Prostitution nigériane : une "affranchie" devant le tribunal

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Par Pierre PRATABUY - Lyon (AFP)
Publié le 08 novembre 2019 - 18:12
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Au procès du réseau nigérian de prostitution à Lyon le 6 novembre 2019
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© ROMAIN LAFABREGUE / AFP
Au procès du réseau nigérian de prostitution à Lyon le 6 novembre 2019
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Au procès d'un vaste réseau nigérian de prostitution à Lyon, elle a le double - et rare - statut de prévenue et de victime. Le tribunal interrogeait vendredi cette "affranchie" contrainte, selon ses dires, à devenir une "mama" proxénète.

Cynthia Obule, 28 ans, est l'une des 17 Nigérianes parties civiles à la procédure. Mais elle fait aussi partie des 24 personnes jugées depuis mercredi pour proxénétisme et traite d'êtres humains.

Celle que l'on surnommait "Cy" s'exprime d'une voix forte à la barre de la 16e chambre correctionnelle, où ses propos en anglais sont traduits par une interprète.

Née dans le sud du Nigeria, elle explique qu'adolescente, elle a refusé de se marier; qu'elle était "acceptée à l'université" quand son père, la voyant "comme une vieille femme", l'a expulsée de la maison familiale. Elle rejoint alors Benin City, où les filières de prostitution recrutent le plus.

Vivant "dans la rue", un petit ami lui parle d'aller en France; contact y est pris avec Helen Okpoto, que l'accusation décrit comme "une proxénète de premier ordre". Celle-ci, qui comparaît détenue à 41 ans, l'aurait fait venir à Lyon moyennant 30.000 euros, ce qu'elle nie.

Cynthia Obule raconte avoir juré de la payer lors d'un rite vaudou, le "juju", récurrent dans les témoignages de prostituées nigérianes qui ont afflué en Europe ces dernières années.

Avec des mèches de cheveux, des coupures d'ongles, des poils pubiens, des complices du réseau fabriquent un fétiche à son effigie et menacent de la faire souffrir - jusqu'à la tuer - si elle ne tient pas parole ou parle à la police.

"J'avais très peur du +juju+ parce que dans mon pays, c'est un dieu pour les gens", explique au tribunal celle qui savait qu'elle devrait se prostituer mais sans la moindre idée de l'ampleur réelle de sa "dette".

- "Envol" -

Pour rejoindre la France, elle passe par la Libye puis l'Italie. Elle déclare s'être prostituée dès son arrivée, fin 2015, pour le compte de sa "mama".

En travaillant "tous les jours", elle réussit à honorer son dû "en 14 mois" et tout ce qu'on lui réclame en sus pour son logement, sa nourriture et l'utilisation de la camionnette qui abrite ses passes.

"Forte de cette expérience", Cynthia Obule tente alors "de prendre son envol en imitant son ancienne mama", écrivent les juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi.

D'après des écoutes téléphoniques, elle fait venir, à son tour, une jeune Nigériane à laquelle elle assigne une dette identique en jouant de l'emprise de la sorcellerie.

"Si tu ne me donnes pas mon argent, tout ce que tu es venue chercher en Europe, tu ne l'auras pas et le +juju+ va te frapper dix fois", intimide-t-elle dans une conversation. L'enquête révèle aussi que Cynthia Obule achète des camionnettes et transfère de l'argent dans son pays pour le blanchir dans un projet immobilier.

A la présidente du tribunal, Michèle Agi, qui lui reproche d'avoir fait subir à d'autres ce qu'elle a vécu, l'ex-prostituée dit y avoir été contrainte par Helen Okpoto, à laquelle elle restait "soumise".

"Madame, je sais que ce n'était pas bien mais ce n'est plus moi aujourd'hui. Je vous demande une seconde chance", ajoute en pleurant celle qui travaille dans une communauté Emmaüs en Haute-Savoie depuis la fin de sa détention provisoire.

Pour Hélène de Rugy, déléguée générale de l'Amicale du Nid - association d'aide aux prostituées - présente à l'audience, "ces victimes devenues auteures sont désinformées sur les moyens de protection qu'elles pourraient trouver en France et ne voient comme seule solution que de monter en grade".

Le procès, prévu jusqu'au 15 novembre, se poursuit mardi.

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