En banlieue, des cités érigées au rang de monuments

Auteur:
 
Par Tiphaine LE LIBOUX - Noisy-le-Grand (AFP)
Publié le 15 septembre 2018 - 14:30
Mis à jour le 16 septembre 2018 - 03:02
Image
Photo prise le 11 septembre 2018 des immeubles des Abraxas à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), conçus en 1978 par Ricardo Bofill.
Crédits
© Lionel BONAVENTURE / AFP
Photo prise le 11 septembre 2018 des immeubles des Abraxas à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), conçus en 1978 par Ricardo Bofill.
© Lionel BONAVENTURE / AFP

Un changement de regard sur les grands ensembles ? En Seine-Saint-Denis, les spectaculaires immeubles des Abraxas, lieu de tournage de plusieurs films, voient défiler les curieux. Et d'autres cités ont désormais un label qui distingue leur qualité architecturale.

"Le week-end, dès 07H00 du matin, quand je sors mon chien, il y a des gens ici. Ils se prennent en photos, font des vidéos", raconte Catherine Boukhiar, 59 ans, en montrant les marches du "Palacio", bâtiment principal des "Espaces d'Abraxas" situés à Noisy-Le-Grand.

"Il y a même des Coréens, des Allemands, des Américains qui viennent", ajoute Mareme Fall, 47 ans. Présidente d'une association d'habitants, elle vit depuis 14 ans dans cet ensemble de 600 logements, conçu en 1978 par le célèbre architecte catalan Ricardo Bofill.

Marquée par la démesure, la cité de béton rosé aux lignes futuristes, dont la place centrale évoque un théâtre antique, sert régulièrement de lieu de tournage: du film culte d'anticipation "Brazil" de Terry Gilliam (1985), au blockbuster américain "Hunger Games" (2014), en passant par le clip de "Ouragan" de Stéphanie de Monaco.

Dégradée et critiquée, à l'instar d'autres grands ensembles, elle a pourtant failli être démolie.

Aujourd'hui, l'objectif est tout autre: d'importants travaux sont en cours. Et la maire LR Brigitte Marsigny, qui entend bien faire des Abraxas un atout pour sa ville, a décidé d'y associer l'architecte d'origine.

Assis sur les marches du "Palacio", un jeune homme en veste et chemise dessine les façades massives et les colonnes qui lui font face. A ses côtés, une salade de boulghour entamée. "Je viens parfois déjeuner ici, j'avais envie de les dessiner depuis un moment", explique Max Yvetot, 30 ans, directeur financier.

Quand d'autres vont au musée le week-end, ce Parisien prend le RER pour découvrir l'architecture des cités: "dans ma génération c'est assez à la mode, on est nombreux à aimer aller en banlieue parisienne, visiter des quartiers où, en théorie, il n'y a pas grand chose à voir."

Une démarche qui reste encore "assez confidentielle", précise Béatrix Goeneutte, directrice de la Maison de banlieue et de l'architecture. Située en Essonne, cette petite structure organise expositions et visites de grands ensembles, qui font le plein et touchent 3 à 4.000 personnes par an.

- Pyramides, Etoile et Nuages -

Parmi les visiteurs, des passionnés d'architecture mais aussi des riverains, désireux de connaître l'histoire des barres et tours sorties de terre après-guerre et sous les Trente glorieuses, pour répondre à la crise du logement.

D'abord symboles de la modernité, ces quartiers sont ensuite dénigrés, avec la dégradation de la situation économique et sociale et les défauts de certains projets. Une mauvaise image qui a longtemps fait oublier la valeur architecturale de certains d'entre eux.

Pourtant, un "changement de regard" est en train de s'opérer, estime Benoît Pouvreau, historien au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis. "Le temps passe et, pour la nouvelle génération, les grands ensembles ont toujours été là, ils font partie du paysage urbain", explique-t-il.

Signe de cette évolution, le ministère de la Culture a lancé au début des années 2000 le label "Patrimoine du XXe siècle". Des églises, des stations de métro ou des squares ont ainsi été classés. Mais aussi des cités.

La Grande Borne à Grigny, les Pyramides d'Evry, les tours Nuages construites par Emile Aillaud à Nanterre ou son immeuble en forme de serpentin à Pantin: aujourd'hui 40 ensembles d'habitation sont labellisés en Ile-de-France. Seules quelques cités des années 30 - Germain Dorel au Blanc-Mesnil ou les Dents de scie à Trappes - sont classés au titre des monuments historiques.

Une politique de "patrimonialisation" encore balbutiante, mais déjà prise en compte dans certaines réhabilitations comme celle de la Cité de l'Étoile à Bobigny, conçue par les architectes Candilis, Josic et Woods en 1956, après l'appel de l'abbé Pierre.

Le but n'est pas de mettre les grands ensembles "sous cloche", souligne Béatrix Goeneutte, mais de montrer que "la banlieue n'est pas qu'une dalle de béton coulée des années trente à nos jours". Une manière aussi de rappeler qu'elle a "une histoire, qui compte autant que celle de la capitale".

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
bayrou
François Bayrou, baladin un jour, renaissant toujours
PORTRAIT CRACHE - François Bayrou, député, maire de Pau et plusieurs fois ministres, est surtout figure d’une opposition opportuniste. Éternel candidat malheureux à la...
20 avril 2024 - 10:45
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.