Du "quiproquo" à l'affrontement, le quotidien violent des bandes de jeunes

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Par Clara WRIGHT - Évry-Courcouronnes (France) (AFP)
Publié le 25 février 2021 - 19:46
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La zone de Boussy-Saint-Antoine le 24 février 2021, au sud de Paris, où un adolescent de 14 ans a été tué dans une rixe
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© Thomas COEX / AFP
A Boussy-Saint-Antoine, où un adolescent a été tuéle 23 février 2021 lors d'une rixe entre bandes de jeunes
© Thomas COEX / AFP

"Culture de l'embrouille" et parents démunis: le phénomène persistant des rixes entre bandes de jeunes, opposant des adolescents qui se disent "en guerre" pour "défendre" leur quartier, a ressurgi cette semaine avec le décès de deux collégiens dans l'Essonne.

Deux morts de 14 ans, lundi et mardi. 24 heures dramatiques, à fort impact médiatique... s'ils se terminent rarement par des décès, ces affrontements font partie du quotidien de nombreux jeunes habitants de quartiers.

Maëva*, 14 ans, confie à l'AFP avoir souvent eu "peur" les mercredis, jour de "bagarre" devant son collège, entre jeunes qui s'affrontaient munis de "béquilles et de bouts de verre", avant la mise en place de "rondes de police".

La collégienne de Ris-Orangis a été "choquée" en apprenant l'âge de l'adolescente tuée d'un coup de couteau lundi. "Peut-être que dans deux ans, ce sera un jeune de huit ans qui meurt ?", s'inquiète-t-elle lors d'un atelier organisé par l'association Génération II, à Evry-Courcouronnes.

Certains estiment qu'il existe un "rajeunissement" de ce phénomène de bandes. Mais pour Marwan Mohammed, chercheur au CNRS spécialiste des jeunesses urbaines, ce n'est pas le cas.

"Les jeunes investissent le monde des bandes à peu près au même âge" qu'il y a "cinquante ans", explique-t-il. Il y a eu un "effet de sidération" cette semaine, car les morts sont "très rares" lors de rixes entre jeunes, mais "il y a tellement de bagarres, dont beaucoup se terminent avec des blessés".

Ce fut le cas d'Adam*, à l'automne dernier.

A la sortie de son lycée, l'adolescent de 16 ans qui vit à Evry, a "croisé un gars de Grigny". "Il cherchait mon ami avec qui il s'était embrouillé, mais comme mon ami a fini plus tôt ce jour-là, et comme je viens du même quartier, ils se sont acharnés à vingt sur moi et j'ai fait trois jours dans le coma", raconte le jeune, sweatshirt et barbe naissante.

- "Culture de l'embrouille" -

"Un vol, une dette, une humiliation, un mot sur (le réseau social) SnapChat, un quiproquo...": pour Marwan Mohammed, le motif de la bagarre entre bandes est finalement "très secondaire".

Ce qui joue, c'est "la disposition permanente à l'affrontement": "il suffit juste d'une occasion pour qu'elle se réactive".

Cette disposition "renvoie à une culture de l'embrouille, qui est très marquante dans les milieux populaires" et "qui permet à un certain nombre d'individus d'exister et de se construire un statut social" dans un contexte de "difficultés sociales", selon le chercheur.

Chez les ados, cela peut se traduire par des règles autour de territoires et de "guerres" entre bandes, selon leurs mots, lorsque ces règles sont transgressées. Comme lorsque Yassine*, alors âgé de 17 ans, nouveau dans son quartier, a échappé de peu à un passage à tabac.

"Ils étaient quatre derrière moi. Heureusement j'étais un peu sportif, j'ai couru, puis j'ai vu un gars que je connaissais dans le quartier. Le gars leur a dit d'arrêter, qu'il me connaissait, que j'étais nouveau. Là, ils se sont arrêtés, heureusement car sinon ils allaient me taper", dit le jeune homme.

Les bandes ont l'impression de "défendre l'honneur collectif, la réputation du quartier", analyse le chercheur.

- "On ne naît pas parent" -

Associations et médiateurs travaillent à transformer cette identification à leur quartier en un attachement positif et non violent.

Pour y parvenir, Aisseta Cissé, qui a fondé l'association Génération II en 2000, cherche notamment à sensibiliser les parents afin qu'ils "s'imposent, mettent un cadre".

"Il faut accepter d'être un parent imparfait, de pousser les portes (de l'association) pour être aidé. On ne naît pas parent, on le devient", poursuit-elle.

C'est grâce à son association qu'Adam a trouvé la force de retourner au lycée. Pendant un mois, ce dernier s'arrêtait devant les grilles. "Je revoyais les images de mon agression, je stoppais net et je rentrais chez moi", raconte-t-il à l'AFP.

Jusqu'à ce qu'un "père référent", une sorte de tuteur attribué par l'association, l'accompagne pendant une semaine.

Pour lutter contre ce sentiment "d'insécurité" aux abords des établissements scolaires, le rectorat de Versailles, dont dépend notamment l'Essonne, dispose de "40 personnels dédiés à la sécurisation et à la prévention" capables d'intervenir en cas de "tensions".

L'académie et la gendarmerie nationale ont également formé ces deux dernières années "240 chefs d'établissement (...) aux phénomènes violents aux abords de l'établissement".

clw/tib/cb

*Ces prénoms ont été modifiés

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