"S'attaquer aux racines" de la délinquance : la justice mise sur le suivi psychosocial

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Par Julia PAVESI - Amiens (AFP)
Publié le 09 janvier 2021 - 09:54
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Une personne en état d'arrestation présentée à la section P12 "flagrant delits", à Paris le 5 avril 2019
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© Philippe LOPEZ / AFP/Archives
En récidive, il avait toutes les chances de finir en prison, mais Kévin (prénom modifié) y a échappé grâce au "suivi judiciaire renforcé" jusqu'à son procès
© Philippe LOPEZ / AFP/Archives

Kévin (prénom modifié), en récidive, avait toutes les chances de finir en prison, mais y a échappé grâce à un "suivi judiciaire renforcé" jusqu'à son procès. Dans la Somme, la justice a parié sur ce dispositif récent pour "s'attaquer aux racines" de la délinquance.

Le 12 juillet, dans un PMU près d'Amiens, le jeune artisan de 28 ans "s'alcoolise très rapidement", raconte-t-il. Il violente dans l'après-midi sa compagne, puis le gérant de l'établissement qui essaie de l'empêcher de partir sans payer.

Avec une condamnation à du sursis dix jours plus tôt pour des violences similaires, et le retrait récent de son permis pour conduite en état d'ivresse, il est bon pour la comparution immédiate, et, selon toute vraisemblance, pour de la prison ferme.

Mais à l'issue de la garde à vue, le parquet lui propose un "suivi judiciaire renforcé" de six mois, jusqu'à l'audience.

- Sortir de la "spirale infernale" -

Sans minimiser la gravité des délits visés, "il s'agit de s’attaquer aux racines du passage à l'acte, que sont les addictions, la marginalité, la désertisation sociale avec pour objectif de sortir des gens de la spirale infernale de la délinquance au quotidien", expose le procureur de la République d'Amiens, Alexandre de Bosschère.

En maniant "la carotte" - éviter la prison ferme - et le "bâton" - l'incarcération en cas de manquements ou récidive.

Dans les Hauts-de-France, le dispositif est expérimenté dans quelques ressorts, financé par des fonds interministériels et les collectivités locales.

Pour en bénéficier, le prévenu, majeur, doit reconnaître les faits, être poursuivi pour des délits en récidive liés directement ou indirectement à l'alcoolisme ou l'addiction à d'autres drogues, et être prêt à respecter un contrôle judiciaire lourd.

"C'est un changement de paradigme dans la prise en charge, avec une phase d'évaluation très importante des facteurs de risques de récidive" qui s'inspire des méthodes québecoises, relève Anthony Peleman, directeur général de l'association socio-judiciaire d'enquête et de médiation (AEM).

"C'est une nouvelle réponse pénale. Pour certains, la prison n'aboutirait à rien", explique Damien Renaud, contrôleur judiciaire de l'AEM et référent de Kévin durant tout son parcours.

"Si j'étais allé en prison, j'aurais énormément de haine (...) A la sortie, je me serais vengé", abonde Kévin.

En 2019, il découvre des vidéos d'adultère de sa compagne et "perd pied". "J'étais détruit psychologiquement. Je me suis mis dans l'alcool, seul moyen de ne pas y penser", décrit-il.

Alors que tout roulait pour son entreprise de BTP, il arrête de répondre au téléphone, d'ouvrir ses courriers. S'ensuivent les impayés, le retour chez sa mère, la faillite de sa société.

- Remettre le pied à l'étrier -

Pendant le suivi judiciaire renforcé de six mois, des rendez-vous réguliers avec une magistrate, une psychologue, un médecin et son contrôleur judiciaire ont rythmé ses semaines, pour remettre de l'ordre dans ses papiers et dans sa vie.

A chaque point d'étape, la magistrate vérifie son implication et le respect de ses obligations - comme les analyses d'alcool.

Quant au contrôleur judiciaire, au centre de l'accompagnement, il tisse des liens avec l'entourage de chacun des prévenus, se déplace à leur domicile, devient presque leur confident.

Avec Kévin, il vérifie qu'il a avancé dans les démarches administratives - récupérer sa carte d'identité, déclarer ses impôts, purger ses dettes - s'enquiert de sa consommation d'alcool, passe du temps à discuter de son état de santé, physique et moral.

"Le problème ne vient pas de l'alcool (...) C'était vraiment psychologique", estime Kévin, désireux de continuer les séances après sa condamnation, début janvier, à trois mois de sursis.

Dans la Somme, 15 prévenus sont actuellement engagés dans ce suivi lancé en 2020, soupçonnés essentiellement de violences conjugales ou envers des policiers, le reste étant des violences aggravées, de l'usage de stupéfiants, ou encore outrage, alcool au volant et vol.

Six des neuf prévenus qui ont terminé le suivi l'ont respecté, trois ont récidivé ou ont été écroués. Un taux d'échec "pas négligeable mais normal vu le caractère complexe des profils et l’ampleur des contraintes imposées", selon M. De Bosschère.

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