps après, Régis Guillem rejoignait l'Organisation armée secrète (OAS) qui allait à son tour ensanglanter l'Algérie.

Soixante ans après la création de l'OAS, le 11 février 1961, ces trois lettres restent associées aux pages les plus noires de la Guerre d'Algérie, entre insurrection pro-Algérie française et coups de force d'ultras de l'extrême droite qui débordèrent en métropole.

Pour Régis Guillem, jeune aide-comptable de Mostaganem (Ouest de l'Algérie), l'OAS devient alors l'ultime rempart contre le Front de libération nationale (FLN) qui mène lui-même une lutte sans merci pour l'indépendance de l'Algérie depuis 1954.

"A l'âge de 12 ans, j'avais déjà vu des têtes décapitées le long d'une voie ferrée. C'était des garde-barrière, le mari et la femme", raconte-t-il.

Mais le "déclic" qui le conduit à prendre les armes, ce sera l'attentat du Cirque Monte-Carlo à Mostaganem, qui fait cinq morts et une cinquantaine de blessés.

La voix de Régis Guillem, aujourd'hui âgé de 76 ans et directeur commercial à la retraite à Royan (Ouest de la France), se brise encore au souvenir de cette soirée-là.

"Quand mon ami a pris sa fiancée, qui était là, elle n'avait plus de jambes. La bombe était tombée sur elle", dit-il.

"Je me suis dit +maintenant ce sera œil pour œil, dent pour dent+", ajoute le futur combattant de l'OAS, d'abord passé par Jeune Nation, un mouvement nationaliste révolutionnaire né en métropole qui s'implanta en Algérie à la fin de l'année 1956.

- "Un travail à faire" -

"A partir de ce moment-là, avec des amis, on a commencé à faire ce qu'on appelait du contre-terrorisme. Ensuite, l'OAS est arrivée, j'ai été recruté parce que j'avais déjà un petit commando", relate Régis Guillem.

"Récupération" de véhicules, d'armes, hold-up pour collecter des fonds: le jeune combattant de l'Algérie française participe d'abord à la logistique inhérente à toute organisation clandestine.

Passé de Mostaganem à la grande métropole voisine d'Oran, où la guérilla urbaine fait rage, il se retrouve aux prises avec les gardes mobiles, parfois dans de véritables combats de rue.

Mais il va aussi être associé à des opérations beaucoup plus musclées au coeur même de l'ADN de l'organisation: le "ciblage" et l'élimination des "adversaires" de l'Algérie française.

Avocats de militants FLN, commerçants suspectés d'alimenter l'organisation, fellaghas, communistes, policiers et militaires traquant l'OAS ... au moins 2.200 personnes seront tuées en Algérie ou en métropole, victimes de plasticages, d'exécutions sommaires ou d'attentats collectifs.

S'il dit ne "rien regretter", Régis Guillem reste peu disert sur les homicides volontaires qui lui seront reprochés quelques années plus tard par la justice française. Des accusations auxquelles il échappera en s'engageant dans la Légion étrangère.

"J'avais un travail à faire, je le faisais", esquive-t-il. "Notre mission au départ était d'interdire l'accès de Mostaganem à toute femme voilée. Les gens du FLN utilisaient ce stratagème pour entrer et jeter des grenades", concède-t-il tout au plus, laissant entendre que certains contrôles ont pu alors être fatals.

Accusés d'assassinats et de terrorisme par leurs détracteurs, Régis Guillem et ses compagnons préfèrent se définir comme des "résistants" au service de l'Algérie française.

- "Cul-de-sac de l'Histoire" -

"L'OAS, ça a été l'ultime recours pour sauvegarder le drapeau tricolore en Algérie. On a perdu. L'Histoire donne toujours raison aux vainqueurs", lance-t-il.

Un constat qui fait bondir Jean-Philippe Ould Aoudia, 79 ans, fils d'un des six dirigeants de Centres sociaux éducatifs tués par l'OAS le 15 mars 1962 à Alger, juste avant les accords d'Evian qui allaient acter l'indépendance de l'Algérie.

"Ils étaient résistants contre quoi? Contre la France? C'étaient des nationalistes contre la Nation! ", réplique le fils Ould Aoudia, aujourd'hui médecin à la retraite à Clamart, près de Paris.

"Ce n'est pas en assassinant de sang-froid et de dos, par traîtrise, des individus dans la rue, qui n'ont rien à voir, qu'on va ennoblir la cause qu'on prétend défendre", juge-t-il.

Chez lui aussi, un attentat allait bousculer toute une vie. Un commando OAS, composé en partie de militaires, pénétra dans le bâtiment où les six dirigeants des Centres sociaux, dont l'écrivain Mouloud Feraoun, tenaient une réunion de travail.

Les six responsables, d'anciens instituteurs soupçonnés de sympathie pour la cause algérienne, furent conduits à l'extérieur, dos au mur, et abattus de sang-froid au fusil-mitrailleur.

"Les tueurs ont tiré d'abord dans les jambes pour que les corps s'écroulent et que le supplice dure quelques secondes de plus", raconte Jean-Philippe Ould Aoudia.

"Ils ont tiré 103 balles (..) J'ai eu du mal à reconnaître le visage de mon père qui avait été défiguré par deux coups de grâce de 11,43", se souvient Jean-Philippe Ould Aoudia.

Pour lui, le combat de l'OAS était sans issue. "Je comprends qu'ils continuent à ne pas accepter d'être un cul-de-sac de l'Histoire. Si leur but, c'était de rester en Algérie (...) ils s'y sont pris de la pire des manières", assène-t-il.

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