"Imagination et ingéniosité" : début du procès d'Ikea France, accusée d'avoir espionné ses salariés

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Par Ornella LAMBERTI, Clara WRIGHT - Versailles (AFP)
Publié le 22 mars 2021 - 01:46
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Le logo de l'enseigne d'ameublement Ikea, à l'extérieur d'un magasin à Saint-Herblain, près de Nantes, le 13 janvier 2021
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© LOIC VENANCE / AFP/Archives
Le logo de l'enseigne d'ameublement Ikea, à l'extérieur d'un magasin à Saint-Herblain, près de Nantes, le 13 janvier 2021
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"Imagination et ingéniosité": les premiers interrogatoires se sont tenus lundi à Versailles dans le procès de la filiale française d'Ikea, accusée d'avoir mis en place un système de surveillance illégal de salariés dont des syndicalistes.

Dans cette affaire dite d'espionnage, la filiale du géant de l'ameublement suédois, poursuivie comme personne morale, encourt jusqu'à 3,75 millions euros d'amende.

Quinze personnes physiques sont également jugées, dont des directeurs de magasins, des fonctionnaires de police mais aussi des anciens dirigeants, tels que l'ancien PDG Stefan Vanoverbeke (2010-2015) et son prédécesseur Jean-Louis Baillot, présents au premier jour du procès.

Lundi, des acteurs impliqués ont eu à répondre de la façon dont ils se procuraient ces informations confidentielles sur des salariés. Avec "imagination et ingéniosité", a lancé l'un d'entre eux à la barre, Jean-Pierre Fourès, patron d'une société privée d'investigation dont Ikea France était cliente, se défendant de tout agissement illicite.

Révélée par Le Canard Enchaîné et Mediapart en 2012, l'affaire instruite après la plainte d'un syndicat, avait ébranlé Ikea France, alors contrainte de licencier quatre de ses hauts responsables.

L'instruction a ainsi dévoilé, selon les termes du parquet de Versailles, un "système d'espionnage" d'employés, de candidats à l'embauche et parfois même de clients, s'étendant sur l'ensemble du pays.

Ce procès doit "démontrer" que des entreprises ont recours à des "manoeuvres qui fliquent les organisations syndicales et surtout les salariés", a lancé avant l'audience Amar Lagha, secrétaire général CGT commerce et services.

Selon l'accusation, plusieurs centaines de personnes, dont des syndicalistes, ont ainsi été passées au crible, leurs antécédents judiciaires ou leur train de vie scrupuleusement examinés. Au moins 90 parties civiles se sont ainsi constituées.

- "Dossier hors normes" -

Dans ce procès qui doit durer jusqu'au 2 avril, les prévenus auront notamment à répondre des chefs de collecte et divulgation illicite d'informations personnelles, violation du secret professionnel ou encore de recel de ces délits, ce qui expose certains d'entre eux à une peine maximale de dix ans d'emprisonnement.

C'est "un dossier complexe, hors normes", a commenté la procureure Paméla Tabardel. Si les prévenus comparaissent pour des faits couvrant la période 2009-2012, les pratiques d'Ikea France remontaient, selon l'accusation, au début des années 2000.

Au cœur de ce "système", Jean-François Paris, ex-directeur de la gestion des risques d'Ikea France, aujourd'hui âgé de 56 ans.

D'après l'instruction, M. Paris envoyait des listes de personnes "à tester" à des sociétés d'investigations privées auxquelles la filiale allouait un budget de 30.000 à 600.000 euros par an.

"A partir de 2000, on a été confronté à une série de vols à main armée dans les magasins", a-t-il justifié lundi à la barre, élégamment vêtu d'un costume. "Je n'ai fait que continuer ce que faisait mon prédécesseur", a-t-il affirmé.

La présidente de la chambre, Angélique Heidsieck, a cité plusieurs échanges de mails. Dans l'un d'eux, en 2003, M. Paris demande des renseignements sur un couple à Toulouse, "a priori gitan et dangereux". Dans un autre, en 2008, M. Paris soumet à vérification une "fournée" de 203 personnes pour le magasin de Rouen, selon ses propres termes.

Ces listes, que l'ex-responsable assure avoir reçues de directeurs de magasins, étaient notamment adressées à Jean-Pierre Fourès.

Ce patron de la société d'investigation Eirpace, aujourd'hui à la retraite, est accusé d'avoir, par l'entremise de policiers, eu recours au STIC, un fichier de police informatisé leur permettant d'accéder à des données aussi confidentielles que le passé judiciaire des salariés.

Ce que M. Fourès a nié à l'audience.

"Comment faisiez-vous alors pour récupérer ces informations ?" a interrogé la présidente. "Imagination et ingéniosité", a répondu en joignant ses mains l'homme de 73 ans, expliquant se servir d'informations disponibles dans le domaine public pour faire part de ses "suspicions" à M. Paris.

Leur "communication" était "assez discrète", a commenté la présidente: les deux hommes ayant "convenu de retours par téléphone ou à domicile". Il y a donc "assez peu, voire très peu de documents écrits" prouvant que M. Fourès accédait aux demandes de M. Paris, a-t-elle reconnu.

Devant les enquêteurs, M. Paris a assuré avoir suivi une consigne généralisée du PDG Jean-Louis Baillot, des affirmations que l'ancien directeur conteste.

En amont de l'audience, le conseil d'Ikea France, Emmanuel Daoud, a lui balayé les accusations "d'espionnage", évoquant plutôt des "faiblesses organisationnelles" de l'entreprise.

Les interrogatoires doivent se poursuivre mardi.

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