À la Cour de cassation, l'étron fumant, Marine Le Pen et les contours de l'injure

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Par Juliette MONTESSE - Paris (AFP)
Publié le 11 octobre 2019 - 21:43
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La Cour de cassation, réunie vendredi dans sa formation la plus solennelle, s'est penchée le plus sérieusement du monde sur la question suivante: caricaturer Marine Le Pen en excrément fumant, est-ce
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© THOMAS SAMSON / AFP/Archives
La Cour de cassation, réunie vendredi dans sa formation la plus solennelle, s'est penchée le plus sérieusement du monde sur la question suivante: caricaturer Marine Le Pen en excr
© THOMAS SAMSON / AFP/Archives

Caricaturer Marine Le Pen en excrément fumant, est-ce commettre le délit d'injure ? La Cour de cassation, réunie vendredi dans sa formation la plus solennelle, s'est penchée le plus sérieusement du monde sur une question qui, derrière ses airs cocasses, renferme un réel débat de droit.

"Quand cette affaire d'injure scatologique a commencé, qui aurait pensé que ses effluves arriveraient jusque sous les ors de la Cour de cassation ?", ironise d'entrée l'avocat de la présidente du Rassemblement national, Bruno Le Griel.

L'objet du délit - ou de l'absence de délit, c'est là toute la question - est une caricature de Charlie Hebdo, exhibée un soir de janvier 2012 par Laurent Ruquier sur le plateau de son émission "On n'est pas couché" sur France 2.

Le dessin, une fausse affiche de campagne présidentielle, était paru quelques jours plus tôt dans l'hebdomadaire satirique. Y figurait un étron fumant sur fond tricolore, sous le slogan "Le Pen, la candidate qui vous ressemble".

Marine Le Pen n'avait pas attaqué Charlie Hebdo, mais avait poursuivi Laurent Ruquier, en raison de son public bien plus large, pour injure.

La justice l'avait déboutée en 2014 puis 2015, avant que la Cour de cassation, en 2016, ne juge que les limites de la liberté d'expression avaient été dépassées, le dessin portant atteinte "à la dignité de la partie civile en l'associant à un excrément", et n'ordonne un troisième procès.

Las ! En 2017, la cour d'appel l'avait de nouveau déboutée, reconnaissant "le caractère matériellement injurieux de l'affiche" mais estimant qu'elle ne portait pas atteinte à la dignité de la présidente du parti d'extrême droite.

Marine Le Pen avait formé un nouveau pourvoi en cassation, renvoyé, en raison de la "résistance" de la cour d'appel, devant la formation la plus solennelle de la haute cour.

En dépit du sujet, infiniment plus léger que ceux traités récemment par cette assemblée plénière - Vincent Lambert, GPA à l'étranger...-, le débat reste feutré sous la houlette de ces hauts magistrats parés de pourpre, d'hermine et d'un sérieux à toute épreuve.

- "Jugement de dégoût" -

Tout le monde semble d'accord sur le caractère outrageant du dessin. Faut-il pour autant condamner Laurent Ruquier ? La question est celle des contours du délit d'injure, de la liberté d'expression et de la notion de "dignité" avancée par la Cour de cassation en 2016.

Pour l'avocat de Marine Le Pen, aucun doute, il faut condamner. "C'est avant tout de sa personne qu'il s'agit: nous ne sommes plus dans le domaine de la critique mais dans celui de l'insulte la plus grossière", martèle Me Le Griel.

Charlie, "ce n'est pas le genre d'humour de l'honnête homme", et Laurent Ruquier voulait faire rire "aux dépens d'autrui, de sa réputation, de sa considération, de sa dignité", insiste-t-il.

Au contraire, l'avocat du présentateur, François Pinet, estime que la "mise en balance des intérêts en jeu" doit profiter à son client: une personnalité politique caricaturée comme telle, sous une forme "évidemment satirique", dans un contexte de campagne... Pour lui, le critère de "l'atteinte à la dignité" ne peut prévaloir.

L'intention est de "faire rire", souligne l'avocat, et ce en exprimant "un jugement de dégoût sur le programme et les idées".

Comme Me Pinet, l'avocat général, dont le rôle est de défendre la loi, a préconisé le rejet du pourvoi de Marine Le Pen.

Pour ce haut magistrat, la notion de "dignité de la personne humaine" ne peut généralement être érigée en "limite absolue à la liberté d'expression" que lorsqu'elle concerne des messages "racistes, xénophobes, antisémites ou ségrégationnistes".

L'étron fumant étant bien éloigné d'un tel cas de figure, il reste à apprécier si les limites de la liberté d'expression ont été dépassées. Celles-ci étant plus larges lorsqu'il s'agit de satire et d'hommes politiques, dans ce cas précis, condamner M. Ruquier causerait une "atteinte disproportionnée" à cette liberté, a conclu l'avocat général.

Décision le 25 octobre.

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