Dans la France périurbaine, de nouveaux défis pour la "maréchaussée"

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Par Philippe BERNES-LASSERRE - Carbon-Blanc (France) (AFP)
Publié le 05 mars 2021 - 20:30
Mis à jour le 06 mars 2021 - 09:38
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Des gendarmes dans leur véhicule à Carbon-Blanc, près de Bordeaux, le 2 mars 2021
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© Philippe LOPEZ / AFP/Archives
Des gendarmes dans leur véhicule à Carbon-Blanc, près de Bordeaux, le 2 mars 2021
© Philippe LOPEZ / AFP/Archives

Refus d'obtempérer, outrages en hausse, délinquance nouvelle, judiciarisation... En grande banlieue de Bordeaux, une gendarmerie périurbaine cherche les réponses à un territoire, des populations qui changent: plus vraiment "maréchaussée rurale", pas encore police urbaine. Mais avec toujours pour boussole la proximité.

"Il y a des gens qu'on réussit à +faire redescendre+, à +récupérer+, en essayant de parler calmement. Mais il y en a, une fois qu'ils sont partis, ils sont partis... Ingérables". Au quotidien de la brigade de Carbon-Blanc (Gironde), une élève gendarme de 24 ans et un militaire de 18 ans d'expérience méditent sur une "défiance" nouvelle.

Comme il y a deux mois, quand ils arrêtent une conductrice téléphone à la main. Qui se défend, minimise, puis défie: "Je m'en fous, je roulerai sans permis !" Puis "part en cacahouète", tutoie les gendarmes qu'elle traite de "schmitt", "imbécile", "pourri", au final "enc...", et résiste à l'interpellation. Elle finira en garde à vue, pour outrage et rébellion.

La gendarmerie garde de "bonnes relations" avec une population "plutôt favorable", pose le lieutenant Romain Lavigne, commandant la brigade. "Mais on est confronté au quotidien à une évolution des comportements. Il y a plus d’énervement, de montées en tension, des situations peuvent basculer plus rapidement qu'avant". Effet confinement ? "On sent une population plus tendue, c'est indéniable. Mais la tendance était déjà là".

Beaucoup de choses changent à Carbon-Blanc. La démographie de la "circo"(nscription) de la brigade, passée en 20 ans de 20.000 à 26.000 habitants. Deux communes quasi-urbaines de 2e couronne, quatre autres les pieds dans les vignes, les bois. Des constructions partout, des pavillons cibles de choix de "cambri"(olages). Et des ressentis, des "souffrances", qui ont fait de la zone en 2018-19 un bastion "gilets jaunes".

Dans ces anciens villages de pierre blonde, une délinquance nouvelle pointe. Celle venue de Bordeaux qui emprunte le tramway, à 1km de la brigade. Celle de réseaux cambrioleurs d'Europe de l'Est qui "ratissent une zone comme un nuage de criquets" puis disparaissent, aidés par deux axes rapides, A10 nord-sud et N89 ouest-est.

Des "stups" aussi, bien sûr: "pas de points de deal installés, mais on sait que ça circule". Et des armes à feu à présent. Deux fusillades en plein jour, en 2019 puis 2020, sans victime, mais signe de rivalités qui débordent, imitent les cités urbaines proches.

- Plaintes "pour tout et rien" -

La brigade aussi évolue: 13 militaires dans les années 90, 26 aujourd'hui. Elle vient de réorganiser son accueil, privilégiant les pré-plaintes en ligne et rendez-vous pour dossiers non-urgents, pour éviter au public la frustration de l'attente, permettre une prise en charge plus personnalisée.

Ah, les plaintes... Elles aussi, symptôme de comportements changeants. "Les gens déposent beaucoup plus plainte qu'avant, pour tout et pour rien, le moindre conflit de voisinage", souligne le Lt Lavigne. Avec une exigence de réponse immédiate. Même si le gendarme explique -patiemment-, que c'est le parquet qui choisira de donner suite. Ou pas.

Dans la brigade au style -et mobilier- fatigués, l'après-midi s'anime, les appels se succèdent. Pêle-mêle: un vol de chantier; deux vrais-faux agents EDF suspects signalés; un homme exige que les gendarmes viennent l'aider à récupérer son fils chez son ex-conjointe, sans quoi il "fera sa loi lui-même"; une patrouille part sur un "conflit de voisinage" (chien aboyant et/ou menaçant); un contrôle judiciaire vient pointer; une autre patrouille va sur une séparation à risque de violence lorsqu'une femme vient récupérer ses effets chez son ex.

Pas étonnant que les gendarmes aient le tenace sentiment d'assurer une réponse "sociale". "Un peu le médecin généraliste de la société, qui reçoit bobo comme maladie grave", résume le Lieutenant-colonel Xavier Giloteaux, qui chapeaute cinq brigades. "Il y a ce sentiment qu'ils savent qu'on va répondre", qu'"on est un des derniers services publics ouverts 24h/24, appel non surtaxé", rigole un sous-officier entre deux appels.

Le gendarme a "toujours été au coeur de la société, en tout cas de la société rurale à l'époque". L'urbanisation croissante risque de "créer une distance, un anonymat, pervers", analyse le Lt Col Giloteaux.

"Mais un de nos marqueurs forts reste l'empreinte au sol, notre connaissance du territoire. Il y a quelques temps où cela s'était un peu perdu, mais ça redevient une réelle priorité. Renouer, maintenir les contacts étroits", souligne le Lt Lavigne. Qui aime à penser que "cet ancrage historique, cette hyper-proximité", permettra au gendarme de "continuer à agir".

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