"Le contre-pied des attentats" : des victimes du 13-Novembre à la rencontre de lycéens

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Par Caroline TAIX - Tulle (AFP)
Publié le 10 mai 2021 - 21:36
Mis à jour le 12 mai 2021 - 16:00
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Jean-Claude et Stéphane, deux des victimes du Bataclan, le 4 mai 2021 à Tulle lors d'une rencontre avec des lycéens
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© MEHDI FEDOUACH / AFP
Jean-Claude et Stéphane, deux des victimes du Bataclan, le 4 mai 2021 à Tulle lors d'une rencontre avec des lycéens
© MEHDI FEDOUACH / AFP

Le 13 novembre 2015, Jean-Claude était au bar du Bataclan; Stéphane à l'étage. Début mai, ils ont rencontré des lycéens de Tulle pour raconter cette nuit de terreur, un échange nourri de confidences et de questionnements: est-il possible de se reconstruire, et même de pardonner ?

"Ça a duré une éternité. En réalité, a priori 10-12 minutes. Mais 10-12 minutes avec des types qui vous tirent dessus, ça paraît une éternité". Devant une cinquantaine de lycéens, Jean-Claude* raconte ce moment qui a fait basculer sa vie. Quand il a entendu les premiers "claquements", il a d'abord regardé, "sidéré". Puis il a décidé de s'allonger et d'attendre que ça passe. Avant de pouvoir s'échapper par l'issue de secours.

Stéphane Toutlouyan a lui été pris en otage par deux des jihadistes: 2H30 dans un couloir étroit du Bataclan avec la certitude qu'il allait mourir. Finalement la BRI a réussi à libérer les douze otages. En sortant, il est passé devant la fosse et a compris les cris et les râles parvenus jusqu'au couloir: il y avait "une montagne de corps, avec du sang partout".

Dès le lendemain, le traumatisme s'installe. "Au début, j'ai décidé de continuer ma vie, pas de la reconstruire. J'ai tenu 3-4 mois, puis il a fallu que je sois pris en charge", raconte Jean-Claude, avec son look de rocker, lunettes noires et tatouages.

- "Besoin de comprendre" -

Pourquoi raconter les ravages du terrorisme à des jeunes, qui plus est dans une région qui semble épargnée ? Les lycéens sont à l'origine de cette rencontre, préparée depuis l'automne. "On était dans le contexte de l'assassinat de Samuel Paty (le professeur décapité en octobre, ndlr). Certains ressentaient le besoin d'en parler", explique Zoé, en terminale. Elle a donc contacté l'association des victimes de terrorisme (AFVT) qui organise depuis 2018 ces rencontres entre des victimes d'attaques et des collégiens ou lycéens.

Au programme, trois heures d'échange, dans l'émotion. Zélie, en seconde, lit un texte personnel sur le terrorisme, "cette ombre qui attend en silence, tapie dans l'obscurité, guettant sa proie". Puis les questions fusent. "Quelles sont vos relations avec les forces de l'ordre qui vous ont sauvés?", "Est-ce que vous regrettez votre vie d'avant?", "Est-ce que les attentats vous ont changés?"

Il se souvient de son premier sentiment, "la honte du survivant": "Pourquoi moi je suis là alors que d'autres sont morts? Je me pose toujours la question". "Je suis dans une quête de sens plus importante qu'avant", raconte Stéphane.

Le pardon? "Je ne sais pas si les victimes ont envie de pardonner, ce qui ne veut pas dire qu'elles ont envie de vengeance", dit Stéphane. "Je n'ai pas de haine vis-à-vis des terroristes. J'ai juste besoin de comprendre", complète Jean-Claude. "Comprendre comment ces jeunes Français se sont retrouvés dans mon dos avec des kalachnikov et des ceintures d'explosifs", ajoute Stéphane.

Le procès des attentats qui démarrera en septembre les aidera peut-être à trouver des réponses. Tous deux ont prévu d'y assister.

- La force du témoignage -

Cinq ans et demi après les attaques, Jean-Claude et Stéphane semblent aller bien, au point d'expliquer que des choses positives en sont sorties. Ils évoquent l'amitié née entre des victimes. "Et on est là, avec vous. (...) C'est le contre-pied de ce type d'attentat", relève Jean-Claude, face aux lycéens captivés. Il salue "l'effet thérapeutique" de ces échanges.

"Je suis là aujourd'hui pour un travail de mémoire. C'est historique ce qu'on a vécu. Il faut qu'on en parle", explique Jean-Claude. "Ça fait partie de notre devoir, ce qu'on doit rendre à ceux qui nous ont suivis et sauvés", rebondit Stéphane.

Avec ces rencontres, l'AFVT veut sensibiliser à la réalité du terrorisme et proposer un contre-discours pour prévenir la radicalisation. "On s'appuie sur la force du témoignage", expliquent Chantal Anglade et Delphine Allenbach, les deux professeures à l'origine du programme.

Les "témoins" sont des victimes des attaques du 13-Novembre, mais aussi de Charlie Hebdo, de Bruxelles, de Toulouse en 2012, du Caire en 2009...

L'AFVT peine désormais à répondre à toutes les demandes, explique Chantal Anglade : "elles ont fortement augmenté depuis l'assassinat de Samuel Paty".

ctx/ito/mpm

* Jean-Claude a requis l'anonymat

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