Dans "l'épicentre du crack" à Paris, la crainte d'une escalade des violences entre riverains et toxicomanes

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Par Thomas GROPALLO - Paris (AFP)
Publié le 12 mai 2021 - 15:27
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Des fumeurs de crack au pied des habitations dans le quartier Stalingrad à Paris, le 2 décembre 2020
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© JOEL SAGET / AFP/Archives
Des fumeurs de crack au pied des habitations dans le quartier Stalingrad à Paris, le 2 décembre 2020
© JOEL SAGET / AFP/Archives

Valentin désigne des éclats de peinture blanche sur le trottoir, stigmates d'une nouvelle nuit agitée dans le quartier de Stalingrad, haut-lieu de la consommation du crack à Paris. "Ce sont des sacs remplis de peinture que les riverains jettent depuis les balcons" pour faire fuir les toxicomanes, explique-t-il.

Depuis que des tirs de mortiers d'artifice ont visé les fumeurs de crack début mai, un cap a été franchi pour les habitants, qui redoutent une escalade des violences.

"La question n'était pas de savoir si une confrontation aurait lieu mais quand", regrette sous couvert d'anonymat Maëlle*, cheffe de projet dans le secteur du luxe et résidente du quartier depuis quinze ans.

Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent que les tirs sont partis du rez-de-chaussée d'un immeuble de l'avenue de Flandres. Selon des témoignages de riverains, ils visaient un groupe de fumeurs de crack regroupés dans la rue. Le parquet de Paris a ouvert une enquête.

Membre du collectif Action Stalingrad, François* fait partie de la "frange dure" des habitants déterminés à mettre un terme aux nuisances. "Cris", "insultes", "bagarres", "dégradations", le désordre, disent-ils, s'est exacerbé lors du premier confinement au printemps 2020.

Résidant au coeur de ce que les habitants appellent "l’épicentre du crack", ce trentenaire en instance de déménagement confie son épuisement: "il est temps de partir parce que je suis devenu un salaud".

- "Colère et exaspération" -

Excédé par les réveils intempestifs, "parfois jusqu'à trois fois la même nuit", et après avoir d'abord lancé des pots en verre ou des oeufs pour disperser les toxicomanes qui s'égosillent, le père de famille a "acheté un paintball juste pour leur tirer dessus" des billes de peinture.

Lors du premier confinement, il tirait "jusqu'à trois fois par semaine", explique-t-il avec aplomb, persuadé que les victimes "n'iront pas porter plainte".

Parmi les toxicomanes visés, Taty, usager de crack depuis trois ans, rencontré au pied du cinéma du Quai de la Seine où les consommateurs ont leurs habitudes.

Le jeune homme, originaire de République démocratique du Congo (RDC), a lui-même reçu une bille de paintball il y a quelques semaines mais dit comprendre la violence de certains. "C'est nous qui sommes violents", rectifie-t-il. "Je fais partie des gens qui foutent le bordel, il y a des personnes âgées dans le quartier, je comprends qu'elles aient besoin de repos".

Interrogé sur les tirs de mortiers d'artifice, le maire du XIXe arrondissement, François Dagneau (PS), y voit l'expression d'un "sentiment de colère, d'exaspération et de révolte" des riverains. Mais il n'évoque que des "micro-incidents", comme des jets de bouteilles en verre visant délibérément les toxicomanes.

Depuis le démantèlement de la "colline du crack" en 2019, sur un terrain vague situé plus au nord, et l'afflux massif de drogués qui a suivi, le quartier populaire subit tous les jours les troubles de centaines d'usagers errants.

- Radicalisation -

A en croire Valentin*, un artiste de 34 ans qui prépare un documentaire sur son quartier, les violences de certains riverains envers les "crackeux" sont devenues monnaie courante.

Au pied du cinéma du Quai de Seine, il retrouve l'Italien Simone, un autre habitant du quartier.

Depuis son appartement au premier étage, ce dernier, auto-entrepreneur dans l'oenologie et la restauration, est aux premières loges du tapage. Un jour, confronté à la violente agression d’une usagère de crack par d'autres toxicomanes, il dit avoir interpellé les policiers: "ils m'ont répondu que les toxicos étaient une +espèce protégée+, qu'ils ne pouvaient pas intervenir".

Après avoir été agressé, l'Italien explique avoir commencé la boxe et sort toujours avec son couteau de poche pour se protéger.

Avec le sentiment d'abandon, "tu te radicalises très vite", rebondit Valentin qui se souvient avoir signalé un cambriolage par téléphone: "on m'a répondu +c'est à Stalingrad, on ne vient pas+".

S'il croit au "dialogue", le jeune homme dissimule toujours une matraque télescopique dans la poche arrière de son jean.

Depuis le début de l'année, "112 unités de forces mobiles ont été déployées sur le secteur, soit trois fois plus en quatre mois que sur l'ensemble de l'année 2020". La préfecture de police l'a assuré à l'AFP, le quartier est une "priorité depuis l'été 2019".

tg-sm/pga/nm

*les prénoms ont été changés

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