A Fréjus, les 423 morts du Malpasset hantent toujours les survivants

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Par Claudine RENAUD - Fréjus (AFP)
Publié le 22 novembre 2019 - 09:26
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Maison éventrée à Fréjus le 5 décembre 1959, après la rupture du barrage du Malpasset
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© / AFP/Archives
Maison éventrée à Fréjus le 5 décembre 1959, après la rupture du barrage du Malpasset
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"Toute la vallée a été détruite, les gens ont tous perdu quelqu'un": Simone Mercier avait 12 ans quand la rupture du barrage de Malpasset le 2 décembre 1959 a fait 423 morts, dont 135 enfants, à Fréjus, tuant presque toute sa famille.

Soixante ans plus tard, alors que la ville du Var s'apprête comme chaque année à sonner le tocsin à la mémoire des victimes de la tragédie, pire catastrophe civile de l'après-guerre en France, le chagrin et le flot des images de cette nuit de fin du monde l'assaillent comme si c'était hier.

"Je pensais qu'on ne serait plus dans l'émotion, mais on y est toujours", dit-elle.

Sur les panneaux de l'exposition organisée à la Villa aurélienne jusqu'au 20 décembre, des coupures de presse de l'époque, des cartes, des croquis explicatifs, des photos, des lettres et des documents autographes témoignent de la violence du choc et de l'effroi des victimes.

Pour la première fois, des ingénieurs ont été sollicités pour documenter les causes de la rupture du barrage. Pratiquement neuf, l'ouvrage prenait appui sur une roche de qualité médiocre dont une partie a cédé, lâchant 50 millions de m3 d'eau.

"Depuis dix ans on entretient la mémoire dans les classes, on témoigne. Le 60e anniversaire, c'est le moment de parler parce qu'après ce sera fini", reprend Simone. Fréjus, qui comptait alors 13.500 habitants, a vu des centaines d'habitations et de fermes alentours rasées. Pour les survivants, la vie a basculé. Seuls les souvenirs sont restés intacts.

Ce soir-là, chez Simone, une famille d'immigrés siciliens, on se réchauffait autour d'un brasero. "Ma tante tricotait, les adultes discutaient et on a entendu comme une explosion. On s'est regardé, on a eu peur, j'ai levé la tête: le mur côté nord s'est effondré et la vague m'est tombée dessus... J'ai toujours ça dans la tête, j'ai entendu mon oncle hurler, comme au ralenti", raconte-t-elle.

- "L'amour m'a tenu" -

Les jours suivants seront "terribles": avec ses deux frères miraculés, elle cherche ses parents. "J'étais à l'hôpital sans savoir, je passais mes journées à regarder arriver les corps couverts de boue, les gens couraient pour les nettoyer, je ne ressentais rien, j'étais vide".

Michelle Guillermin, 75 ans, a aussi été" sonnée" par la perte de toute sa famille. Pensionnaire à Cannes, elle est revenue le lendemain de la catastrophe pour découvrir que seuls deux de ses frères avaient pu être secourus: "l'un parce qu'il a eu le réflexe de se lever du bon côté du lit sur le bout de palier restant de la maison, et l'autre parce qu'il a réussi à s'accrocher à un cyprès".

"On a mis très longtemps avant de pouvoir en parler, c'était tabou, trop fort, on voulait enfoncer ça dans un tiroir et ne plus y toucher", confie aussi Yvon Allamand 77 ans, qui, comme beaucoup de rescapés, a eu un déclic au moment du 50e anniversaire de la catastrophe. Une association a alors été fondée.

Cette nuit-là, Yvon était au cinéma quand il a appris que le barrage avait cédé. Avec un copain, ils enfourchent une moto et retrouvent la mère de ce dernier, saine et sauve chez elle, "à genoux sur le lit, pétrifiée, les yeux écarquillés, avec ses deux enfants de chaque côté".

Mais devant la station-essence tenue par ses parents à lui, quand un cheminot éclaire la nuit avec une lampe torche, il n'y a plus qu'"un grand trou". Ses proches disparus ne seront retrouvés que plusieurs jours après. "Je ne sais même pas s'ils étaient entiers", dit-il, en larmes.

Deux ans après la catastrophe, Yvon épouse sa petite amie: "On a eu de la chance, c'est l'amour qui m'a tenu, j'ai quatre arrière-petits-enfants: quand je raconte ça dans les écoles, les élèves me disent que c'est un vrai conte de fées".

"Mais je connais des gens qui ne veulent pas témoigner. Moi j'avais 17 ans, j'ai pu me réinstaller, créer une famille", dit-il, la voix brisée. "Mais eux, ils ont perdu leurs deux enfants, arrachés de leurs bras, et dont l'un n'a jamais été retrouvé".

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