Dans les rues dépeuplées, les sans-abri plus vulnérables que jamais

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Par Romain FONSEGRIVES - Paris (AFP)
Publié le 19 mars 2020 - 11:29
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Une personne sans abri devant une boutique fermée pour cause de confinement, le 18 mars 2020 à Paris
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© JOEL SAGET / AFP
Une personne sans abri devant une boutique fermée pour cause de confinement, le 18 mars 2020 à Paris
© JOEL SAGET / AFP

Demander l'aumône, trouver de quoi manger malgré des associations au ralenti ou bien quelqu'un à qui parler: dans les rues de France vidées par le coronavirus, des milliers de sans-abri se retrouvent enfermés dehors, confrontés à un quotidien "encore plus dur".

A Paris, le confinement a quasiment dépeuplé l'immense place de la République. Hormis quelques passants qui traversent sans s'attarder, seuls restent des sans-abri, immobiles sur leur banc.

Comme eux, Joël attend. Avec son chapeau pointu et son nez rouge, le quinquagénaire déguisé en clown "lutte contre la sinistrose". "Faire rire les gens et les enfants", c'est son "truc": un moyen de supporter la rue et d'attirer un peu de sympathie.

Mais depuis qu'il ne croise plus grand-monde, l'ancien boulanger de 55 ans, dont 25 sans toit, récolte "à peine quelques euros". Et ce n'est pas ce qui le chagrine le plus: "Si j'ai pas de sourires, quand je rentre sous mon carton, je pleure."

Son visage s'éclaire lorsqu'il croise Mohamed. Lui n'a fait "que 10 centimes depuis ce matin", peste-t-il.

Les deux hommes se serrent la main. Les gestes barrières et la distance de sécurité face au coronavirus? Ils sont vaguement au courant. Mais ignorent tout des rares "centres de desserrement" qui commencent à ouvrir pour accueillir les SDF contaminés mais dont l'état de santé ne requiert pas une hospitalisation.

"A la rue, on finit par être immunisé contre les microbes", veut croire Mohamed.

Près des Champs-Élysées, Romuald, 42 ans, est assis sur son sac de voyage. "Je n'ai pas vu d'inquiétude à ce sujet chez les autres" sans-abri, raconte ce Nantais, sans-domicile depuis 10 ans. "On doit d'abord voir comment se débrouiller s'il n'y a personne dans les rues pour nous donner un peu d'argent. C'est encore plus le système D que d'habitude."

- "Tout est fermé" -

Face aux salariés forcés de garder leurs enfants et aux bénévoles - souvent retraités et vulnérables au virus - qui se confinent, les associations tentent de faire face, mais ont renoncé à certaines activités. Maraudes et distributions alimentaires sont moins fréquentes, et nombre d'accueils de jour n'ouvrent plus.

"Tout est fermé, on peut même plus se laver", lâche Éric, croisé dans l'Est parisien. Il a trouvé porte close dans trois bains-douches municipaux et nombre de locaux associatifs.

"Avec mon RSA, j'arrive à me démerder, mais je me demande comment font les autres pour manger", s'inquiète le quinquagénaire.

Contrôlé par la police deux fois par jour, il n'a pas reçu d'amende: pour lui qui vit dehors, une attestation de déplacement confine à l'absurde.

L'Insee recensait 150.000 personnes sans-domicile en France dans sa dernière enquête datant de 2012. Selon les associations, ce chiffre est largement sous-évalué et avoisinerait en réalité les 250.000.

Face au coronavirus, le gouvernement a prolongé de deux mois la trêve hivernale jusqu'à fin mai, de quoi suspendre les expulsions et éviter des remises à la rue pour les 14.000 personnes logés en centres d'hébergement d'urgence seulement pendant l'hiver.

Il ouvre également progressivement les fameux "centres de desserrement" et promet une plateforme pour recenser les volontaires souhaitant remplacer les bénévoles confinés.

Insuffisant selon les associations, qui multiplient les tribunes: certaines affirment que les sans-abri encourent "le risque de mourir de faim". Beaucoup réclament une réquisition des innombrables hôtels actuellement vides pour qu'ils puissent se confiner en sécurité, plutôt que dans ces centres où ils dorment parfois à plusieurs et où des dizaines de contaminations ont déjà été confirmées.

Le gouvernement a répondu à l'appel en commençant à réquisitionner des chambres d'hôtel.

Les premières ont été ouvertes mercredi soir à Paris. "Plus de 170" seront proposées dans la capitale d'ici à la fin de la semaine, a annoncé jeudi le ministre du Logement Julien Denormandie.

A Montpellier, "la police et des travailleurs sociaux me +proposent+ depuis plusieurs jours de manière de plus en plus insistante d'aller dans un gymnase avec des dizaines d'autres alors que je suis beaucoup moins en danger de contagion seul à dormir sur ce seuil d'immeuble", s'indigne Marc, 52 ans.

"S'ils continuent je vais aller me cacher dans les bois", enrage cet ancien commercial, à la rue depuis quelques mois.

Une inquiétude partagée par Ricardo, assis sur un banc un peu plus loin. "Moi je préfère crever que d'aller en foyer me contaminer ou contaminer les autres."

Le gouvernement a néanmoins exclu toute contrainte. "Il n'y a pas de couvre-feu dans notre pays: il n'y aura pas d'isolement ou de mise à l'abri de force des SDF", a déclaré M. Denormandie.

rfo-emd-il-cld-jdy/tq/swi

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