Pionnier de l'art de rue, Ernest Pignon-Ernest sur le front des violences sociales

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Par Jean-Louis DE LA VAISSIERE - Paris (AFP)
Publié le 10 octobre 2020 - 10:15
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Ernest Pignon-Ernest dans son atelier, le 7 octobre 2020 à Ivry-sur-Seine, près de Paris
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© JOEL SAGET / AFP
Ernest Pignon-Ernest dans son atelier, le 7 octobre 2020 à Ivry-sur-Seine, près de Paris
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Pionnier français de l'art urbain depuis les années 60, Ernest Pignon-Ernest reste à 78 ans infatigable dans sa boulimie de dessiner sur les murs des rues "les violences qu'on inflige aux hommes".

Cet homme de petite taille (1,64 mètre), vêtu de noir, qui a travaillé à 15 ans et n'a que son "certif", a gardé quelque chose du gamin niçois. Pétillant, en alerte permanente. Homme d'amitiés. Passant d'une cause à l'autre, faisant, déchirant, refaisant.

En témoigne le charmant bazar qui règne dans son atelier d'Ivry, non loin du périph: partout des dessins qu'il a tracés à grands traits vigoureux et contrastés sur des chutes de rotatives, puis accrochés au hasard. Et tout autour, des livres, beaucoup de livres.

- Dès l'âge de 15 ans -

"Ici, je ne travaille presqu'avec le fusain et la pierre noire. Le noir m'envahit. Ma compagne me dit: tu as l'air d'un mineur", confie celui qui réside à l'emblématique cité d'artistes de la Ruche dans le XIVe arrondissement - il est vice-président de sa fondation - mais vient s'immerger chaque jour dans la quiétude de son atelier.

"Je vis du dessin depuis que j'ai 15 ans", explique celui dont la célébrité a décollé en 1979 grâce à une exposition au Musée d'art moderne de la Ville de Paris.

Il sera identifié mondialement par son portrait du "jeune homme qui marche", Rimbaud: "Rimbaud, s'amuse-t-il, c'est mon tube".

Questionné sur son oeuvre, il répond modestement: "si on peut parler d'oeuvre. Car l'oeuvre, c'est ce que provoque le dessin dans un lieu".

Avant d'aller coller un dessin, "j'étudie, en peintre et sculpteur, l'espace, la lumière. J'appréhende aussi ce qui ne se voit pas: la symbolique, l'histoire". "L'image que je réalise naît du lieu lui-même. Ma palette, c'est l'espace et aussi le temps".

Inspiré par les Italiens Pasolini et Caravage, il a été très marqué par Naples, sa "ville d'adoption", en raison de "la relation très profonde qu'elle entretient avec la mort". Avant d'aller y coller entre 1988 et 1995 300 sérigraphies et dessins originaux dont "aucun, relève-t-il fièrement, n'a été déchiré", il dit avoir lu 98 livres pour la comprendre.

- "Mes images suintent des murs" -

Quant au caractère éphémère de ses oeuvres réalisées sur du papier dégradable, il le revendique: "la fragilité fait partie de ma proposition. Mes images suintent des murs, elles n'ont pas disparu mais sont retournées dans les murs".

La poésie remplace chez lui le sentiment religieux: "Je suis athée, je n'ai pas de saints".

Parmi ses amis, il y a eu Cabu, Wolinski et Reiser, de Charlie Hebdo, et il y a notamment Christian Boltanski. Avec eux, il "partage le même regard aigu sur une société tombée dans le consumérisme".

"Je ne veux pas d'un art qui s'interroge sur lui-même" comme le fait une partie de l'art contemporain, ajoute-t-il. Son message reste dans la rue, même s'il expose dans les musées, comme en 2019 pour la grande exposition "Ecce Homo" (450.000 visiteurs) au Palais des papes d'Avignon.

Ce fils d'un employé des abattoirs de Nice a eu "dès douze ans" le déclic artistique avec Picasso: "Je dois beaucoup à Paris-Match: en 1954, j'y découvrais les 40 portraits de Sylvette par Picasso!"

Soldat en Algérie, "la guerre coloniale le politise" et il épouse les idées du Parti communiste, mais jamais aveuglément.

Arme nucléaire, avortement, apartheid, sida, expulsés... Ces multiples causes dénoncées par l'oeuvre d'une vie sont sociales plus que politiques pour lui.

"Je n'ai jamais fait de peintures Mao, avec des drapeaux rouges. J'ai toujours refusé d'aller en Union Soviétique". Il salue son "très grand ami Jean Ferrat qui a su dénoncer l'intervention à Prague".

Lui qui a collé dans Paris des images aux victimes de la "Semaine sanglante" de la Commune, illustre aussi les "Extases" des femmes mystiques dans plusieurs églises de Nice, Naples et Avignon.

A la fin de l'entretien, Ernest Pignon-Ernest tient à témoigner des lettres d'encouragement reçues de Francis Bacon, un de ses peintres préférés: "si j'ai raté Picasso, j'ai eu Bacon!"

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