"J'ai été réduit en esclavage" : un couple jugé pour avoir exploité un Burundais pendant 10 ans

Auteur:
 
Par Anne LEC'HVIEN - Nanterre (AFP)
Publié le 10 septembre 2019 - 00:02
Image
France-Soir
Crédits
©DR
France-Soir
©DR

"Je suis devant la justice parce que pendant 10 ans, j'ai été réduit en esclavage": un ex-ministre du Burundi et son épouse ont comparu lundi à Nanterre, soupçonnés d'avoir exploité un Burundais à leur domicile en région parisienne.

En juillet 2018, un ouvrier vient réparer des fenêtres dans une demeure cossue de Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine). Il aperçoit un homme "amaigri", "sale", en train de nettoyer le sol et en parle à sa supérieure. Quelques jours plus tard, Methode Sindayigaya est, selon ses mots, "libéré".

Cet ancien cultivateur au Burundi raconte à la barre du tribunal de Nanterre s'être vu proposer, en 2008, un travail au domicile d'un couple aisé dans la capitale, Bujumbura. Il accepte ensuite d'accompagner la famille en France: venu au départ pour trois mois, il y restera plus d'une décennie.

"Je commençais le travail le matin à 6H00 et je me couchais à 1H00", décrit-il. Lessive, repassage, cuisine, ménage, jardinage, il prend aussi soin d'un des fils du couple, qui souffre de handicap, dit-il.

Cet homme, aujourd’hui âgé de 39 ans, décrit des humiliations quotidiennes. "Avant de terminer une tâche ils me donnaient une autre tâche à faire et quand je leur disais que c'était difficile, compliqué, ils me disaient qu'ils allaient appeler la police".

Il raconte qu'il dormait dans la buanderie de la villa, au sous-sol, près d'une chaudière sentant le gazoil, se lavait "au robinet, avec un seau", mangeait ce qu'il restait "quand ils avaient fini".

"Pourquoi n'avez-vous pas quitté la maison ?", demande la présidente. "Où est-ce que j'allais aller ? Je n'avais pas de passeport, et j'avais toujours peur de la police", répond celui qui a obtenu depuis le statut de réfugié politique pour lui et sa famille.

- le "serf de la maison" -

Ancien procureur, ministre de la Justice puis de l'Economie au Burundi, Gabriel Mpozagara a rejoint la France en 1979 avant de travailler à l'Unesco. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il comparaît notamment pour "soumission à un travail forcé" et à des "conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité".

Droit à la barre en costume et cravate rouge, il conteste point par point. "Methode vivait dans les mêmes conditions que nous, il mangeait comme nous".

L'ancien ministre assure n'avoir jamais pris le passeport de son employé et que c'est ce dernier qui l'avait égaré. Selon lui, il ne voulait pas quitter la France. "J'ai été victime de mon désir de protéger Methode. Si j'avais été cynique, si je lui avais dit: +M. Sindayigaya, prenez vos cliques et vos claques+, je ne serais pas là aujourd'hui".

"Je faisais le ménage même, je cuisinais moi-même", se défend aussi Candide Mpozagara, 74 ans. "Il peut inventer ce qu'il veut", dit-elle, "il était libre comme l'air".

"Ce n'est pas un employé de maison ou même un domestique comme au XVIIe siècle, c'est le serf de la maison et l'esclave à tout faire !", s'indigne la procureure, en requérant 3 ans de prison dont deux avec sursis. La décision du tribunal sera rendue le 21 octobre.

Nathalie Foy décrit un homme "sous emprise", qui ne pesait que "44 kilos" au moment où il a été retrouvé et n'a été payé que quelques milliers d'euros en 10 ans. "Quelle cruauté il faut avoir, quelle inhumanité il faut développer pour exploiter à ce point quelqu'un", dit-elle, estimant que le prévenu, du fait de ses "positions éminentes", ne pouvait ignorer la loi.

"Il y a des faiblesses, des doutes, des contradictions, des manques de preuve dans ce dossier", réplique l'avocate de la défense, Me Dominique Naveau-Duschesne.

En 2007, le couple avait déjà comparu dans ce même tribunal, à Nanterre: ils avaient été condamnés, puis relaxés en appel, dans un dossier similaire, qui concernait deux jeunes nièces venues du Burundi.

Ces dernières ont plaidé leur cause auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui a condamné la France en octobre 2012 pour avoir failli dans sa lutte contre le travail forcé. En 2013, le parlement français a introduit dans le code pénal le travail forcé, la réduction en servitude et la réduction en esclavage.

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
bayrou
François Bayrou, baladin un jour, renaissant toujours
PORTRAIT CRACHE - François Bayrou, député, maire de Pau et plusieurs fois ministres, est surtout figure d’une opposition opportuniste. Éternel candidat malheureux à la...
20 avril 2024 - 10:45
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.