Dans une agence de voyages, les montagnes russes d'un an sous Covid

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Par Fabrice RANDOUX - Paris (AFP)
Publié le 25 février 2021 - 05:38
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A l'aéroport d'Orly le 24 juin 2020
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP/Archives
A l'aéroport d'Orly le 24 juin 2020
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP/Archives

Dans le Xe arrondissement de Paris, les bureaux de Tsar Voyages, agence de tourisme spécialisée sur la Russie, attendent toujours sous leur grande verrière le retour de leurs occupants, qui racontent l'ascenseur émotionnel d'un an avec le Covid-19.

Fin 2019, cette petite entreprise en pleine croissance comptait 18 salariés pour un chiffre d'affaires de 9 millions d'euros. Avec la fermeture des frontières, celui-ci va tomber à... 500.000 euros en 2020.

Laure, 47 ans, la directrice, de l'angoisse à l'espoir

"Le jour du confinement, j'ai donné rendez-vous à mon équipe pour leur remettre leurs portables. J'ai coupé le chauffage et baissé le rideau de fer à 15 heures, c'était un sentiment de fin du monde.

En mars-avril, on n'a pas arrêté de travailler car il a fallu annuler les voyages. Heureusement, la suspension de l'obligation de remboursement dans les 14 jours (au profit d'avoirs valables 18 mois) nous a sauvé la vie. En avril, gros soulagement, on obtient un prêt garanti par l'Etat (PGE), mais je me dis que la situation est vraiment grave pour qu'on nous prête 1,8 million sans intérêts.

Je mets en place le chômage partiel et en mai-juin, quand on comprend qu'il va falloir tenir sur la durée, je demande aux gens ne plus faire que l'indispensable, on passe en hibernation.

Comme l'Etat finance à 100% les formations en chômage partiel, on monte un énorme dossier et quasiment tous les salariés feront une à deux formations entre juin et septembre. Soit ils seront mieux formés à la reprise, soit ils auront amélioré leurs CV s'ils sont licenciés.

Jusqu'à l'été, on a toujours pensé qu'on reprendrait quelques mois plus tard. Mais en août-septembre, je comprends que ça ne repartira pas en janvier, que c'est pas juste une année blanche, mais probablement deux. J'étais désespérée, je me suis dit qu'on allait mourir à l'automne 2021 quand il faudrait rembourser les avoirs.

J'ai commencé à espacer les petits rituels, les apéros zoom car j'avais peur de transmettre mon angoisse. En plus j'ai appris qu'en tant que mandataire de fait je n'aurais pas droit au chômage si on fermait, c'était le RSA direct.

Tout change à la fin de l'année quand Bercy annonce qu'on pourra toucher 20% de notre chiffre d'affaires par le fonds de solidarité. Cela nous fait passer de 10.000 euros en novembre à 160.000 euros pour décembre, pareil pour janvier ! C'est inespéré, une vraie bouffée d'oxygène. Et la banque m'annonce que notre remboursement de PGE sera étalé sur 4 ans à seulement 0,7% ! J'ai repris confiance et je me dis qu'en 2022 tout le monde va avoir envie de voyager.

Pour l'instant je n'ai licencié qu'une personne tout au début de la crise, la dernière que je venais de recruter. Je penserai aux licenciements le jour où la prise en charge du chômage partiel baissera. On est une équipe très familiale et j'ai de vrais professionnels qui ne sont pas facilement remplaçables. Avec le chômage partiel à 100%, un salarié me coûte en moyenne 350 euros par mois, c'est difficile de se résoudre à mettre quelqu'un au chômage dans un secteur sinistré pour 350 euros.

Thomas, 34 ans, au revoir Paris

"Je suis parti me confiner chez mon père en Normandie et je n'ai pas voulu revenir après. J'en avais un peu marre de la vie parisienne où les choses simples comme les déplacements deviennent vite fastidieuses. Mon travail se fait facilement à distance car je suis responsable des voyages groupes, les clients sont partout en France et ce sont essentiellement des contacts par téléphone et e-mail. Ce n'était pas le souhait premier de ma direction mais ils ont compris que j'avais besoin de ça pour rester motivé. Je reviens au siège une fois par mois".

Antoine, 28 ans, la perte de la flamme

"J'ai été confiné dans un très petit logement avec ma compagne qui ne travaille pas, l'agence m'a rapidement manqué, on perd la flamme petit à petit, c'est pas facile psychologiquement. Ne pas faire d'activité, ne voir personne, c'est un cocktail qui détruit.

Comme conseiller ventes, je suis passé d'abord à 20 heures de travail par semaine, puis à cinq heures... En février, les clients devraient être là pour préparer leurs vacances, là il n'y a pas de passage, pas d'appel. En plus j'ai perdu 10% de mon petit salaire. Je me sens bloqué dans mon évolution, ça me fend le coeur car j'avais atteint mon objectif ici, je suis amoureux des cultures slaves."

Tatiana, 26 ans, dernière au bureau

"Je suis arrivée en stage ici en 2019 avant d'être embauchée pour le marketing. Venant de Russie, je n'avais pas de famille, pas d'amis proches lors du confinement. Je ne voyais plus personne sauf pendant les réunions zoom. Je suis en colocation, donc le télétravail ce n'était pas possible pour moi, on a besoin de notre espace personnel. Cela ne me dérange pas d'être souvent seule dans ces bureaux vides, ça permet de penser à autre chose.

Je suis très reconnaissante envers la France pour le chômage partiel car c'est le seul moyen de payer ma colocation. Ca n'existe pas en Russie, tous mes amis ont été obligés de chercher un autre travail ou de l'aide."

Elisabeth, 31 ans, démission et reconversion

"J'étais responsable du service croisières mais je m'occupais aussi un peu des ressources humaines car ça me plaisait. A partir de juillet, je n'avais que 4-5 heures de travail par semaine et ça m'a donné le temps de faire à distance une licence en ressources humaines pour avoir davantage de compétences. Je l'ai financée avec les 3.500 euros sur mon CPF (compte personnel de formation) et je l'ai obtenue en décembre.

En novembre, ne voyant pas de fin à la crise, j'ai regardé le marché du travail et j'ai eu deux entretiens très rapidement. En janvier je démarrai comme responsable RH dans une société de services numériques de 35 personnes. La crise a été pour moi une opportunité".

Yulia, 33 ans, de nouvelles idées

"Ce qui me pèse le plus, c'est qu'on n'a pas de nouvelles demandes de voyages, du coup on ne se renseigne pas sur les nouveaux hôtels ou restaurants à Moscou et Saint-Pétersbourg où la vie ne s'est pas arrêtée comme ici, ça joue sur notre qualification.

Quand Laure a demandé d'avoir de nouvelles idées pour relancer l'activité, comme je m'occupe du Transsibérien, j'ai proposé de créer une agence spécialisée sur les voyages en train dans le monde entier. On étudie la possibilité de créer une société dans laquelle je serais co-actionnaire. On ne sait pas si ça va marcher mais ça remotive".

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