En France, ces orthodoxes russes qui cultivent leur singularité, loin de Moscou

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Par AFP
Publié le 22 octobre 2017 - 13:11
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L'archevêque des paroisses de tradition russe en Europe occidentale, Jean de Charioupolis, le 19 oct
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP/Archives
L'archevêque des paroisses de tradition russe en Europe occidentale, Jean de Charioupolis, le 19 octobre 2017 devant la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, à Paris
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"On a tout perdu, sauf l'Evangile": cent ans après la Révolution d'octobre, l'archevêché orthodoxe russe en Europe occidentale veille jalousement sur sa singularité et son "esprit de liberté", tourné vers Constantinople et à distance de Moscou.

Rue Daru, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Sous les cinq flèches ornées de bulbes dorés de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, un office et une liturgie des défunts commémorent, en cette fin octobre, "les victimes de la répression bolchévique et de la guerre civile en Russie" (1917-1923).

"Ce n'est pas une manifestation politique", prévient l'archevêque des paroisses de tradition russe en Europe occidentale, Jean de Charioupolis, avant de disparaître derrière l'iconostase, cloison de bois préservant des regards le mystère du sanctuaire orthodoxe.

Il s'agit, dit-il à l'assemblée debout, de "garder la mémoire de ceux qui nous ont précédés" et "qui ont préservé l'idéal de la foi".

Consacrée en 1861, la cathédrale de la rue Daru a été un point de repère, soixante ans plus tard, pour des émigrés "blancs" fuyant la Russie par dizaines de milliers.

"L'Eglise va devenir le centre de leur vie spirituelle et culturelle, véhiculer la langue, organiser la rencontre de ces exilés", explique Mgr Jean à l'AFP.

A la tête des paroisses de Russes en exil à l'Ouest, le métropolite Euloge (1868-1946), un des artisans du concile de Moscou de 1917-1918, sorte de "Vatican II" russe pour l'ouverture et le renouveau qu'il a insufflé sur la place des laïcs et la liturgie.

Secondé par quelques figures de l'intelligentsia expulsées par Lénine, le hiérarque a fondé à Paris dès 1925 l'Institut Saint-Serge, première académie de théologie orthodoxe du monde occidental, toujours active aujourd'hui même si son aura a pâli.

En 1931, refusant de nier les persécutions subies par les croyants en Russie, le métropolite a rompu avec le patriarcat de Moscou. "Euloge a essayé le plus longtemps possible de maintenir ce lien avec l'Eglise russe. Quand cela s'est avéré impossible, il s'est tourné vers le patriarcat oecuménique de Constantinople", rappelle l'historien Antoine Nivière. Tout en traçant un chemin assez unique dans le monde orthodoxe, avec laïcs et clercs associés à la gouvernance, dans la fidélité au concile de 1917-1918.

- "Chacun sa mission" -

Une petite minorité d'exilés est restée dans le giron moscovite, faisant d'un ancien garage, rue Pétel (XVe arrondissement), leur cathédrale... jusqu'à l'inauguration en 2016, en grande pompe, du Centre spirituel et culturel du quai Branly (VIIe), financé par la fédération de Russie.

Soutenu par le pouvoir de Vladimir Poutine jusque devant les tribunaux, le diocèse de Chersonèse (patriarcat de Moscou en France, Suisse, Espagne et Portugal) a subtilisé à la "rue Daru" la cathédrale orthodoxe russe de Nice, mais pas celle de Biarritz.

Des velléités d'"expansion" que Mgr Jean observe avec vigilance mais qu'il dit vivre "paisiblement". "Chacun sa mission!", fait-il valoir, soulignant que son archevêché veut s'adresser au "peuple orthodoxe", slavophone ou non. Aujourd'hui son territoire rassemble plus de 120 paroisses de la Scandinavie à l'Espagne, dont une cinquantaine en France. Davantage que le diocèse de Chersonèse.

La rue Daru n'a cependant pas les ressources financières du quai Branly. Or, si les flèches de la cathédrale, monument historique, ont pu être redorées avec l'aide de l'Etat français, d'autres bâtiments nécessitent des travaux.

Le président de l'Association chrétienne des étudiants russes, mouvement de jeunesse orthodoxe (ACER-MJO), relativise. Il y a un siècle, "on a tout perdu sauf l'Evangile. Et finalement on n'a besoin de rien d'autre", estime Cyrille Sollogoub, qui place "l'esprit de liberté, de pauvreté évangélique et de service" avant "l'identité nationale, grande maladie de l'orthodoxie".

"L'archevêché de la rue Daru ne peut bénéficier des moyens" que l'Etat russe prodigue à l'Eglise moscovite, constate le père Alexandre Siniakov, attaché au patriarcat de Moscou, qui lui a confié en 2008 la création d'un séminaire en région parisienne.

Mais "il dispose d'un autre trésor", convient-il: "l'autonomie, et la réflexion sur la manière dont l'orthodoxie de tradition russe peut s'intégrer en Occident".

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