Les scellés du tribunal, entre caverne d'Ali Baba et petite boutique des horreurs criminelles

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Par Philippe BERNES-LASSERRE - Bordeaux (AFP)
Publié le 28 avril 2021 - 19:36
Mis à jour le 29 avril 2021 - 22:12
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Une étiquette de scellés dans une salle de stockage du sous-sol du tribunal judiciaire de Bordeaux, le 2 avril 2021
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© Philippe LOPEZ / AFP
Une étiquette de scellés dans une salle de stockage du sous-sol du tribunal judiciaire de Bordeaux, le 2 avril 2021
© Philippe LOPEZ / AFP

Du vélo à l'arme de poing, bijou, vêtement neuf, pied-de-biche ou écran TV, des dizaines de milliers de "scellés", biens saisis lors de procédures judiciaires, attendent poussière, destruction voire restitution, mais de plus en plus, comme à Bordeaux, aspirent à une revalorisation.

Au sous-sol du tribunal judiciaire de Bordeaux, une salle accessible par un double sas sécurisé, s'ouvre à l'AFP pour une rare visite. "Danger, piège de mort de 21H à 8H", menace une pancarte à l'entrée de l'entrepôt : c'est un "scellé" saisi dans une affaire de conflit de voisinage, posé là, car "ça faisait décoratif".

Dans ce bric-à-brac à mi-chemin entre "caverne d'Ali Baba" --selon l'expression récente du Garde des Sceaux-- et petite boutique des horreurs, toute pièce, de la plus banale à la plus sordide, a eu, a ou aura son rôle à jouer dans la manifestation de la vérité ou dans la répression, dans son aspect "confiscatoire".

"Biens, meubles, immeubles, véhicules, vêtements, documentations, CD d'auditions, etc, entre 10.000 et 14.000 scellés sont déposés chaque année au tribunal", rappelle Virgine Lahalle, directrice du greffe et "gardienne des scellés", l'une des cinq personnes habilitées à accéder librement au site.

Au fil de la quarantaine de racks avec système de roulement, des étagères débordent de cartons, sacs, objets avec chacun leur petite "fiche brune" : ici la hache d'un dossier de violence conjugale, là, la trottinette d'une affaire de stups, une compteuse à billets d'une affaire d'escroquerie, une cage à oiseaux d'un dossier de détention d'espèce protégée, etc.

- Où ranger le tramway ? -

Scellés "ordinaires", ceux-ci. Les nombreux autres sont en "gardiennage" ailleurs : scellés biologiques, prélèvements, conservés en laboratoire, voitures saisies (en garages) ou... un tramway d'un dossier d'accident. L'encombrant "scellé" en attente d'expertise est alors stocké par la société de transports, "gardienne" sous contrôle du greffe.

Pas d'argent au cas où germerait chez certains le fantasme d'un trésor souterrain. Pas de drogue non plus. Les premiers sont stockés sur les comptes de l'Agrasc (Agence de gestion et recouvrement des avoirs saisis et confisqués) et la seconde détruite, hormis un échantillon nécessaire au dossier.

Les "mains dans le cambouis" : voilà comment les "gardiens" décrivent leur tâche qui nécessite un suivi méthodique "colossal" de procédures qui évoluent sans cesse. Le "stress", aussi, avant un procès d'assises : "Est-ce qu'on va retrouver tous les scellés nécessaires ?"

Et des moments "difficiles". Quand passent une arme, des vêtements, d'une affaire de moeurs, de mineurs ou la corde d'une pendaison. "Ca peut être impressionnant, oui. On essaie de faire abstraction, d'avoir du recul".

Un scellé "doit être gardé tant qu’on peut en avoir besoin pour un dossier, tant qu'il n’est pas clos par un jugement définitif", pose Paul Vasquez, "agent au service des pièces à conviction". Même si le scellé peut prendre l'air, provisoirement, à la demande d'un magistrat, d'un avocat, le temps d'une expertise, d'une consultation.

Les plus anciens à Bordeaux remontent à 2009, d'autres à 1998-2000, pour des non-lieux, des affaires graves ou sensibles "où le dossier pourrait être rouvert", bénéficiant de techniques modernes d'analyse.

- Scellés "vertueux" -

D'autres connaissent une "deuxième vie" après confiscation, équipements, véhicules, matériel informatique, qui peuvent être utilisés par la police, la gendarmerie, des tribunaux, où être revendus aux enchères par les Domaines (Bercy).

Ou à des démunis. Récemment, deux palettes de vêtements, chaussures, linge, téléphonie, volés et neufs, a été remis à la Croix-Rouge de Gironde sous l'oeil d'Eric Dupond-Moretti, venu encourager une "bonne pratique" de la justice.

"L'intérêt de ces scellés est triple", explique Michael Salgado, président de la Croix-Rouge Gironde, "pour nos bénéficiaires, de plus en plus nombreux. C'est écologique puisque ces biens sont donnés et non détruits et, issus de +mauvais+ comportements sociaux, ils vont permettre d’aider des gens dans le besoin. C'est un cercle vertueux".

Le TJ projette d'en donner aux Ehpad, à l'Hôpital des enfants car il faut "déstocker" et "valoriser", selon une récente circulaire ministérielle. Il faut faire de la place aux nouveaux scellés et le "gardiennage" coûte cher à l'Etat : 15 centimes par jour pour un scellé biologique, plusieurs centaines de milliers d'euros l'an dernier pour les voitures gardiennées, pour la juridiction.

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